“Béjaïa présente un risque sismique avéré”

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La Dépêche de Kabylie : Quelles sont les principales failles qui menacent la région de Béjaïa ?M. Mourad Hassissène : Les failles “menaçantes”, pour reprendre votre terme, se situent en profondeur, donc inaccessibles à l’observation directe, mais en surface elles se traduisent par d’autres, plus nombreuses mais, avec à peu près les mêmes caractères géométriques (direction, inclinaison etc.).Dans le peu que je connaisse, il y a naturellement celle de l’Aghbalou (orientée ENE-SSO), dans le prolongement direct du Djurdjura, celle qui délimite immédiatement le Djebel Babors (orientée est-ouest) et enfin toutes celles qui découpent de façon très nette le littoral situé à l’ouest du Djebel Gouraya (orientées est-ouest). J’observe les failles comme un géologue de terrain, je dois rapidement déterminer, celles qui sont actuellement actives, afin de faire la part des choses entre une ancienne ou une néo-tectonique et qui est primordiale pour toutes les interprétations faites notamment, à partir de photos aériennes ou satellitaires. Il y a des cas où l’on ne peut observer le tracé d’une faille, directement, comme par exemple une grande partie de la faille de l’Aghbalou, située sous la mer Méditerranée sur à peu prés quarante kilomètres ; à travers le plateau continental, et dans ce cas les appareils des géophysiciens, me semblent indispensables !Dans tout cela, la bonne nouvelle est que, une grande partie de la région de Béjaïa, notamment les Babors, semble échapper à un risque sismique de grande intensité. En effet, mes quelques passages dans la région (Béni-Ourtilane et Béni Maouche) après chaque secousse sismique, m’ont permis de prendre des mesures de fracturation, celles-ci sont conformes de par leurs caractères géométriques à celles que l’on connaissait dans tout le domaine des Babors.Sans prétention aucune, on peut conclure que les failles génératrices sont profondes, elles affectent des roches rigides du socle, leur mouvement se transmet aux roches plutôt souples et décollées de la couverture situées au-dessus :• Première conséquence : Les anciennes failles de surface rejoignant avec une préférence, les grands décrochements dextres, ENE-SSO, qui jouxtent les grands djebels baboriens et dont ils sont les artisans.• Deuxième conséquence : Dans cette logique, I’énergie libérée par les failles profondes, est largement prise en charge par les grands décrochements cités plus haut, mais aussi par leurs failles-satellites qui sont nombreuses, La dispersion et l’amortissement (surtout au niveau de la dysharmonie créée par les roches gybso-salines triasiques,) de cette énergie permettent d’exclure la possibilité de secousses de grande magnitude. Le risque de plus grandes amplitudes augmente en se rapprochant du littoral, mais c’est déjà un autre contexte géologique, lié plutôt à la Méditerranée !

Voyez-vous que c’est urgent de mettre en place une ministation de surveillance sismologique des failles de Béjaïa, et où proposez-vous de l’installer ?L’utilité ou non d’une telle station ne se pose pas uniquement pour la région de Béjaïa, mais bien pour l’ensemble des régions maghrébines entre l’accident sud-atlasique, et les régions côtières, suivant un maillage assez serré.Dans ce cadre, alors on choisit des endroits où elles sont faciles d’accès aux universitaires, par exemple proches des universités.

Faut-il dorénavant associer de préalables études géologiques du sol avant de procéder à toute construction ?Naturellement et pas uniquement dans une éventualité de risque sismique d’ailleurs avéré, car la région dans un très proche avenir aura d’autre soucis à gérer, je pense notamment à l’érosion marine principalement de la côte orientale, aux inondations des régions en aval de l’oued Soummam et aux glissements de terrains, qu’ils soient en masses ou liquéfiés. Il me semble également important de signaler que ces phénomènes sont interdépendants, c’est-à-dire que l’un se nourrit de l’autre. Au risque de créer une panique, il faut rappeler qu’un aménagement qui demande une modification même légère du relief, peut lors d’un hiver pluvieux (hiver 2002 : 200 mm d’eau en 3 jours dans la vallée de la Soummam) et sous l’effet d’une petite secousse sismique entraîner une série d’événements fâcheux et irréversibles. Dans cette optique, connaître le sol du point de vue géologique et structural d’une région que l’on veut aménager devient primordial. Pour que ce point devienne une réalité quotidienne pour les professionnels de l’aménagement, prenons l’exemple de l’observation de l’embouchure de l’oued Soummam à partir de photos aériennes : En 1962, on voit nettement que le lit de l’oued se dirige vers l’est en entrant en mer, depuis moins de dix ans (1998) celui-ci apparaît dirigé plutôt vers l’ouest. On conclut que certains aménagements, parfois minimes du littoral proche ont été à l’origine de ce changement de direction. Les conséquences sont et seront encore plus fâcheuses pour toute les régions orientales (Tichy, Aokas, Souk-EI-Tenine etc..)mais aussi occidentales. Les apports en sédiments tels que les argiles, les sables et les galets se dirigent plutôt vers l’ouest, c’est-à-dire le port de Béjaïa !

Tsunamis, séismes, glissements de terrains, la Terre “dégringole”. Que peut faire la science ?La terre ne dégringole pas, la surface de son sol change, souvent naturellement, mais parfois sous l’effet des actions de l’homme. Ce dernier a toujours su gérer ces problèmes par la science. Mais La science a des limites, avec le temps elles sont repoussées plus loin, grâce notamment à l’avancée technologique. Tout ce que je peux répondre, c’est qu’en Algérie et particulièrement dans la région de Béjaïa, tout est à construire, donc: faisons le bien! et de façon réfléchie. Pour mener à bien ce travail, la connaissance de la région du point de vue géologique, climatologique etc… doit être une préoccupation de tout un chacun. Le littoral également doit retenir l’attention de tout le monde, car agressé, ce sont toutes les zones proches qui le seront bientôt.Pour l’instant la science donne des réponses satisfaisantes dans certains domaines comme la qualité de l’habitat en zone sismique même si elle ne peut à l’heure actuelle les prévoir, dans les prévisions météorologiques à court terme, la connaissance de la dynamique littorale etc… la science enfin, aide l’homme à mieux connaître les mécanismes de fonctionnement du sol et de ses habitants, et c’est la condition pour préserver nos environnements. Pour un pays en construction, on ne doit en aucun cas laisser la place à la fatalité. Comme on dit, il vaut mieux prévenir que guérir, pour ne pas laisser place à une autre fatalité, celle de faire appel aux experts étrangers !

Entretien réalisé par Hadouche Chihani

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