»Les Adieux de Noël” : l’histoire d’un amour et l’amour d’une histoire

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D. D. K. : Tout le monde parle de vous et votre roman interpelle toutes les curiosités. Pouvez-vous nous brosser le portrait général de ce premier-né ?

C. C. : Pour parler de façon générale, mon premier-né (puisque vous le nommez ainsi) représente le travail d’une immersion profonde dans nos sociétés modernes, un travail de plus de deux ans pour ainsi dire. J’ai donc essayé d’aller là où mes prédécesseurs ne sont pas allés et d’y recueillir toutes les données susceptibles de nourrir aussi bien le réel que l’imaginaire. Sur mon chemin, j’ai croisé l’amour et la haine, la platitude et le truisme, le malaise et le mal-être, le tabou et le sacré, des gens qui rient et des gens qui pleurent et enfin la vérité et le mensonge.

Le cœur de nos sociétés est un lieu commun, une réalité toute banale si notre regard est naïf, mais dès qu’on ose démasquer cette banalité, à partir du moment où notre courage dévêt le masque imposé, on se rend compte que le lieu commun n’est finalement qu’une fosse putride, pourrie et corrompue. N’en sort bien sûr qu’une image fausse et mensongère tandis que la vérité n’est pas loin du bout du nez.

Ce périple au cœur même de nos sociétés est finalement la seule démarche qui m’a permis d’écrire ce premier roman. Après observation et grâce à mes intuitions, j’ai essayé de confronter tous les éléments recueillis, en tenant compte du passé colonial bien sûr, mais je me suis surtout nourri de deux cultures différentes et profité de mes expériences quotidiennes les plus piètres au sein de la société française qui m’a accueilli.

Je vis avec des Français et je suis de façon acharnée l’évolution des choses dans cette société qui se meut tous les jours un peu plus. Et quand on voit les choses très sincèrement, quand on les démêle avec finesse, on est franchement désolé, voire écœuré.

Voici en clair mes outils de travail pour ne citer que ceux-ci et, finalement, mine de rien, quand on assemble tous ces éléments point par point, quand on cherche à interpréter des phénomènes simples qui, hélas, nous dépassent généralement, on découvre malheureusement la tragédie.  » Les Adieux de Noël  » est justement l’œuvre qui confronte deux destins tragiques, deux pays éplorés par le passé mais pas tout a fait réconciliés aujourd’hui encore.

Justement, hormis la religion, quels sont les aspects sur lesquels l’Algérie et la France divergent ?

Au lieu de parler d’aspects, je préférerais dire  » fondements  » ou  » valeurs « . C’est très important car de mon point de vue les divergences sont bien profondes et touchent aux valeurs intrinsèques de nos sociétés, mais le tragique intervient quand on tourne son regard vers le passé. N’omettons tout de même pas qu’un siècle et demi d’Histoire nous relient à la France, qu’une guerre sanguinolente et barbare a contraint nos parents et grands-parents à rejoindre le maquis et à passer à la lutte armée sans qu’on leur ait laissé le choix.

N’oublions pas non plus que la palette chantante qu’était notre pays a pris une couleur rouge sang du jour au lendemain, et cela reste gravé dans la mémoire collective. Mais dans mon roman mon souci n’est pas d’aller vers l’Histoire, ce qui n’est pas du tout mon but ni ne relève de mes compétences. Toutefois, du début à la fin l’Histoire est maintes fois venue à moi et s’est imposée d’elle-même : elle s’est immiscée dans mon travail de façon évidente.

Mes personnages l’évoquent et la revisitent pour comprendre leurs identités obscures, ils l’interrogent pour obtenir réponse à leurs préoccupations et tentent par là même de briser le mur qui se dresse devant leur destin.

Il est par ailleurs important de souligner qu’ »incompréhension » et « errance » sont peut-être les mots qui résumeraient le mieux l’histoire des « Adieux de Noël ». Mes personnages avancent et reculent en même temps, ils sont victimes de définitions arbitraires et de stéréotypes que nos sociétés ont mis en place depuis bien longtemps, mais leur malaise se ressent quand ils se rendent compte de la différence de leurs langages, quand ils comprennent tardivement que leurs sociétés s’attirent en restant éloignées et s’entredéchirent dès qu’elles se rapprochent un tant soit peu. C’est sur ce plan que la France et l’Algérie divergent énormément.

En plus du choc colonial et du déni abrupt de l’injustice expansionniste qui voulait nous arracher à nos terres le siècle dernier, la religion survole et surveille de près nos faits et gestes. Cette logique nous enferme dans un idéal trompeur et jette son voile de brume sur nos sociétés : voici exactement l’étrange phénomène qui a attiré toute mon attention.

Vous entamez votre roman par un chapeau d’historien. Pourquoi ?

Pas tout à fait. C’est un avant-propos dans l’édition française actuelle qui peut subir des changements dans l’édition algérienne toute prochaine, mais j’y ai noté notamment quelques paragraphes explicites pour attirer l’attention du lecteur sur quelques points importants et le ramener vers l’univers de mon roman. En revanche, je ne peux me prétendre historien encore même si, comme tout le monde, je suis concerné par l’Histoire et ai tous les droits d’en tirer des arguments.

Cette entrée assez brusque est en effet minutieusement étudiée, le choix des mots y est bien intentionnel et vise à donner le ton au tout début et avant la lecture. Parfois, il faut savoir être direct et clair car certaines vérités ne nous laissent pas le choix des mots. A titre d’exemple, Jean-Paul Sartre, qui était l’un des premiers opposants de la métropole française au début de la Guerre d’Algérie, avait publié dans Les Temps Modernes (la revue qu’il dirigeait alors) un article dont le titre seul avait provoqué le scandale et le mécontentement des pro-colonialistes. L’article s’intitulait « l’Algérie n’est pas la France ». Plus tard, dans sa préface au livre de Frantz Fanon, « Les Damnés de la Terre « , il notera :

« (…) Aux colonies la vérité se montrait nue ; les « métropoles » la préférait vêtue ; il fallait que l’indigène les aimât. Comme des mères, en quelque sorte. L’élite européenne entreprit de fabriquer un indigénat d’élite; on sélectionnait des adolescents, on leur marquait sur le front, au fer rouge, les principes de la culture occidentale, on leur fourrait dans la bouche des bâillons sonores, grands mots pâteux qui collaient aux dents; après un bref séjour en métropole, on les renvoyait chez eux, truqués. Ces mensonges vivants n’avaient plus rien à dire à leurs frères ». Voilà la tragique Histoire des Hommes que l’on ne peut pas gommer facilement, les raisons qui font qu’aujourd’hui encore des malaises s’imposent et compliquent les gestes les plus simples de la vie de tous les jours. Mais cette vérité, à mon avis, il faut la savoir et l’accepter pour avancer au lieu de lui tourner le dos; sil faut s’en servir pour s’enrichir ; on ne peut réfléchir à présent en se séparant du passé. Inévitablement, du début jusqu’à la fin, mes personnages se sont retrouvés nez à nez avec l’Histoire et pied à pied avec la religion qui n’est jamais loin d’eux. Au milieu de deux feux, pressés, pressurés ils n’ont plus le contrôle de leurs vies ; ils deviennent tout simplement objets. Objets de l’Histoire, objets de la société, objets de la religion. C’est sous cet angle qu’Histoire et Religion donnent tout son sens à mon roman, mais la littérature et le romanesque mènent tout le travail et dirigent ma plume tout au long du texte naturellement.

Quelques précisions sur le style et le choix des mots…

Dans Les Adieux de Noël l’histoire commence quand le temps s’arrête. Elle commence par la fin, se construit ensuite la boucle qui durera trois ans. Le temps y est lent et insupportable, la vie des personnages se complique de ligne en ligne et le sens prend forme au fur et à mesure que le texte se développe. Ce choix de boucle sans issue symbolise et représente tout l’univers du roman et les sentiments de déceptions qu’il enveloppe ; il aide également les destins brimés des personnages à mieux exprimer leur désarroi et leurs déboires ; c’est aussi un clin d’œil à nos sociétés figées qui voient le temps défiler sans sortir de leur léthargie. Mais ce qui prime n’est autre que le mot qui y prend toute sa valeur. Le référent culturel étant omniprésent, la rivalité de nos deux sociétés de par leurs différences et le thème que j’ai choisi m’ont souvent permis de créer des carrefours où se rejoignent simultanément plusieurs problématiques. Le discours spontané, d’une part, et les longues lettres, soigneusement rédigées et immodérément supputées par les épistoliers d’autre part, permettent aussi au lecteur d’explorer les sentiments les plus profonds de l’amour proscrit.

Au moment de la rédaction de ses lettres, l’épistolier se sert, dans un esprit de maïeutique, des meilleurs arguments pour ramener son destinataire vers son raisonnement. Il opère de façon à ce que chaque mot soit convaincant et influent ; il va même jusqu’à défaire littéralement le raisonnement de la personne qu’il aime éperdument. La passion amoureuse frise alors à tout instant l’aversion et chacun doit savoir aimer sans céder. L’Algérien doit défendre ses valeurs, la Française ne peut négliger les siennes. Et c’est cet antagonisme incessant et croissant—, qui est tout à fait la représentation du réel— qui m’intéresse dans mon travail d’écriture.

Votre roman est-il autobiographique ?

Non. L’autobiographie est un genre littéraire à part entière, il a ses exigences et ses procédés. Dans mon cas, même si je me suis servi de mes modestes expériences je les ai souvent trahies. Je me laisse guider par l’imaginaire, je crée des situations qui n’ont jamais existé et donne naissance à des personnages absolument fictifs. Je ne m’interdis pas la métaphore exagérée, je ne limite jamais mon imagination même si je ne m’éloigne jamais du réel. Enfin ma vie traverse le roman de bout en bout mais le roman ne traverse pas ma vie.

Le lecteur algérien vous attend avec impatience : qu’attendez vous pour traverser ?

J’ai effectivement écrit ce roman pour les Algériens avant tous les autres. Ils n’ont malheureusement pas encore la possibilité de le lire, mais la situation a beaucoup évolué et le roman s’apprête de plus en plus à dépasser les frontières. L’accord définitif de sa publication sera bientôt conclu et je ferai de mon mieux-au-delà même ! —, pour que Les Adieux de Noël entrent dans les librairies algériennes dans les mois à venir.

La Dépêche de Kabylie vous a ouvert ses colonnes. Elle vous laisse le soin de conclure…

Merci de m’avoir consacré cet entretien : je suis très ravi. Sinon, en attendant de rentrer très prochainement en Algérie pour la publication de mon premier-né, j’aimerais informer les lecteurs algériens de l’état d’avancement de mon second. J’aimerais leur dire qu’aussitôt ils auront fini de lire Les Adieux de Noël ils auront une autre histoire à découvrir.

Je suis en train de la fignoler et j’espère répondre aux attentes du lectorat de mon pays dans toute sa diversité.

Entretien réalisé par : Lounis Melbouci

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