“Bururu” de Tahar Ould Amar remporte le “Prix Apulée” dans la catégorie Roman de langue amazighe

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Trois lauréats ont été récompensés par le Prix Apulée lors de la cérémonie avant-hier à Alger : Ahmed Khiat, Tahar Ould Amar et Mohamed Attaf. Les trois écrivains ont reçu le premier prix pour leurs ouvrages respectifs édités en langues arabe, amazigh et française. Tahar Ould Amar, journaliste et chroniqueur à la Dépêche de Kabylie, voit ainsi sa première œuvre récompensée par un prix littéraire.

Le roman Bururu paru en 2006 aux Editions Azur, inaugure assurément une nouvelle étape dans l’écriture en tamazight, étape qui essaye de dégager la littérature amazigh des pesanteurs imposées par les circonstances historiques du combat pour la reconnaissance de cette culture.

En effet, la naissance de l’écriture en tamazight n’a pas pu- et c’est un phénomène normal dans l’entreprise d’affirmation identitaire- échapper aux schémas de revendication dont le style et la vision ont indubitablement déteint sur les œuvres de fiction lesquelles, moyennant une esthétique qui leur serait propre, auraient pu s’imposer en tant que tels. Ces “péchés mignons” de la première génération des œuvres littéraires en tamazight sont observés dans une tendance que certains critiques appellent l’écriture “ethnographique” qui confine parfois au “patrimoine culturel” ou au folklore dans leur acception conservatrice ou bien encore à un discours politique affadissant l’esthétique générale de l’écriture.

Avec “Bururu”, le lecteur kabylophone est ainsi invité à faire un voyage dans la nouvelle Algérie des années 1990 par le moyen de sa langue maternelle. Sans fioritures, cette langue est celle qualifiée chez nous de “timserreht” (coulante, fluide). C’est en toute évidence un choix mûrement réfléchi du fait que Tahar Ould Amar a un accès assez poussé à tous les travaux qui sont menés actuellement sur la langue amazigh dont la néologie. En évitant — à quelques exceptions près — l’emploi de mots nouveaux confectionnés par les “techniciens” de la langue, l’écrivain adhère manifestement à cette vision qui fait que l’on ne ressent profondément le monde et la vie qu’avec les mots qui ont une histoire dans notre âme et notre vécu. La littérature est d’abord le domaine des sensations où l’esprit cartésien a peu de choses à voir. Elle obéit plus à une esthétique personnelle qu’à une illusoire éthique générale. Sur ce plan, l’œuvre de Tahar Ould Amar a admirablement réussi, et les échos parvenus de simples lecteurs et même de certaines personnalités activant dans le domaine de la culture amazigh sont là non seulement pour témoigner que “Bururu” est une œuvre accomplie mais aussi pour exprimer certains manques, voire même certaines maladresses qui ont prévalu jusqu’ici dans le domaine de l’écriture littéraire en tamazight.

Le thème abordé par l’auteur rejoint à peu près les mêmes préoccupations qui ont présidé au choix des mots. C’est même une relation dialectique qui s’établit entre les deux. En effet, c’est en kabyle que Tahar nous introduit dans les maquis islamistes où des acteurs, nonobstant le fait qu’ils portent des armes et vivent dans la clandestinité, portent aussi les séquelles d’une brisure dans la vie, des attaches humaines que les circonstances politiques de l’époque ont perverties et de confus idéaux qui, en fin de compte, rejoignent l’entreprise de recherche de soi.

L’auteur, en nous laissant plonger dans les dédales des aventures qui se passent à Alger, dans certains pays européens et surtout dans les maquis terroristes, réussit l’exploit de ne pas nous encombrer de “politique”. C’est plutôt l’aventure humaine qui prime, et c’est la littérature qui en sort grandie.

Le prix obtenu par l’auteur de “Bururu” est une preuve que le message commence à être décrypté un message non seulement d’une modernité littéraire dont a grandement besoin la littérature amazigh mais aussi un message adressé aux écoles qui dispensent les cours de tamazight depuis quelques années sans être fixées d’une façon rationnelle sur les textes de lecture qui doivent servir de supports didactiques. Les enseignants ont certainement là un joyau à exploiter au grand bonheur des élèves. Une belle victoire qui mérite plus qu’un prix. Elle mérite d’être suivie par d’autres productions qui consacreront d’une façon éclatante l’émergence de la littérature amazighe dans l’univers culturel du monde.

Amar N’Ait Messaoud

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