“Il y a ceux qui en font trop, ceux qui ne font rien et ceux qui ne savent quoi faire”

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La Dépêche de Kabylie : Une des raisons qui est invoquée par les spécialistes pour expliquer le retard dans le développement local est celle liée à la question du manque de compétences dans les administrations publiques dans l’accompagnement des projets ; quel est votre avis sur le sujet ?

En effet, le problème des compétences dans les administrations publiques est l’une des pistes qu’il faut privilégier dans toute analyse explicative. C’est peut-être sur cette question qu’il faut tout d’abord s’interroger dans la mesure où elle pose la problématique du développement en se focalisant sur l’homme comme acteur et producteur de richesses. Comme tout le monde l’aura constaté, l’embellie financière qui a caractérisé le pays depuis la montée des cours du pétrole n’a pas suffi pour donner une impulsion significative au développement économique et social dans le pays. C’est dire que l’argent ne fait pas tout.

Mais il faut se garder d’avoir une vision réductrice et de poser le problème seulement en termes de compétences individuelles au niveau des administrations publiques. Le problème est encore plus profond et il faut, à mon sens, poser la problématique de la compétence de l’administration publique dans l’accompagnement des projets de développement. Cela nous renvoie au problème de l’allocation des ressources humaines et matérielles et aux questions d’organisation. Il suffit, pour s’en rendre compte, de voir dans quelles situations se débattent les structures exécutives de wilaya. Cela dit, un ingénieur ou un architecte qui faisait, il y a quelques années, le suivi d’une dizaine de projets par année, se voit confier maintenant le même volume de travail en un trimestre, voire en un mois. Dès lors, il ne faut pas s’attendre à des miracles, c’est dans la qualité qu’on reçoit le revers de la médaille.

Est-ce que vous sous-entendez par là qu’il y a une surexploitation du personnel des administrations publiques alors que d’aucuns ne cessent d’accuser les agents publics de manque de présence ?

Non ! Tout ce que je veux dire c’est qu’il y a une inadéquation entre les objectifs fixés dans les projets de développement et les structures administratives chargées de leur suivi. Et pour répondre à votre question, je dirai plutôt que dans nos administrations, il y a ceux qui en font trop, ceux qui ne font rien et ceux qui ne savent pas quoi faire. Ce qui caractérise actuellement les administrations publiques, c’est leur caractère foncièrement bureaucratique où la recherche de la rigueur réglementaire déteint sur toutes les autres considérations de qualité et de satisfaction des promoteurs, des citoyens.

La démarche de gestion et de management des services publics a du mal à s’imposer dans nos administrations. Pour preuve, on continue à parler plus de gestion de dossiers que de gestion de projets. Alors que dans le cadre de la gestion d’un dossier, on achève sa mission à l’établissement de la dernière pièce administrative, contrairement à la gestion du projet où le travail ne s’arrête pas à cette phase. Tout un autre travail doit suivre pour évaluer l’impact du projet dans la société et analyser les conditions dans lesquelles il a été réalisé. Un retard dans la réalisation d’un équipement social, par exemple, a pour effet de générer des surcoûts qu’on a du mal, dans bien des cas, à évaluer.

Pour rompre avec cet environnement de travail, une réforme profonde de l’Etat est nécessaire. Cette réforme doit s’appuyer sur une délégation accrue des pouvoirs et des responsabilités au niveau local avec, bien entendu, un rôle direct des élus locaux et une gestion plus rationnelle de la ressource humaine. L’administration algérienne doit s’adapter à toutes les évolutions que vit le monde aujourd’hui. Croire qu’il est possible de gérer les institutions de l’Etat avec les vieux réflexes des années 70, c’est faire preuve de cécité.

L’administration n’a pas pour vocation, comme par le passé, de se substituer à l’entreprise. Sa mission principale, aujourd’hui, est l’accompagnement des opérateurs économiques dans les meilleures conditions possibles, pour le développement du pays. Mais pour ce faire, il va falloir engager une véritable bataille contre ces attitudes qui nous font dire que « l’administration est ingrate » et qui nous font penser que derrière chaque agent administratif veille un vieux démon de la bureaucratie.

Propos recueillis par M.A.Temmar

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