De notre envoyé spécial à Mulhouse : Djaffar Chilab
C’est plus qu’une tradition chez la population locale. Le dimanche est « ostentatoirement » sacré. On se terre chez soi dès l’arrivée de la fin de semaine. Ainsi étaient les habitudes allemandes. A travers les rues, on ne se bouscule pas du tout. On dirait une ville déserte. Abandonnée par ses habitants. Il n’y a que toutes ces voitures parquées et ces mégots qui jonchent le pavé des devantures de bistrots qui renseignent sur le peuplement de la cité. Une cité tellement propre du reste et bien fleurie. C’est le cœur de l’Alsace. ça sent encore un peu l’allemand. C’est certes la France mais il y a aussi l’influence du décor suisse. Excepté les mégots, tout est nickel : les rues, les trottoirs, les façades des immeubles dont certaines sont merveilleusement habillées de fresques artistiques, les voitures… C’est à croire que les gens d’ici ne font que nettoyer et…fumer. Le phénomène des mégots par terre s’est développé depuis l’interdiction de fumer dans les espaces publics fermés. Pas de bruit non plus. Dimanche, Mulhouse est une ville morte. A vrai dire, même durant les jours de semaine, elle ne change pas trop. D’abord, on ne se presse pas de reprendre la semaine. Les commerces ne relèvent les stores, oui juste des stores, pas de rideaux en fer encore moins de portes blindées, que dans l’après-midi du lundi. Ici on a appris à vivre les portes fermées. Même le commerce d’ailleurs se fait ainsi. Ici jamais un commerçant n’osera exposer sa marchandise sur le trottoir… C’est à peine qu’il garde sa porte semi-ouverte. Les ouvriers sont à l’usine. La région compte plusieurs grandes manufactures. Elle incarne l’Europe ouvrière, tout un symbole porté haut par la majestueuse Tour de l’Europe, à plus de trente étages, implantée sur l’avenue du même nom. L’histoire attribuerait certainement une palme aux ouvriers algériens, des centaines si ce n’est des milliers qui ont accompagné cette révolution ouvrière de Mulhouse. Ils sont d’ailleurs nombreux à souffrir, aujourd’hui, des méfaits des potasses, et de la fonderie, deux secteurs suicidaires où ils étaient accueillis à bras ouverts faute de main-d’œuvre. Quasiment tous souffrent de problèmes respiratoires. Ils ont payé leurs euros très cher au change…
La ville n’a pas encore perdu ses traditions allemandes
« A l’époque, on ne se rendait pas compte. Ils ne prenaient que les jeunes, et puis tu as ta retraite juste au bout de 25 ans de travail. C’est cela ma jeunesse, à chaque fois que je reviens ici, je fais un saut devant l’usine même si tout est à l’arrêt aujourd’hui », dira ce vieux retraité algérien de la fonderie, rencontré par hasard sur place. En effet, les immense ateliers de la fonderie de Mulhouse sont aujourd’hui à l’abandon. En attendant un avenir… Une partie a été rachetée apparemment par « L’eclerc », un spécialiste des grandes surfaces qui a déjà ouvert. La société commerciale des potasses et de l’azote ne tourne plus non plus comme avant. Des 13 mines exploitées à l’époque, il n’en resterait qu’une seule. « Il y avait beaucoup d’Algériens aussi dans les mines. Mais c’est la majorité c’était des Polonais, ils était plus spécialistes. » Le vieux ne semblait pas du tout pour autant avoir mal de remonter le passé… Mais plutôt fier de voir ces usines vieillir avec lui… Les restes des ateliers ne sont pas jolis mais ils en rajoutent un certain charme au décor. Comme des vestiges, ils continuent à s’imposer au milieu de cette architecture propre à la région d’Alsace. En dehors des nouvelles batisses du centre, voulu celui de l’Europe, la tendance reste aux maisons de un, deux, trois étages avec des charpentes en tuiles rouges. Vu du ciel, on se croirait d’ailleurs en Kabylie. Avec les oliviers, les figuiers en moins toutefois. Il n’ont pas cette chance… Mais sinon même si on ne croise pas un âne fréquemment, presque une famille sur deux a une brouette chez elle. De part sa situation géographique, carrément un carrefour entre la France, la Suisse et l’Allemagne, Mulhouse devait fatalement assumer ce statut de la plus européenne des villes françaises. Il a été d’ailleurs au centre du conflit franco-allemand dans les années quarante où nombre d’Algériens, les premiers au front, ont péri en défendant la France. D ’ailleurs une place leur est réservée au mémorial érigé à la place du général de Gaulle à la mémoire de la première division blindée avec cette mention :
« Algérie 1ère au Rhin 8 août 1944 – 19 Novembre 1944 ». Le mémorial tourne le dos à la gare centrale de Mulhouse, un autre repère pour nos émigrés qui y transitaient à chaque va-et-vient. Depuis, la vie a changé, la guerre est aujourd’hui d’un autre genre… Autre temps, autre génération ! Dans les ruelles de la ville, chacun vaque à son souci. Personne ne fait attention à l’autre. A Mulhouse, on est plus désagréablement frappé de voir quelqu’un laisser tomber un papier que de surprendre un couple se câliner au coin d’une rue. On ne vous fera jamais de remarque. Au pire on vous applaudira pour le baiser… C’est plus chacun pour soi. Peut-être que cela est-il dû au fait que la ville a toujours accueilli une population venue d’un peu partout… Dans un même quartier tout le monde ne connaît pas forcement tout le monde. ça parle français bien sûr, arabe, suisse, chinois, allemand, kabyle… Les plaques routières sont d’ailleurs indiquées dans les trois langues européennes. Le vélo a toujours sa place dans le parc roulant de la cité. A travers toutes les rues quasiment, un couloir est réservé pour les deux-roues. Le nouveau tramway donne une autre image au décor. Et puis il y a ce sport favori qui distingue les Alsaciens : faire promener son caniche à défaut d’un bébé en poussette en fin d’après-midi…
L’Alsace, une autre Kabylie sans les figuiers et les oliviers…
C’est cet univers que de nombreux Kabyles venus s’installer ici ont adopté avec le temps. Volontairement ou involontairement. Mais ils y en a d’autres qui ont gardé leur rythme, leur manière de vivre même s’ils se sont accommodés à accepter cette différence avec l’autre. Dans tous les cas, ils se sont bien fait une place chacun dans sa catégorie.
Sur la grande esplanade du marché au-dessous duquel coule le canal couvert qui traverse la ville, les affiches de l’ACB (Association culture berbère) rivalisent avec celles du nouveau parti anticapitaliste, Résistance sociale d’Olivier Besancenot, le jeune ex-candidat « 100% à gauche » des récentes présidentielles françaises.
Les premières annonçaient pour samedi dernier une soirée dansante spécial « Yenayer » avec le ballet de Gouraya et une troupe d’Idebbalen au centre culturel PAX, et les autres, un meeting d’Olivier Besancenot pour le 7 février prochain à la place de la Bourse. Besancenot débarque à Mulhouse pour faire campagne à ses candidats pour les municipales. Noêl Mammere, le chef de file des Verts, est lui également attendu pour venir apporter son soutient à sa liste conduite par une certaine Djamila Sonzogni, d’origine…kabyle, dans cette ville. Djamila est déjà conseillère régionale et municipale. Un lodèle d’intégration qui fait penser à Rachida Dati, Fadhéla Amara… Saïd Chetouane, établi ici en famille depuis les années soixante-dix, en constitue un autre : celui d’une réussite à la sueur de trente années de travaux pénibles ! Il a aujourd’hui 63 ans, 4 garçons, 2 filles tous nés en France, la même femme à laquelle il est resté fidèle depuis leur mariage en 1967, deux immeubles de location d’appartements et 14 ares de terrain en plein ville de Mulhouse. Il faisait partie de ces ouvriers kabyles qui ont débarqué ici dès le début des années soixante- dix. Lui, il est parti de Ouaguenoune. « Je suis venu en France en 1971. J’ai bourlingué à gauche et à droite avant de me stabiliser à l’usine de Peugeot de Mulhouse en 1973. J’y ai travaillé de nuit pendant 30 ans sans un jour d’absence ni maladie. Dans le temps, ce n’était pas aussi facile. Je me souviens comme hier, j’ai dormi dehors à la belle étoile avec le climat d’ici. Pour m’en sortir, j’ai travaillé dur. Pendant 15 ans, je faisais double emploi : je finissais à Peugeot à l’aube et je commençais chez Morrière, une grande charcuterie qui employait près de 400 ouvriers, à huit heures du matin jusqu’à midi. Il me restait l’après-midi pour me reposer, faire à manger, laver la vaisselle, mes vêtements, me soigner en cas de malaise, chercher quelqu’un pour me lire ou écrire une lettre à la famille…» Saïd n’a pas oublié tout çà, mais quand il voit où il est arrivé, il en tire une grande fierté. De la fierté, les Algériens en ont eu aussi ici grâce à…Salah Assad qui y jouait à l’époque au FC Mulhouse. C’était dans le temps… En somme, des souvenirs… Avant d’oublier : Saïd qui dit avoir déjà marié son premier fils en Kabylie, souhaiterait faire de même pour le second cet été, pourquoi pas ? Avis aux intéressées du douar…
D.C.