En réalité, il n’y était pas venu pour sonder le marché. Nous l’avons fait à sa place et ce que nous avons découvert est tout simplement effarant. La relative accalmie constatée après le carême, a été de courte durée puisque les prix amorcent, maintenant une hausse qui ira crescendo à mesure qu’on se rapprochera du jour de l’Aïd. Pourtant, l’aire réservée à la vente des ovins, située non loin du marché aux fruit et légumes, est pleine à craquer.
On se fraie difficilement un passage au milieu de cette masse compacte où hommes et bêtes se disputent le moindre espace.
Les revendeurs, des grossistes en quelque sorte, qui “importent” leur marchandise de Sétif et autres marchés des Hauts-Plateaux, rivalisent avec les paysans locaux qui proposent le produit de leur élevage, très demandé, d’ailleurs pour la saveur de sa chair. Les clients sont, à première vue, fort nombreux mais indécis, devant les prix demandés. Ils tâtent, soupèsent et font semblant d’être désintéressés. En réalité, la valeur du mouton est sans commune mesure avec son poids. On ne peut acheter de bête à moins de 18 000 DA.
Nous nous sommes intéressés à un bélier que des clients, visiblement aisés veulent s’offrir, pour l’Aïd. Le vendeur s’en rend compte et ne consent à le céder qu’au prix de
25 000 DA. “Trop cher” commente un spectateur qui n’est là que par curiosité, comme beaucoup d’autres qui ne peuvent se permettre l’objet du sacrifice. Le propriétaire, un éleveur se défend, en rappelant qu’une botte de foin revient à 400 DA et un sac d’aliment à 1 200 DA. Un vendeur auquel nous avons demandé s’il arrivait à écouler toutes ses bêtes, nous apprend que “ceux qui sont décidés à satisfaire au rituel, ne s’embarrassent pas des prix. Ils finissent toujours par acheter”.
Il sait que lorsqu’un ménage prend la décision d’“égorger”, rien ne le dissuedera de le faire. Le client connaît les limites de sa bourse. C’est le prix qui décident de la taille du mouton à acheter. Les acheteurs sont souvent à chercher dans les classes aisées. Les ménages aux bas revenus s’y aventurent de moins en moins, sachant qu’ils continueront à s’endetter inutilement.
Les vacances, le carême, la rentrée scolaire et l’Aïd seghir ont, effectivement, laissé des traces dans les bourses. Se payer un mouton, même pour un cadre moyen, est devenu un luxe. On ne pense même plus à se soumettre au rituel religieux. Comme chaque année, vendeurs et clients se plaignent mais arrivent toujours à s’entendre. Les uns arrivent à écouler leur marchandise à temps et les autres, heureux d’avoir leur mouton, finissent par accepter la loi du marché.
Nacer B.
