(2e partie)
Heureuse, elle se met à chantonner et à gambader à travers les sentiers. Dès qu’elle s’éloigne des lieux, le chacal enferme les sept marcassins dans un enclos. Impatient de manger, il prend le plus gros des petits sans hésiter, il le passe au fil de l’épée. Il mange avec appétit, la moitié pour midi et garde le reste pour le dîner. Repu, il somnole pour digérer.Il suit l’emploi du temps jusqu’à exterminer les sept malheureux, dont il étale les peaux à sécher, à même l’enclos, où ils sont censés étudier. Oubliant de les saler, des nuées de mouches se posent dessus. Le bourdonnement incessant qu’elles provoquent s’entend de loin. Au septième jour, le chacal met à mort le dernier des petits. La laie se présente à lui à midi, au moment où il allait déguster la moitié du dernier. Dès qu’elle frappe à sa porte, il est affolé et sort pour la saluer.- Bienvenue, dame laie !- Bonjour, Si M’hamed !- J’espère que mes petits ont été sages !- Ce sont des anges. ils sont studieux. Je n’ai jamais vu des élèves pareils !- S’ils ont fini, je vais les ramener !- Pas trop vite dame laie, il leur reste quelques lacunes à combler. Ils sont, certes, intelligents et assimilent vite, mais éprouvent des difficultés ) psalmodier. Leur apprentissage doit être prolongé. Ces lacunes doivent sûrement provenir du côté du père, et non du côté de la mère, la plus intelligente de toutes les mères, car tu es la première à confier tes petits à un marabout pour les instruire !- Tu as tout à fait raison, Si M’hamed’. Leur père se fiche de leur instruction. Pou lui, étudier est une perte de temps.- Je m’en doutais un peu ! Heureusement que tu ne l’as pas écouté, car s’ils n’étudient pas maintenant, ils seront à jamais des ignorants. Sans vouloir te flatter, ça se voit bien que tu es plus avisée que lui, c’est pour cela que tu me les a confiés ! Ils sont les dignes fils de leur mère !- A défaut de les ramener, je voudrais les voir !- Pour l’instant il n’en est pas question ! Ils sont en train de réciter à l’unisson les versets sacrés du Coran. Les déranger à cet instant précis c’est leur couper le fil des idées. Ça va les perturber. Mais pour ne pas te frustrer, approche-toi un peu de l’enclos et tu entendras tes petits en train de réciter.La laie entend effectivement le bourdonnement des mouches sur les peaux mises à sécher. Cela ressemble étrangement à des petits talebs en train de réciter à haute voix les sourates du Livre sacré.Rassurée, la laie le remercie, et lui demande, dans combien de temps elle devra revenir.- Dans moins d’une semaine, ils auront assimilé la première partie. Je les fais travailler dur, tu m’excuses, dame laie, mais c’est pour leur bien. Dès que tu les verras lire et écrire, tu te sentiras fière, et tu viendras me remercier d’avoir fait d’eux des instruits.- Je te remercie d’avance. Les marabouts comme toi ne sont pas légion. Au revoir et à la prochaine fois. Comme le chacal savait que son subterfuge n’allait pas durer indéfiniment, pour parer à toute éventualité, dans sa tanière il creuse à dessein un trou en forme de boyau, évasé à l’entrée et de plus en plus étroit à la sortie. Poussée par une irrésistible envie de revoir ses petits, la laie revient plutôt que prévu, n’ayant pas quitté encore les lieux. Le chacal est surpris quand il entend la laie frapper à sa porte. Ne pouvant plus la berner, il s’éclipse en empruntant l’issue de secours qu’il avait intelligemment creusée.
Benrejdal Lounes (A suivre)