S.O.S indulgence !

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Saâd est étudiant en communications. Ses 22 printemps refusent d’admettre que dans un pays où les réserves avoisinent les 100 milliards de dollars des êtres humains ‘’périssent’’ dans le froid, au su et au vu de tous. Il refuse aussi de faire semblant de ne pas voir ces sans-domicilesfixes se recroqueviller sous des couvertures alourdies par le verglas de décembre et dont le réveil, le lendemain, est incertain. Il frappe à toutes les portes, à commencer par celles des autorités de Aïn Bessem, sa localité. En vain. Tout le monde est emballé par la fièvre électorale. De toute façon la misère ne vote pas.

Cependant, on expliquera à Saâd, l’électeur :  » qu’on va faire… mais qu’il faut d’abord attendre…le service social…demande… « . L’argumentaire bureaucratique est débile devant une situation de vie ou de mort. La colère envahit le jeune étudiant dont tout l’argent de poche et les couvertures de la maman sont mis à la disposition de ces sans –abris. Il ne baisse toujours pas les bras. Il vient déverser sa douleur dans notre bureau.

Saâd espère que la presse pourrait faire réagir les autorités locales. Nous lui promettons d’aller faire un tour à Aïn Bessem. La température est au plus bas à cette-heure-ci de la nuit. Les rues sont quasiment vides. Quelques citoyens retardataires calfeutrés dans leurs kachabias ou parkas se pressent pour aller retrouver âtres, chauffages et autres radiateurs. Il faut dire que la température avoisine le zéro degré celsius. Nous pensons tout de suite à cette femme d’une quarantaine d’années qui, qu’il neige ou qu’il vente, meublait les nuits de Aïn Bessem, il y a un peu plus d’une année. Nous cherchons dans tous les endroits où elle avait l’habitude de camper. Nous ne la retrouvons pas.

Peut-être qu’une âme charitable l’a prise en charge. Peut être aussi que la Direction de l’action sociale fini par réagir.

Nous croisons, par contre, Lakhdar, la quarantaine aussi. Les plus jeunes le surnomme Garincha. Enroulé dans une couverture, Il va et vient d’un bout à l’autre des arcades du centre-ville. C’est toujours là qu’il passe la nuit. Les arcades le protègent un peu de la pluie quand elle n’est pas accompagnée de vents violents.

Il ne dort pas encore. Il se réchauffe en tournoyant sur place. Garincha ne parle pas. Il émet des sons. Il ne faut pas croire qu’il a perdu l’usage de la parole. Non, il n’a seulement plus rien à dire à une société qui lui a tournée le dos. On vous dira que Garincha est un aliéné mental. Et alors, les malades n’ont pas droit à la dignité ? Et puis comment ne pas devenir aliéné mental ? Il est vrai que l’on se rappelle de lui et de ses semblables au mois de ramadhan où on leur sert un bol de chorba que la société leur concède pour avoir bonne conscience..

Nous quittons le quartier de Garincha, pour aller retrouver Hamid, c’est comme cela qu’on nous le présente. Lui aussi a élu domicile sous les arcades. De corpulence plus importante, Hamid est moins vulnérable aux assauts des vagues de froid. (voir photo). Pour se réchauffer, lui aussi parcourt les arcades d’un bout à l’autre, avant de s’affaisser sur un matelas à même le sol. Nous continuons notre ‘’ronde’’ jusqu’aux alentours du stade communal. Au passage, nous saluons un groupe de jeunes occupés à fumer Dieu sait quoi. Nous arrivons près de la bicoque de Bambino que nous avions visité il y a un peu plus d’une année. Lakhdar et sa vieille mère n’y sont pas. Nous apprendrons plus tard qu’ils ont bénéficié d’un logement social. Pour rappel Bambino était un artiste polyvalent. Il faisait partie de cette race d’artistes nus, non calculateurs qui donnaient libre court à leurs états d’âmes pour en sortir des chefs-d’œuvres réprimés par l’ordre établi. Bambino était à la fois peintre, illusionniste, musicien et poète dévergondé. Il est devenu une ‘’loque’’, un sous-homme, un concentré de…misères. Courbée comme un chêne à l’épreuve des vents, sa mère âgée de 80 ans s’occupait de lui. C’est sa seule source de survie. Aujourd’hui et fort heureusement, ils sont au moins à l’abri du froid.

Nous ne retrouvons pas non plus la jeune mère et sa fille de neuf ans qui elles aussi meublaient les nuits de Aïn Bessem. Il y a deux hivers, elles logeaient dans une masure abandonnée de 9m2. La jeune femme souffre d’un déséquilibre mental. Elle était venue, nous dit-on, des environs d’Alger. Sa famille se serait débarrassée d’elle. Qu’est-elle devenue ? Dieu seul le sait.

Alors que nous quittons les arcades, une image insoutenable (voir photo) nous heurte : couverte de plastique, une jeune femme dort sous un arbre. Elle n’a pas trouvé mieux que le plastique pour se protéger de la pluie. Nous comprenons alors la colère de Saâd. On ne peut pas ne pas voir cette ‘’humanité sous plastique’’. Impensable que les autorités locales n’aient pas encore réagi. Comment peut-on rester insensible à une telle image. Sous d’autres cieux, la localité (autorité et citoyens), serait traduite devant la justice pour non assistance à personne en danger.

Cette invraisemblance que nous avons constatée à Ain Bessem existe aussi dans le chef-lieu de la wilaya. Sur les marches d’escaliers reliant la gare routière au centre-ville, une mère et ses 4 enfants en bas âge y passent toute la journée, avant d’aller passer la nuit on ne sait où.

La femme, nous dit-on, est divorcée. Encore une victime du Code de la famille. Elle avait sans doute, comme toutes les filles de son âge, rêvé d’un prince charmant qui lui assurerait amour et sécurité. Elle se retrouve, dans la rue, avec un bébé dans les bras et trois enfants accrochés à son haïk de fortune, derrière lequel nous devinons un visage fatigué, désespéré pour avoir subi très tôt la loi du code de l’infamie. Elle, l’anonyme, tourne le dos aux passants qui ne manquent pas d’émettre leur impuissant  » meskint (la pauvre) !  »

T. Ould Amar

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