Langues, religions et vérités historiques

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Le colloque a eu, aussi, le mérite de plancher sur le coté pragmatique des faits et événements historiques, mettant ainsi en veille le volet idéologique le long des travaux.

Ci-après la problématique dont le colloque s’est proposé de faire le bilan : l’arrivée des Arabes à la conquête du Maghreb au sixième et septième siècles a eu lieu après la fin du règne des Romains. Certes, les Arabes sont venus en conquérants, mais porteurs d’une religion, l’Islam, qui, lui, était embrassé à telle enseigne que les Berbères sont devenus ses fervents promoteurs.

Ainsi, Tariq Ibn Ziad est allé, avec pas moins de 12 000 hommes dont 9000 Berbères, conquérir l’Andalousie. Contrairement aux Orientaux, les Berbères vont adhérer aux schismes ; kharidjisme, chiisme,…ou les hérésies locales. Ils se sont imprégnés de culture musulmane, tout en gardant leur culture d’origine, leurs traditions et leur langue.

Après l’ouverture officielle et présentation de la problématique, Hassen Remaoun de l’université d’Oran donna le coup de starter au colloque par l’exposé intitulé “l’Afrique du Nord et le passage de l’antiquité au moyen- âge en Méditerranée”. C’est là une séquence de l’histoire qui continue toujours de nous interpeller et qu’on se doit de constamment revisiter, dira d’emblée l’orateur.

Mustapha Oukil, de l’université de Tiaret, a, dans sa communication intitulée « Mouvement de l’avancée de l’Islam au Maghreb », fait une esquisse de la résistance berbère, notamment ceux des montagnes et du Sud. « La chrétienneté était la plus ancrée avant l’Islam. La culture arabe a connu les mêmes problèmes que celles qui l’ont précédée au Maghreb », dira-t-il. Et d’ajouter : « C’est pour cela que la conquête a duré soixante dix longues années, contrairement à l’Orient, qui lui, est conquis en douze années ». Par ailleurs, Khadîdja Bakhtaoui de l’université de Sidi Bel Abbes s’est interrogée pourquoi malgré la résistance des Berbères à la conquête des Arabes, ces derniers n’ont-ils pas trouvé le salut en l’éminence de l’Islam qui a porté considération aux peuples sous toutes les dimensions ? Et d’enchaîner : « Ce qui a fait que les Berbères ont porté le flambeau de l’Islam en étant les maîtres d’œuvre de l’expansion de la religion musulmane en Andalousie. Ceci suite au fait que les Arabes ne les ont pas soumis à l’invasion des terres et à l’imposition des impôts. »

Sa consœur, Hayat Kanoun de la même université l’a relayée pour souligner la diversité de l’Histoire par ses versions et ses sources ; et que parfois, il faut comparer deux, voire plusieurs, pour déduire scientifiquement la plus plausible et crédible. Notons au passage que plus les travaux du colloque avançaient, les communications – soumises au timing qui a généré un sentiment de frustration chez l’assistance qui n’était pas nombreuse- et les débats devenaient de plus en plus intéressants et enrichissants.

« Regards et opinions croisés sur l’Islam en Afrique du Nord » ; “La revendication de l’héritage berbéro-musulman dans la Kabylie des 18 et 19 siécle” et « Pour une anthropologie des pratiques sociales de la religion : la Kabylie comme exemple », étaient successivement présentées par Kacimi Zinedine (chercheur en histoire), Younes Adeli (écrivain-chercheur) et Brahim Salhi (maître de conférence à l’UMMTO- université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou).

Y.Adelli a, dans son allocution, expliqué que certains clercs sont parvenus à suggérer un héritage berbèro- musulman à travers les saints locaux (Hocine El Wertilani, entre autres), aux côtés de l’héritage arabo – musulman qui a eu le privilège d’être mis en valeur.

« Le fond culturel berbère demeure imprégné de symboles très puissants; la poésie religieuse qui représente le patrimoine berbéro-musulman est un exemple illustrant à plus d’un titre. (…) les Berbères associent tout ce qu’il font à leurs pratiques religieuses », expliquera-t-il.

Brahim Salhi a, quant à lui, affirmé que les pratiques sociales de la religion sont sujettes aux changements à travers le temps. « La culture véhiculée par l’Islam joue comme un facteur de recomposition de la culture locale qui, de son côté, l’intègre et la réinterprète à l’a une de ses valeurs et de son histoire », dira l’orateur. Et d’ajouter que « les sciences sociales, l’anthropologie et la sociologie en particulier, sont conviées à jeter un faisceau de lumière sur les destinées sociales et à différents plans. »

Les vérités historiques dites par l’imminent chercheur Said Chibane, au cours de son pertinent exposé intitulé « l’union des Oulémas musulmans et la langue amazighe durant le colonialisme », ont titillé la sensibilité de l’assistance …Le SG du HCA, Y. Merahi, est intervenu pour tempérer les esprits : « Laissons les réactions épidermiques de côté pour élever le niveau », en exhortant les universitaires et chercheurs à continuer dans la lancée de l’objectivité qui a caractérisé les travaux du colloque. Ce qui amènera d’autres vérités.

Moussa Imarazene, docteur en linguistique à l’UMMTO, qui a mis l’accent sur les éléments qui ont fait que l’arabe littéraire et le français occupent la sphère officielle d’une part et, le berbère –sous forme de plusieurs variantes éloignées les unes que les autres et l’arabe dialectal d’autre part et, qui se contente des rapports quotidiens tout en étant concurrencés par le français.

Selon le même orateur, plusieurs raisons ont fait que l’arabe dialectal a émergé et que la langue berbère s’éparpille en dialectes en particulier au 19e siècle, entre autres : la rétraction des Berbères vers les montagnes, le caractère oral de la langue amazighe, contrairement à la langue arabe qui est une langue de prestige, normée, standardisée, sacralisée à travers le livre saint du Coran et, par-dessus tout, elle bénéficie de la promotion des mass médias.

Les réponses contenant des vérités historiques donc immuables aux questions pertinentes de l’assistance ont titillé la sensibilité de certains. Ce qui amènera d’autres vérités. « En 1814, le port d’Azzefoun était opérationnel, à présent, depuis 1962, il est à l’arrêt… ». « La problématique de l’Algérie de 2007 est là, l’opposition des montagnes aux villes, l’Indonésie a eu des problèmes par rapport à leurs coutumes et à la Charia… Ce qui occasionnera à l’Algérie des années de retard, je suis désolé de le dire et sans passion aucune »… « L’Algérie ira vers un destin meilleur que celui qu’on veut lui imprimer ».

Le Dr Lounaouci a dans son exposé intitulé « Un royaume berbère méconnu, les Birghwata », affirmé que les Imazighen ont eu à subir de nombreuses exactions des armées arabes. La révolte des populations locales créa des schismes et hérésies pour se distinguer radicalement de l’Islam orthodoxe de l’Orient. « L’époque des Birghwata localisée dans le Tanesnat – cote atlantique de l’actuel Maroc- est la seule où la langue berbère a eu un statut officiel ; ils se faisaient représenter par leur langue ». Par ailleurs, il a expliqué que les Birghwata sont liés directement au Kharidjites, qui persécutés d’Orient, se sont retrouvés en Afrique du Nord.

En outre, Mohand Arezki Ferrad a retracé la vie et l’œuvre de El Hadj Mohand Said Tazrout, 1883-1963. Cet érudit a pu réunir le génie islamique et la langue berbère, notamment par sa poésie religieuse.

La table ronde consacrée à la traduction du Coran en tamazight, animée par Si El Hadj Moh Tayeb traducteur du Coran de l’arabe vers le tamazight, Said Chibane, Youcef Nacib, Boudjemaa Aziri, a été l’une des étapes les plus animées. Si El Hadj Moh Tayeb a suscité l’admiration de l’assistance en évoquant son parcours qui l’a amené à la traduction du Coran depuis son enfance.

D’ailleurs, il a ressenti une vive émotion en remontant ses souvenirs.

Le colloque a été clôturé par un débat de synthèse au cours duquel les chercheurs ont souligné les retombées néfastes du discours idéologique sur l’Histoire et les identités des peuples et par une prise de parole de Abderrahmane Chibane, président de l’Associations des Oulémas. Notons la présence de plusieurs invités venus de plusieurs régions du pays.

Ahmed Kessi

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