Administrativement, Aït Sidi Ahmed appartient à la commune de Aïn El Hammam et fait partie de la tribu des Ath Menguellet. En venant de Tizi Ouzou, sur la route nationale n° 15, 10 kms avant d’arriver à Aïn El Hammam, vous ne pouvez pas éviter de traverser cet ensemble de maisons agglutinées à flanc de colline et que les gens désignent sous le nom d’Aït Sidi Ahmed. Ce qui, en réalité, n’est pas vrai, puisque l’endroit a toujours été appelé “Thawrarine” par les natifs de la région, avant qu’on n’y construise un village, à partir de 1970.Durant la guerre, l’administration française désignait ce lieu-dit sous le nom de “maison cantonnière” après y avoir construit un dépôt de matériel, pour les services des “Ponts et Chaussées”. Ce n’est qu’après la guerre que les habitants d’Aït Sidi Ahmed ont été, comme ledit si bien Madjid “contraints et forcés” d’abandonner leur village originel, situé au fond de la vallée, pour occuper l’endroit qui, paraît-il, offre plus de commodités. Ainsi, l’éloignement de la route nationale ajouté à la difficulté de tracer une piste avec les moyens des années soixante, ont conduit les autorités de l’époque, à lotir le terrain communal de Tawrarine que les villageois ont, dans un premier temps refusé de rejoindre. Pour les inciter à s’installer sur les lieux, une école y a été construite ainsi qu’un dispensaire qui n’a, finalement, fonctionné que deux ans, avant de changer de vocation pour devenir un logement. Le deuxième argument ou plutôt appât pour attirer les gens hors de leurs “bases” est la difficulté d’alimenter les habitations en eau potable et en électricité, argument de poids qui a commencé à entamer la cohésion du village qui, jusqu’à lors, était soudé et avait refusé de renoncer à la terre des ancêtres et donc de changer totalement de mode de vie. La plupart des habitants, résignés, lâchèrent prise mais quelques irréductibles tinrent bon, à l’image de ce vieux qui, s’adressant aux autorités, lors d’une réunion, leur dit en substance : “Nous nous sommes battus contre la France pour retourner chez nous. Une fois que nous y sommes, vous voulez nous en déloger”. C’était, en fait la triste réalité à laquelle il fallait faire face. Pour abandonner, une seconde fois, la terre des ancêtres, s’éloigner de leurs terres, du cimetière et de tout ce qui fait un village kabyle, il fallait une sacrée dose de courage.Lorsqu’en 1980, l’Etat procède à la distribution des lots de terrains aux retardataires, pour leur permettre de rejoindre “Thawrarine”, la commune voisine d’Iaâgwachene s’en mêle et revendique le terrain situé sur son territoire. Le problème ne trouvera sa solution qu’en 1996 et les derniers habitants quitteront le village. Le comble est que c’est le moment que choisissent les autorités pour, enfin goudronner la piste et électrifier un village inhabité alors qu’elles l’ont libéré, auparavant, de ses habitants. Inconcevable, surtout, lorsqu’on sait ce que ces gens ont enduré. La guerre de libération a, en effet, laissé des traces indélébiles sur cette population meurtrie par deux bombardements successifs, de l’aviation française.En 1957, lorsque l’armée coloniale est informée que ce village est devenu le fief des moudjahidine, elle entreprend, d’abord de le bombarder le 14 mai puis d’incendier la forêt environnante avant d’y pénétrer avec un grand nombre de soldats.Aït Sidi Ahmed est le premier village de Kabylie à connaître le napalm. Cette bataille et celle qui la précéda firent, à elles seules, 27 morts, dans les rangs des Algériens. En 1962, le village comptabilisa pas moins de 50 chouhada, tombés au champ d’honneur. Il faut dire que la situation du village en a fait un lieu stratégique où les moudjahidine ont installé leur quartier général, dès le début de la guerre. De cet endroit entouré des forêts, les moudjahidine pouvaient, sous couverts d’une végétation dense, rejoindre Michelet, Larbaâ Nath Irathen ou Béni Yenni, à l’abri des regards. Pour les isoler de leur base, l’armée coloniale décida, donc, d’évacuer les habitants vers les villages voisins. L’exil allait durer quatre longues années, jusqu’à 1962, à l’indépendance. Il était dit, alors qu’Aït Sidi Ahmed ne serait plus jamais le même.Avant la colonisation, la tribu réunie autour du saint “Djeddi Hmed Ouyoucef” était composée de quatre hameaux (Ath El Djoudi, Ighil Ksir, Thamekwrest et Thimizar) dont les habitants vivaient des produits de la terre bien que quelques enfants du village aient émigré en France. Les maisons étaient construites sur le bord d’Assif Oussaka, affluent de l’oued Sébaou. Les fondateurs du village ne s’étaient pas trompés, en s’installant au fond de la vallée car l’abondance d’eau a permis l’émergence de l’arboriculture fruitière (figuier, vigne, grenadier). La terre y est si fertile que les paysans, en plus de subvenir à leurs besoins familiaux, alimentaient le marché de Michelet en produits du terroir (courgettes, haricots verts, piments…) si prisés par les gens de la région. Les propriétés cultivables sont, dans leur majorité, situées en contrebas du village et sont irriguées par l’eau de la rivière, toute proche. Les habitants des quatre hameaux vivaient en harmonie sans penser que le déclenchement de la lutte armée allait changer jusqu’à leur “identité”.La décision de déloger ces gens a été prise dans la précipitation et aucune des structures et des valeurs qui font un village kabyle n’ont été respectées. Les nouvelles générations ne connaissent rien de Thajmaâth puisqu’il n’en existe que celle des aïeux, au fond de la vallée. Le lieu de rassemblement où ils se retrouvent est “le virage” de la route nationale. Les femmes ou plutôt les jeunes filles ne savent de l’ambiance d’une fontaine, lieu de rassemblement de la gent féminine, que ce qu’elles voient ailleurs, dans les autres localités. La promiscuité a achevé l’œuvre destructrice entamée. Un habitant se dit outré de se retrouver avec de nouveaux voisins alors qu’avant, il n’avait presque pas de relation avec eux. Par contre, ses proches qui vivaient dans son quartier se retrouvent à l’autre extrémité du nouveau village. Une agglomération, sans âme, est donc, née à Tawrarine pendant que celle des ancêtres dépérit, peu à peu. Les gens y habitent et s’adaptent à un nouveau mode de vie qui a, lui aussi, ses avantages. Cela, personne ne le conteste.
Nacer B.