La régression qui le frappera graduellement à partir des années 80 n’était pas due uniquement à un contexte spécifique touchant tous les produits agricoles et forestiers, mais aussi à une substitution d’une rente naturelle supposée pérenne par une rente, pétrolière, non renouvelable dont l’essor commercial à l’échelle de la planète est si florissant qu’il a fini par reléguer à l’arrière-plan les anciens produits d’exportation.
Pourtant, le patrimoine subéricole de l’Algérie est l’un des plus importants de l’aire écologique méditerranéenne. Sur l’ensemble de la superficie forestière (7 millions d’hectares entre forêts, maquis et alfa), le chêne-liège occupe une superficie de 460 000 hectares. Notre pays était pendant la colonisation le premier producteur de liège au niveau mondial. Les autres pays producteurs sont principalement le Portugal, l’Espagne, l’Italie, le Maroc, la Tunisie et la France. Actuellement, l’Algérie occupe le troisième rang (7% de la production mondiale) après le Portugal (57%) et l’Espagne (23%). Le Portugal possède un patrimoine de liège évalué à 700 000 ha ( 100 000 ha de plus par rapport aux années cinquante), l’Espagne en possède 450 000 ha et le Maroc 350 000 ha.
Le chêne-liège (nom scientifique : quercus suber) est un arbre de la famille des fagacées spécifique au bassin occidental de la Méditerranée et à la côte atlantique du Portugal. En Algérie, il peuple les forêts du la région côtière de l’Ouest (Tlemcen) jusqu’à l’Est (Annaba) et fait parfois des incursions jusqu’à la limite des Hauts-Plateaux dans les micro-zones humides non calcaires (comme sur les monts du Titteri de la wilaya de Bouira où il se mélange avec le chêne vert). Dans les étages bioclimatiques humides, le chêne-liège présente une constitution robuste et prend une taille allant de 10 à 14 mètres et un diamètre de 0,5 à 0,8 mètre. Sa longévité varie de 150 à 200 ans, mais sa production maximum est atteinte aux environs de 100 ans. La particularité de cet arbre est sans aucun doute sa formidable capacité de régénération par drageonnage. C’est ce qui a permis sa survie aux ravageurs incendies qui l’ont affecté depuis les insurrections du XIXe siècle jusqu’à la guerre de Libération et la période de lutte antiterroriste. Ce qui fait en même temps sa vulnérabilité, c’est incontestablement le développement du sous-bois qui accompagne les peuplements de chêne-liège (calycotome, lavande, globulaire, genêt, ronce, lentisque, ciste,…) et qui constituent un puissant combustible. Ajoutons à cela la forte densité des peuplements (parfois jusqu’à de 600 sujets/ha) lorsque des travaux sylvicoles n’y sont pas effectués après la régénération. Une densité excessive génère une concurrence dommageable aux arbres, gêne les travaux de récolte de liège et empêche la lumière de pénétrer profondément dans les bois. Or, le chêne-liège est réputé comme étant une espèce de lumière, d’humidité et de chaleur. Tout en acceptant des altitudes forts variées (de 0 à 1300 mètres ), il exige un minimum de 550 à 600 mm de pluie par an et une humidité atmosphérique de 60% au moins pendant les mois de la saison sèche (de juin à septembre). Le sol sur lequel s’élève le chêne-liège ne doit être ni calcaire ni argileux. Il prospère sur des terrains profonds et particulièrement sur des sols siliceux et sableux. Même si cet arbre régénère par semis (glands), ce mode demeure fortement aléatoire en raison de la densité du sous-bois qui risque d’étouffer les jeunes plantules, des longues périodes de sécheresse et des pâturages. La voie la plus favorable à la reconstitution naturelle des forêts de chêne-liège est la régénération par rejet ou drageons. Non seulement le nombre de brins est important- ce qui constitue en même temps une charge de travail en raison des éclaircies que cela entraîne-, mais leur croissance est beaucoup plus rapide que les brins issus des semis. Parallèlement à la reconstitution naturelle, des actions de repeuplement ont été initiées au cours de ces dernières années par la Direction générale des forêts à travers plusieurs wilayas. Pour pourvoir aux besoins de cette opération, une importante pépinière est créée à Guerbès, dans la wilaya de Skikda. Celle-ci reçoit la matière première (les glands) des différentes wilayas du territoire national possédant des peuplements de chêne-liège (Tizi Ouzou, Béjaïa, Bouira, Tlemcen, Annaba, Skikda, Jijel,…).
Une histoire et des aléas
Parmi les matières premières dont dispose l’Algérie, le liège est sans doute le plus le plus fragile vu le contexte écologique, social et économique dans lequel il évolue. Depuis l’Indépendance, la courbe de la production de liège a subi un mouvement descendant au gré des possibilités d’exploitation, elles-mêmes dépendant de la disponibilité de la main-d’œuvre qualifiée, de l’état des peuplements et des potentialités des entreprises de transformations. Les réserves actuelles sur le terrain sont estimées à 300 000 quintaux/an, alors que les chiffres de l’exploitation effective sont très loin de ce potentiel. A titre d’exemple, seuls 18 543 quintaux ont été récoltés en 2005 ; de ce volume, ont été commercialisés 2915 quintaux, le reste étant resté en stock. En 2006, le volume récolté est de 19 870 quintaux et une grande partie reste à ce jour en stock. La production de 2004 était évaluée à 80 000 quintaux, alors qu’elle était de 400 000 quintaux en…1940. Il est vrai que la régression de la production a touché l’ensemble du bassin méditerranéen puisque celle-ci s’est stabilisée au cours des dernières années autour de 350 000qx. Le marché mondial de la production de liège représente 1,5 milliard de dollars dont les deux tiers reviennent à l’industrie des bouchons. Le reste étant constitué de matériaux d’isolation acoustique et thermique, de carrelage (revêtements muraux et décoratifs) et de pièces accessoires de certains dispositifs mécaniques. On estime le pourcentage du liège algérien éligible à l’exportation- du point de vue de la qualité- à 50% du total de la production.
La faible production de liège au cours de ces dernières années en Algérie est essentiellement due à la régression du couvert subéricole (incendies répétés sur les mêmes parcelles, défrichements délictueux, vieillissements de certains peuplements, attaques parasitaires non traitées, retard dans la reconstitution des forêts par les reboisements,…), à une situation instable de la main-d’œuvre qualifiée (saisonniers qui s’adonnent à d’autres emplois informels au cours de l’année) et à la situation sécuritaire pendant la décennie 1994-2004.
Un autre problème semble sérieusement peser sur les produits récoltés et parfois même sur le produit sur pied. Ce sont les réseaux de vol constitués en mafia à la faveur du climat d’insécurité dans certains massifs forestiers. Cela est particulièrement vrai pour la campagne de récolte de l’année 2004 où la presse s’est fait l’écho du désastre qui eut lieu à Annaba (massif de l’Edough, près de Séraïdi). Ces réseaux sont même arrivés à exporter illégalement leur butin vers l’Europe, avec des complicités assez élevées bien entendu. Comme tous les produits naturels à fort potentiel lucratif (sable des oueds ou des plage, bois d’œuvre ou d’industrie,…), le liège est puissamment convoité et ciblé par les réseaux mafieux aussi bien à Annaba, qu’à Skikda et Jijel. Vendu sur site à 2000 DA le mètre cube, il passe en deuxième main à 8000 DA avant d’atterrir entre les mains des ‘’exportateurs’’.
Au vu de tous ces facteurs entravant la production et la commercialisation du liège, ce sont avant tout les entreprises de transformation (à l’exemple de l’ENL, entreprise publique) qui subissent les plus fâcheuses conséquences. A titre illustratif, ces entreprises qui comptaient naguère plus de 1400 employés se sont débarrassées de la moitié du personnel. Au sujet de leur éventuelle privatisation, Yalaoui Mohamed Idriss, P-DG du groupe Industrie liège Algérie, dira (El Watan du 27 septembre 2004) : » Nous avons toute la disponibilité pour nous inscrire dans le cadre du programme du gouvernement et du désengagement de l’État sur les entreprises publiques. Les repreneurs existent, des investisseurs sont intéressés, mais il subsiste encore quelques contraintes administratives et procédurales qui freinent encore la mise en œuvre rapide des programmes de privatisation. Les conditions de vente ne sont pas clairement définies pour permettre la cession rapide des entreprises (…) Si nous n’engageons pas immédiatement un nouveau programme de maintien de l’activité, en parallèle la politique de désengagement, on risque de se retrouver avec des entreprises squelettiques en matière d’équipement avec un mode de fonctionnement dépassé en l’absence de formation de personnel. De ce fait, la cession risque de ne pas se produire en l’absence de repreneur qui choisirait de nouveaux investissements « .
Il est clair qu’une nouvelle stratégie de la production du liège s’impose en Algérie. En tant que matière première destinée à la transformation industrielle- et à laquelle est imposée une puissante concurrence à l’échelle du bassin producteur, à savoir la Méditerranée- et en tant que segment important de l’économie rurale de laquelle des milliers de familles tirent leurs revenus, la filière liège, dans sa stratégie de relance, a besoin de la synergie de tous les acteurs et partenaires, à commencer par la Direction générale des forêts dans le volet réhabilitation et extension du patrimoine subéricole jusqu’aux responsables de la politique de privatisation pour prendre en charge le destin des entreprises publiques de transformation de liège.
Amar Naït Messaoud
