Un territoire, des hommes et des défis

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Le fait est que ce travail n’est pas un chapitre isolé de l’action gouvernementale.. Il relève plutôt de la stratégie nationale adoptée en matière d’aménagement du territoire. Le débat, les études et les écrits traitant de l’aménagement du territoire n’ont sans doute jamais été aussi présents et aussi prégnants qu’au cours de ces trois dernières années.. Bien que les structures administratives et les services techniques chargés de ce volet important de l’économie nationale aient été installés depuis longtemps, au même titre que tous les autres services ayant simultanément les attributs techniques et de puissance publique, l’action et l’efficacité sur le terrain laissaient à désirer particulièrement à l’ombre de la rente pétrolière, pendant les décennies 70 et 80 du siècle dernier, où aucune espèce d’imagination ou de créativité n’était exigée des cadres et techniciens qui étaient chargés de la gestion spatiale de l’économie nationale et des équilibres naturels basés sur la gestion rationnelle des ressources.

Il y a un peu plus d’une décennie, une initiative de taille fut prise par le ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Équipement en mettant en place des entités de gestion de l’eau de surface sur l’ensemble du territoire national. C’étaient les Bassins hydrographiques, structures administratives et techniques chargées de la gestion des ressources en eau selon leurs répartition spatiale. Les eaux pluviales, représentant environ 12 milliards de m3 par an, ont ainsi été destinées à être gérées selon les bassins versants qui leur donnent naissance. On a eu ainsi : les bassins Isser-Soummam, Chlef-Zahrez, Rhumel-Oued El Kébir, Mina-Tafna, etc. Même si ce genre d’organisation a été mis en place tardivement, il n’empêche que c’est là une intéressante expérience, inspirée sans doute des schémas en vigueur en Europe, répondant à des impératifs géographiques, écologiques et pratiques. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi pour les autres secteurs. L’agriculture, l’habitat, les grandes infrastructures routières, certains équipements publics, les services sociaux, enfin, tous les segments qui constituent l’essentiel de l’ossature de l’économie nationale continuent à souffrir d’une planification spatiale approximative générant désordres sociaux, déséquilibres écologiques et dysfonctionnements organiques. Sur ce plan, le secteur de l’urbanisme et de la construction est sans doute le cas le plus expressif et le plus dommageable de l’anarchie vécue dans l’aménagement du territoire. Les rapports, analyses et études produits à l’occasion du séisme de Boumerdès montrent à ce propos la grande part revenant à l’anarchie urbanistique dans l’ampleur des dégâts. De même, les constructions, parfois en toute légalité, sur des zones inondables ont généré leur part de malheurs suite aux pluies torrentielles survenant au début de l’automne, phénomène somme toute classique sous le climat méditerranéen. Sur ce chapitre, le bon sens paysan de nos ancêtres- qui ont installé Constantine sur un rocher, une grande partie de Tlemcen sur le plateau de Lalla Setti et Tizi Ouzou sur le Col des Genêts (c’est la signification même du nom kabyle)- a plus de pertinence et de sens de la mesure qu’une technicité dévoyée, ligotée par une bureaucratie centralisatrice.

Quant au dossier du foncier agricole lié aux transactions illégales et ayant abouti à l’ensevelissement de milliers d’hectares des meilleures terres d’Algérie sous le béton, il est d’autant plus complexe qu’il fait intervenir des complicités à plusieurs niveaux (administration, élus, barons du système et, parfois aussi, les attributaires eux-mêmes alléchés qu’ils sont par la rétribution sonnante et trébuchante).

Corriger les incohérences d’une gestion au “pifomètre”

Les dysfonctionnements des systèmes écologiques et environnementaux en Algérie ont atteint un tel degré de menace sur les ressources naturelles et les équilibres spatiaux qu’ils risquent même de compromettre la vie des générations futures. Le paradoxe pour l’Algérie- et pour un grand nombre de pays en développement- est de subir les retombées et les tares du monde moderne sans qu’elle puisse en goûter aux doux fruits : l’urbanisation effrénée et anarchique a déstabilisé le cadre de vie des citoyens victimes de l’exode rural et du chômage ; les monticules de décharges sauvages font partie d’un décor trop classique pour susciter une quelconque indignation; les cimenteries, dont certaines sont implantées au cœur de la ville et dont la production ne nous dispense pas de l’importation, sont trop polluantes car techniquement mal gérées ; le couvert forestier se réduit en peau de chagrin sous les coups de boutoir des pyromanes et délinquants de tous bords.

La dégradation du couvert végétal est à l’origine de plusieurs phénomènes en cascade : dérèglement de l’écoulement des eaux (inondations), tarissement des sources de résurgence, diminution de l’offre fourragère dans les pâturages naturels, envasement des barrages d’eau et réduction des produits ligneux (bois et liège) et sous-produits forestiers (plantes médicinales, aromatiques, tanin…).

La prise de conscience par les spécialistes et les pouvoirs publics du grave danger qui pourrait mettre en péril l’équilibre général du territoire a donné naissance à l’idée d’un schéma d’aménagement qui intégrerait les données physiques et biotiques des différentes zones du pays ( littoral, monts du Tell, Atlas saharien, système oasien et zones arides du Sahara) à la composante humaine et à l’activité économique de ces territoires. Les distorsions liées au développement et à la dynamique économique ont conduit, selon les estimations faites en octobre 2003 par l’ancien ministre des Finances, Abdellatif Benachenhou, à ce que “5 ou 6 wilayas produisent 85% de la matière fiscale nationale”.

Le SNAT (Schéma National d’Aménagement du Territoire) est conçu en tant qu’outil de gestion et de prospective ; il est initié par le ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement à partir de juillet 2004. Ce schéma est présenté par ses promoteurs comme pouvant “anticiper les ruptures et les risques pesant sur l’espace algérien en tant que lieu de vie à protéger et à préserver”. Il a pour but de fixer, pour une population de 33 millions d’habitants en 2010, les grandes orientations spatiales en matière d’investissement et de politique de développement, localisation des infrastructures de base et des équipements publics, voies de communication, ouvrages hydrauliques, zones à urbaniser, zones touristiques… comme il prévoit aussi les actions qui pourront valoriser les espaces particuliers caractérisés par une sensibilité exceptionnelle comme les zones littorales, les couloirs steppiques, les zones désertiques, les franges frontalières et les zones de montagne.

La montagne : creuset des hommes et lieu d’identité

Parmi les espaces les plus problématiques en matière d’administration territoriale, d’investissement économique et de gestion des ressources, la montagne est celle qui présente le plus de complexité. Sur l’ensemble du territoire algérien, la montagne représente 3,66% de superficie, soit 8 millions d’hectares. Cependant, par rapport aux zones les plus habitées du pays, à savoir la bande allant de la côte aux portes des Hauts-Plateaux, le système montagneux représente 60% du territoire. Il est habité par environ 9 millions de personnes, ce qui représente 32,7% de la population totale du pays. Ces chiffres ont été livrés à la presse lors de l’installation, le 25 septembre 2006, du Conseil national de la montagne par Chérif Rahmani, ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement. Ce Conseil a pour mission de promouvoir et d’aménager les différentes zones de montagne, de définir les activités spécifiques à cet espace et de coordonner l’action des divers acteurs y intervenant. Cette structure multisectorielle est aussi appelée à jouer un rôle prépondérant dans la sensibilisation à la notion d’espace montagneux et de définir les conditions d’octroi des subventions sur le Fonds de la montagne dans le cadre du développement durable. Le cadre réglementaire permettant à tous les acteurs de la politique de la montagne d’agir en parfaites symbiose et synergie est le Règlement d’aménagement du territoire des massifs montagneux.

Il y a un peu plus de quatre ans, en novembre 2003, M. Rahmani a présenté devant l’APN un avant-projet de loi sur la protection des zones de montagne.

Le texte adopté par l’Assemblée constitue le soubassement philosophique et réglementaire du nouveau Conseil de la montagne installé en septembre dernier. Il vise à compléter les textes portant sur l’aménagement du territoire et à étoffer la législation algérienne en matière de gestion des espaces ruraux.

Les zones de montagne constituent des entités écologiques spécifiques sur le plan physique, biologique et humain. Il convient de signaler que l’intérêt des pouvoirs publics pour les zones de montagne remonte aux années 80, du moins pour ce qui est des sous-espaces agro-forestiers. En 1988, un établissement étatique fut crée à cet effet. Il s’agit de l’OAMV, l’Office d’aménagement et de mise en valeur des terres de montagne, qui avait pour mission d’aménager ces espaces fragiles et de les mettre en valeur dans le respect de leurs spécificités naturelles. Cet établissement sera dissous quelques années plus tard. L’action de l’Etat en la matière sera réduite à des politiques par à-coups caractérisées plus par le “saupoudrage” que par la cohérence et l’efficacité.

Même les Parcs nationaux, comme ceux de Belezma (Batna), Djurdjura (Tizi Ouzou et Bouira) et Theniet El Had (Tissemsilt), dont les structures sont pourtant mises en place depuis plus de 20 ans, n’ont pas encore élaboré une véritable stratégie de la montagne. Leur action s’était confinée, jusque dans un passé récent, dans une espèce de “tour d’ivoire” faisant privilégier la notion de biodiversité dans des zones généralement très peuplées. L’intégration des populations riveraines au développement harmonieux de ces espaces particuliers est une idée récente imposée par la nécessité d’un développement durable.

N’oublions pas que certaines wilayas du Nord de l’Algérie ont plus de 60% de leur territoire composé de montagnes. Tizi Ouzou, Béjaïa, Skikda, Jijel sont parmi les régions les plus montagneuses d’Algérie avec une pression démographique des plus fortes (densité allant jusqu’à 500 habitants au km2). Les statistiques de la wilaya de Jijel donnent une proportion de 82% de territoires montagneux sur la superficie totale de la wilaya. La frange de plaine littorale allant d’El Aouana à Sidi Abdelaziz voit parfois sa largeur réduite à 2 km.

Du fait d’une politique peu claire en la matière, les régions montagneuses d’Algérie, qui ont subi les affres de la guerre de Libération et la pression terroriste au cours de la dernière décennie, ont été les parents pauvres du développement et des actions de protection. Les spécialistes ont établi le diagnostic des dégradations qui commencent à affecter sérieusement la montagne algérienne. Ces dégradations ne résultent pas toujours des effets d’un développement inadéquat, mais il est le produit de ce que les aménagistes appellent la “stratégie de survie” des populations. En effet, confrontés à la misère et à l’enclavement, les populations, avant de se résoudre à l’exode et au déracinement dans les villes, s’emploient à exploiter au maximum les ressources naturelles au-delà de toute rationalité jusqu’à compromettre leur régénération et entraîner d’autres dommages ‘’collatéraux’’ difficilement réparables. La déforestation et l’urbanisation anarchique ont entraîné la réduction des espaces cultivables et l’accélération de l’érosion des terrains de montagne. Ce dernier phénomène, outre qu’il annihile l’offre fourragère et arrache la meilleure couche arable du sol, constitue un danger pour certaines infrastructures qu’il déstabilise (routes, rail) ou dont il réduit les capacités de rétention (barrages hydrauliques). D’autres corollaires, à plus ou moins brève échéance, sont encore induits : disparition de certaines niches écologiques, amenuisement de la biodiversité, régression de l’attractivité touristique et dépeuplement des hameaux et bourgades de la montagne. L’exode rural a fini par compliquer et exacerber la crise dans les villes sans, pour autant, diminuer le rythme de dégradation des zones de montagne.

Les nouveaux instruments juridiques et institutionnels établis par les pouvoirs publics- et qui s’insèrent dans la nouvelle stratégie de l’aménagement du territoire- seront-ils à même de juguler la régression écologique et économique de nos montagnes pour réhabiliter ces espaces vitaux et ancestraux ?

Amar Naït Messaoud

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