La Dépêche de Kabylie : C’est quoi un suicide, du point de vue psychologique ?l Amine Kheirddine : C’est de se donner la mort. C’est mettre fin à sa vie lorsqu’on ne peut plus faire face à la réalité. Pour Sigmund Freud, chacun doit mettre en harmonie le désir et la réalité, c’est-à-dire ce qu’on veut et ce qu’il y a dans notre entourage, dans notre espace de vie. En l’absence de solution adéquate à cette problématique, l’être humain peut basculer dans des dérives et peut éventuellement mettre fin à ses jours. Il y a aussi la dégradation de l’estime de soi. Lorsqu’on se sent rejeté et délaissé par les êtres très chers à nos yeux, le pire est à craindre.
Quels sont les facteurs qui peuvent mener au suicide ? l Ce n’est pas aussi facile de dire que tel ou tel facteur peut mener au suicide. Cependant, le travail clinique nous laisse palper certaines réalités. D’abord, il y a les différentes maladies psychiatriques qui sont à mi-chemin du suicide. Les personnes qui souffrent psychiquement peuvent à n’importe quel moment passer à l’acte. Mais il y a d’autres gens dits normaux qui se suicident. Cela dépend de leur vulnérabilité psychique. Peut-être que ceux qui se donnent la mort n’ont pas une philosophie de vivre pour faire face aux problèmes de la vie. Malgré les efforts des scientifiques pour comprendre ce phénomène, tant de choses restent à décrypter.
Peut-on dire que le suicide est un échec social ? l C’est possible. Mais en tant que psychologue, je pense que c’est dû à un certain fonctionnement psychique, même si ce dernier est toujours dépendant de la société. Le marasme social et toutes les entraves qu’il provoque ne peut pas être la raison directe du suicide. A Béjaïa, le plus faible taux de suicide est enregistré dans la région de Kherrata, pourtant, c’est peut-être la région la plus enclavée de la wilaya.
En tant que psychologue clinicien, quels sont les sujets vulnérables qui peuvent passer à l’acte ? l Comme je viens de vous le dire, il y a ceux qui souffrent psychiquement parlant lorsqu’ils sont atteints de dépression ou de mélancolie. Ces sujets sont très fragiles et n’ont pas beaucoup d’attachement à la réalité. Il y a les enfants victimes de l’isolement, et lorsqu’on lit dans la presse que des adolescents de 15 à 16 ans se suicident, cette problématique s’impose. Il y a en outre la perte de l’objet d’amour. Les psychanalystes pensent que chaque personne a des objets d’amour, c’est-a-dire des choses, des valeurs, ou carrément d’autres personne auxquelles elles éprouvent de l’amour. Quand on a un narcissisme de fusion, on ne peut pas vivre sans son objet d’amour. Perdre ce centre d’intérêt signifie perdre le sens de la vie, autrement dit perdre la vie, se suicider. Cette situation peut être provoquée par la mort d’un proche, par un échec aux études ou par une déception amoureuse. Le problème n’est pas dans les circonstances mais dans l’intérêt qu’on porte aux choses de la vie et dans notre prédisposition psychique à gérer les conflits.
Pensez-vous qu’en Algérie, il y a assez de psychologues sur le terrain pour apaiser les souffrances des gens ? l Non, absolument pas. Il y a très peu de psychologues sur le terrain. Nos praticiens ne peuvent pas faire face aux souffrances des gens. Dans ce domaine, on est vraiment en retard.
Comment peut-on faire face au suicide ?l Certes,il faut améliorer les conditions de vie des citoyens, mais il faut surtout s’intéresser à la santé mentale. Il faut parler à son médecin, et à son psy de tout ce qui se passe. Dès qu’un changement est remarqué dans le comportement des gens, il faut le prendre au sérieux. Il faut apprendre à aimer et à travailler.
Comment voyez-vous ce phénomène à l’avenir dans notre pays ?l Chez nous, le suicide est un phénomène banalisé. Malgré le nombre important de suicides, ce drame n’est pas encore pris au sérieux. La santé mentale tarde à devenir une préoccupation majeure. Les fléaux sociaux, à l’instar de la toxicomanie sont en croissance terrible. L’Algérie est en dérive. On n’a plus de repères dans la vie et l’avenir est incertain pour des millions de gens. Dans ces circonstances, le suicide aura de beaux jours devant lui, voire des années.
Propos recueillis par Mohand Cherif Zirem