Une chape de plomb s’abat sur la Kabylie

Partager

Comme il a abordé la question de la situation sécuritaire qui est en recrudescence en Algérie, notamment dans la région de Kabylie.  » Le pouvoir a laissé pourrir la situation sécuritaire en Kabylie, qui est la locomotive de la démocratie « , a-t-il expliqué. Il s’est également étalé sur son état de santé, dont il dira :  » Je suis debout, je n’ai jamais baissé la tête, ni fléchi le genou, et je n’ai d’autre combat que celui de faire respecter les droits de l’Homme…. « . Il est, aussi, revenu sur son livre intitulé « La dignité humaine « , paru l’année dernière.

1-D.D.K: Maître, voulez -vous nous faire visiter le monde des droits de l’Homme en Algérie?

Ali Yahia Abdenour: Les droits de l’Homme sont le produit des luttes contre la négation de l’histoire et de la mémoire collective, la répression des peuples et l’oppression des cultures, c’est l’oppression qui a enfanté la liberté, et la répression qui a enfanté les droits de l’Homme. Leur violation ont été les malheurs de l’humanité, qui a toujours souffert de son inhumanité. Ils reposent sur les principes qui sont à la base de la Charte des Nations unis de 1945, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, des deux pactes internationaux sur les droits de l’Homme de 1966. Ils sont politiques, économiques, sociaux et culturels. Les deux faits marquants de la fin du deuxième millénaire ont été l’universalité des droits de l’Homme, condition sine qua non du dépassement des particularismes nationaux et de ses spécificités culturelles. Droits de l’Homme et paix sont les deux aspects indissociables de la vie humaine. Toute tentative de sauver l’un au détriment de l’autre, assurer la paix aux dépens de la vérité et de la justice conduit à l’échec des deux. Soutenir tous les personnages politiques ou d’opinion, quelles que soient leurs opinions est la règle d’or. Pourquoi deux poids deux mesures, en fonction du statut social ou de l’engagement politique ou idéologique du prisonnier? Il n’y a pas de différence entre toutes les victimes de la répression affectée du même cœfficient d’humanité car les droits de l’Homme sont au-dessus de tout clivage politique ou idéologique.

La devise dans la voie du devoir nous rappelle constamment que les droits de l’Homme reviennent de loin en Algérie, mais ils ont encore un long chemin à parcourir, et qu’il faut être plus sensible, plus motivé, plus déterminé à poursuivre la route qui reste à faire.

2-D.D.K: Que pensez-vous de la situation sécuritaire en Kabylie?

Le pouvoir a laissé pourrir la situation sécuritaire en Kabylie, qui est la locomotive de la démocratie. Un vent de violence a soufflé sur cette région qui a basculé dans l’horreur en vivant dans la peur, l’angoisse, le calvaire. Le tableau qu’elle présente est triste: assassinats, kidnappings, ratissages, les assassinats sont insupportables, c’est la négation de l’humanité.

En Kabylie, l’horizon est obscur assombri pour longtemps. Une chape de plomb s’abat sur la région et l’installe dans un interminable deuil. L’avenir des jeunes générations qui arrivent en rangs serrés sur le marché du travail est bloqué, hypothéqué par une politique génératrice de graves inégalités, qui refuse de les intégrer en tant qu’acteurs de la politique économique, sociale et culturelle, et qui fait d’eux non pas des citoyens mais des sujets, des mineurs immatures.

Les Algériens ont besoin d’une vie de paix, de dignité, de liberté et de justice qui sont les valeurs humaines les plus importantes.

3-D.D.K: Vous venez de rentrer de France, quelle est la situation de notre communauté à l’étranger?

En France le mépris a grandi, la défiance et l’hostilité contre les émigrés, qui défendent leur dignité en luttant contre le racisme, un racisme quotidien, idéologique, véhiculé par les mass médias qui caricaturent et ridiculisent les cultures Méditerranéennes, qui ne sont pas incompatibles avec celles des Algériens de l’autre côté de la méditerranée. Le racisme se caractérise par l’exclusion, l ‘intolérance et l’esprit de haine.

L’Occident a capitulé en sacrifiant l’universalité des droits de l’Homme au mercantilisme, en dissociant économie et droits de l’Homme et en portant aide et assistance à des personnes solitaires.

L’Europe n’est ni une terre d’asile, ni une terre d’accueil pour les demandeurs d’asile politiques. La France, terre des droits de l’Homme, terre de liberté pour les opposants et les condamnés politiques, c’est du passé. L’exil peut-être l’exercice d’une liberté publique, qui s’est justifié par une nécessité, à savoir la défense des libertés mais il ne doit pas être une facilité ni la recherche du confort personnel.

4-D.D.K: Parlons un peu de la situation de la ligue (LADDH) et son avenir?

En mai 2006, le comité directeur désigné par le conseil national de la LADDH issu du congrès des 22 et 23 septembre 2005 a éclaté. Des divergences ont dynamité au lieu de dynamiser son action. Aucun des problèmes posés n’a trouvé de solution, aucune des grandes questions n’a reçu de réponse. La concentration du pouvoir dans la main d’un seul homme ne peut que provoquer des erreurs et des fautes. Un dirigeant de la LADDH ne peut être qu’un homme ou une femme de synthèse et d’ouverture. Chaque organe de la ligue doit limiter ses prérogatives à celles prévues par ses statuts, remplir strictement son rôle et s’y maintenir de manière constante.

La LADDH a ses règles de jeu avec lesquelles on ne peut tricher sans se mettre hors jeu. Le fonctionnement de haut en bas de la ligue se manifeste de manière démocratique. Tout pouvoir au sein de la ligue entre deux congrès est fondé sur la délégation du conseil national, qui, réuni en cession extraordinaire, a mis fin avec fermeté et gravité à la paralysie de la ligue en désignant un nouveau comité directeur, avec Mustapha Bouchachi en qualité de président de la LADDH pour faire face aux exigences du présent et du futur. Mustapha Bouchachi est le mieux à même de porter l’espérance des droits de l’Homme, du fait que la quasi-totalité des militants de la LADDH reconnaissent en lui un homme cultivé, discret, ouvert sur l’avenir, doué d’une grande sensibilité à l’égard des faibles, des marginalisés, des jeunes, des femmes

L’avenir n’est jamais donné, il faut le construire. Le combat de la LADDH pour la défense des droits de l’Homme est permanent. C’est leur violation qui lui a donné la force et la volonté de lutter. Elle reste fidèle à la ligne définie depuis 30 ans déjà, qu’elle précisera et renforcera au cours de son combat.

5-D.D.K: Quel est l’état de santé de Da Abdenour?

La parenthèse carcérale qui s’est terminée après deux arrestations, la première dans les années 83-84, la seconde dans les années 85-86, a eu pour conséquence directe la dégradation de ma santé. A mon âge, 87 ans, on ne subit pas sans dommage les épreuves de longues années de camp de concentration sur le colonialisme externe, et de prison sur le colonialisme interne, une dure et impitoyable activité, sans parler du cœur, que l’angoisse, le stress et le diabète ont mis à rude épreuve.

Sur Internet, un individu a exprimé ses fantasmes les plus débridés, et a charrié des mensonges et des absurdités, en affirmant que j’ai “subi deux opérations du cœur ». C’est absolument faux. La seule certitude est que nul n’est jamais riche que du temps qui lui reste à vivre, je suis debout, je n’ai jamais baissé la tête, ni fléchi le genou, et je n’ai d’autre combat que celui de faire respecter les droits de l’Homme par l’état et ses institutions, d’autre ambitions que l’avènement de l’état de droit et de la démocratie.

6-D.D.K: Parlez-nous de votre dernier livre « La dignité humaine »

Il vient de paraître en France, je l’ai inauguré le 23 février 2008, à la Foire du livre maghrébin. Il contient l’essentiel de ma vision vers la société algérienne dans son ensemble. La vie politique est conçue avec un seul objectif, pérenniser le system politique en place depuis l’indépendance du pays. L’humiliation une fois vécue et acceptée, prépare à en subir d’autres, à obéir et à se taire en toutes circonstances, à ne plus pouvoir vivre, ni penser qu’en aliéné. Les Constitutions peu appliquées sont révisées et souvent usées avant d’avoir servi. Ce livre s’attache à reconstruire les événements de la période écoulée, de comprendre l’essentiel du mécanisme politique qui a engendrée la crise, et de décrire avec rigueur et précision le contexte politique, social, et culturel, qui a présidé à la guerre d’Algérie. Ce livre est l’écho d’une époque marquée par trois refus : celui de l’injustice, de la violence et de la répression, et de celui l’exclusion, mère de l’intolérance.

Il a suscité l’irrévérence à l’égard de nombreux tabous, a soulevé des critiques, a suscité des adversaires pour ne pas dire des ennemis. Certes, avec ce livre qui n’a rien voulu laisser dans l’ombre, tout n’aura pas été dit, mais nul de ce qui est lisible n’aura été par prudence ou par calcul ignoré. C’est aux lecteurs, destinataires et dépositaires de ce livre qu’il appartient de valider ou non la démarche de l’auteur.

7-D.D.K: Un dernier mot-Maître

Je remercie la Dépêche de Kabylie qui a toujours été au devant des causes justes, je remercie son directeur, M. Idir Benyounes, et je tiens à rendre un vibrant hommage aux défenseurs de la démocratie, et des droits de l’Homme, un grand merci pour vous, enfin vive l’Algérie du peuple.

Entretien réalisé par: Nabila Belbachir et Lounis Melbouci

Partager