Zohra, ou la diva de la chanson kabyle

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Ayen ayen ur cbigh tizyiwin iw ? Di tlam iseaddagh temzi iw ? “Pourquoi Dieu suis-je différente de mes semblables. Toute ma jeunesse vécue dans de ténèbres ?” Ainsi chantait déjà la diva Zohra pour exprimer toute la détresse qui la marqua dans sa “courte” vie (33 ans en tout).

Une courte vie où elle exprimera toute la douleur de ses semblables, elle qui aimait tant la vie. Zohra adorait fréquenter la fontaine, lieu de prédilection et de discussions pour les femmes où celles-ci aiment se retrouver entre elles et passer ainsi d’agréables petits moments qu’elles prenaient à se raconter des anecdotes avec une remarquable délectation, au retour, chemin faisant, vers la maison, sur les têtes des cruches ou des bidons pleins d’eau.

Des provisions en fait de ce liquide de vie nécessaire à la consommation de la famille et à la préparation de la nourriture, au lavage du linge et à l’hygiène corporelle. Zohra était également une adepte du travail de la laine en compagnie des jeunes filles de son âge fréquentant les vieilles femmes de leur entourage, pratiquait aussi des travaux de jardinage dans des champs de proximité, dans des lopins tout près des domiciles (Aqouir). La regrettée aimait aussi particulièrement les périodes des récoltes aussi bien des figues sèches, de Barbarie que celle des olives se faisant dès l’automne, jusqu’à pratiquement fin mars.

La période de collecte des olives est pourtant très difficile, puisqu’intervenant durant plusieurs mois en hiver avec la rigueur du froid.

Aux termes de celle-ci, c’est au tour des binages après des semences. Les temps creux pour les femmes kabyles (la nuit généralement) sont consacrés généralement au tricotage, et autres tissages de couvertures et de burnous sur des métiers à tisser traditionnels.

Observant une fermeté et une rigueur avec elle-même, Zohra était aussi une passionnée de la lecture d’ouvrages d’alphabétisation, puisque n’ayant pas eu la chance de fréquenter l’école à l’âge convenant à la scolarité, aimant l’ordre comme seconde nature, propre à toute femme digne de ce nom, Zohra la poétesse accorde tout autant son attention à l’évolution de bonnes relations dans le respect mutuel avec ses voisins et sa société. Zohra se distinguait également par sa particularité de consacrer ses temps “morts” à l’écoute de la Chaîne 2 de la Radio nationale.

Les programmes préférés de Zohra à la radio étaient surtout ceux des mois de ramadhan où les comédies de Ccix Nordine, Kaci Tizi Ouzou, Said et Mohamed Hilmi et tant d’autres, faisaient le bonheur des auditeurs… Artiste de chants traditionnels “autodidacte”, Zohra tire également sa réputation de ses chansons connus de bonnes mœurs, adoucissantes et pleines de sagesse et surtout exprimant la détresse, la douleur de la femme dans toute son intensité.

Les qualités expressives de ses chansons sont généralement acquises auprès de nombreux chanteurs et chanteuses (Azem, Ccix Nordine, Chérif Xeddam, Taled, H’nifa, Chérifa, Nouara, Djamila, et beaucoup d’autres encore).

Zohra est venue au monde un 17 décembre 1962, à Aguemoune (Larbaâ N’Ath Irathen), juste cinq mois après l’indépendance de l’Algérie ; elle connaîtra donc tout la misère et la pauvreté à l’instar de la plupart des familles n’ayant pas quitté le pays durant la période des années de feu et de sang, comme ce fut le cas de ses parents.

Elle s’est mariée en 1980 à Boukhalfa (Tizi Ouzou) et eut une fille avec son premier mari. Elle se remariera encore après avoir divorcé de son premier mari, et eut une seconde fille.

En 1986, après son éclatant succès avec l’édition de sa première K7 en 1982, elle se rendra en France où elle animera des galas tout en y enregistrant d’autres succès. Zohra, qui a laissé un répertoire de 36 chansons marquera de son empreinte la mémoire collective par l’animation de grands galas, notamment au cinéma “Afric” à Larbaâ N’Ah Irathen, un certain premier mai 1984, puis un autre gala à Oued Aissi, la même année à l’occasion de la célébration du 4e anniversaire du 20 Avril 1980.

Zohra trouvera tragiquement la mort en janvier 1995 dans un accident de voiture en France, dans le 19e arrondissement à Paris. Son corps sera transféré par la communauté immigrée pour être enterré dans son village natal où elle repose à jamais depuis le 9 janvier 1995.

Paix à l’âme pure de Zohra la diva !

B. T.

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