Des citoyens viennent de les informer qu’ils ont repéré un corps flottant à une dizaine de mètres de la rive de la plage. En plus des services de sécurité et de la Protection civile, la nouvelle s’est répandue telle une traînée de poudre parmi les habitants. Le corps inerte a été repêché. Le visage est complètement abîmé et défiguré. D’après les première constations, il s’agirait d’un jeune d’une trentaine d’année. Il portait une tenue de sport. Le corps a été immédiatement transféré vers l’hôpital de la ville. L’un des moyens pour l’identifier est de procéder à des prélèvements pour effectuer par la suite des testes d’ADN.
Les rumeurs les plus folles circulent. Il nous a été difficile de distinguer la rumeur de la vraie information. Des citoyens accourent vers les plages. Certains déclarent avoir vu une barque vide en dérive au large des côtes. D’autres déclarent avoir vu plusieurs corps flottant sur les eaux. En ce moment, nous étions loin de la ville de Tigzirt, mais nous avons tenté de suivre l’évolution des événements de loin. Selon les services de sécurité, officiellement, il n’y avait qu’un seul corps qui a été découvert et repêché. Le corps repêché et selon les premièrs éléments de l’enquête, il s’agirait d’un jeune malheureux d’une aventure à l’immigration clandestine vers le continent européen communément appelé harraga. Le même jour, près de deux heures plus tard, d’autres citoyens signalent avoir découvert un autre corps flottant sur les vagues, au pied du village Mazer dans la commune de Mizrana, à 7 km à l’ouest de la ville de Tigzirt. Immédiatement, les éléments de la Gendarmerie nationale et de la Protection civile se sont déplacés sur les lieux, qui s’appelait plus précisément » le Rocher 40 « .
Le corps de la victime à été repêche et transféré vers la morgue de l’hôpital de Tigzirt. Il portait les mêmes indications. Un corps d’un jeune d’un teint blanc, dont l’âge peut varier entre 25 et 30 ans. Tous les indices indiquent qu’il s’agirait d’un autre malheureux harraga
Dans le secret des harraga
Notre histoire avec les harraga a débuté en juin 2007. Depuis la fin du premier semestre 2007, des sources nous informent régulièrement du phénomène de harraga auquel les jeunes de la région sont activement branchés. Nous avons engagé une enquête pour tenter de percer ce mystère et son secret dont tout le monde parlait. Nous avons eu des informations d’ordre général, mais insuffisantes pour élucider ce phénomène naissant. A chaque fois que nous réussissons à arracher un rendez-vous avec un harraga, c’est l’échec. Les jeunes refusent à la dernière minute de parler, de peur de dévoiler à la presse leur plan d’évasion entretenu dans le secret. Il fallait attendre près de deux mois plus tard pour vivre un exemple réel de l’immigration clandestine. Il s’agit d’un groupe de 9 jeunes de la région.
Le plan consistait à faire une réservation pour la Syrie, mais la destination n’est pas ce pays de l’Orient mais le Continent européen. En effet ce groupe de jeunes a profité de l’escale de l’avion à Rome, en Italie pour fuir. Certains ont été arrêtés et d’autres ont pu se sauver et même rejoindre des villes en France.
Ce groupe d’immigrants clandestins, n’est que l’arbre qui cache la forêt. Presque chaque semaine, il y a des groupes de jeunes de la Kabylie qui choisissent cette technique pour fuir le pays. Entre temps, nous avons tenté d’autres contactes avec ces jeunes aventuriers à l’immigration clandestine. A chaque fois, et à la dernière minute ces jeunes rejetaient notre offre, par méfiance vis-à-vis de la presse. Il fallait attendre plus d’un mois pour rencontre au hasard, le groupe de harraga de Massinissa. Ce dernier, âgé de 22 ans environs déborde d’énergie. Une image désespérante du pays hantait son esprit. En contrepartie, il ne cessait de décrire la belle vie qui existe en Europe : » Même s’il ne me restait qu’un seul jour à vivre, je vais fuir ce bled » ne cessait de nous déclarait le jeune Massinissa. Après l’avoir mis en confiance, ce dernier, nous livre les secrets des harraga. Tout d’abord, ils explique les voies classiques : trafique ou achat de visa. La fuite lors d’escales d’avion en Europ… etc. Mais également, il nous a parlé de la voie radicale. Elle consiste à tenter la traversée périlleuse à l’aide d’une embarcation de fortune.Massinissa fait partie de cette dernière catégorie. Il a avait tenté, en vain, de prendre de large pour un prix de 8 millions de centimes dans une embarcation à partir du port de la ville de Dellys, dans la wilaya de Boumerdès qui se situe à 26 km à l’ouest de la ville de Tigzirt. La destination du groupe de Massinissa est l’île de Palma de Majorcan (Espagne). Le voyage a été avorté à la dernière minute, car l’équipe de garde avec laquelle les harraga ont fait l’affaire à été changé à la dernière minute. Lors des négociation, un passeur aurait déclaré à son collègue » Telaâ hum Spania khir me l’telaou l’djblel » ( fais-les sortir vers l’Espagne, est beaucoup mieux pour eux de rejoignaient les maquis terroristes), nous a rapporté Massinissa. Massinissa et ses amis connaissent par cœur le plan d’évasion à Rome (Italie) en réservant pour la Syrie. Avant de nous séparer, ils nous a parlé d’un réseau de harraga qui existe à Tigzirt. » Oui, j’ai entendu qu’il existe un voyage qui se préparait à Tigzirt. Ils m’ont proposé de faire partie. Ils ne reste qu’à réunir le nombre nécessaire de partants » nous a-t-il conclue.
Près d’une semaine plu tard, nous avons rendue publique l’information. L’écho a été important vu que le sujet est d’actualité.
Les habitants étaient surpris de découvrir que Tigzirt, pourrait constituer l’un des points de départ des harraga. Certains ont cru à la possibilité mais la plupart ont jugé que l’information est quelques peu disproportionnée. Nous avons reçu beaucoup d’appels de citoyens anonymes qui veulent s’informer plus sur ce phénomène. Un jour, nous avons reçu un appel pas comme tous les autres. Il s’agit de celui de harraga sur le point de prendre le large au ports de Tigzirt » pourquoi tu nous à fait ça. Tu as tout foutu en l’air… » Et les harraga nous reprochaint d’avoir saborder leur projet. Des reproches, on passe aux menaces, pour revenir par la suite à de meilleurs sentiments. Il s’est avéré par la suite que le groupe de harraga a prévu son départ dans la semaine de la parution de notre article. Nous étions à la mi-novembre. Près de quatre semaines plus tard, la ville de Tigzirt s’est réveillée sur une nouvelle spectaculaire. Un groupe d’une vingtaine de jeunes ont pris le large et ont réussi leur traversée vers l’île de Palma de Majorcan en Espagne. Le départ a été pris aux environs de minuit à partir du port de pêche et de plaisance de la ville de Tigzirt. Après près de 18 heures et à l’aide d’embarcations de fortune, le groupe est arrivé à l’île espagnole. A quelques centaines de mètres, le groupe aurait prit le soin de faire couler les embarcations pour ne pas être repéré par les gardes-côtes espagnoles. Le reste du trajet devrait être fait à la nage. Arrivé sur les lieux, à bout de force, le groupe de harraga a campé dans un endroit. Parmi le groupe il n’y avait que trois d’entre eux qui n’ont pas adhéré à cette décision. Un instant, le groupe de harraga à été encerclé par les gardes-côtes puis arrêté. Emprisonné dans un centre de transit, et bien traité, le groupe de harraga, après enquête, a été refoulé vers l’Algérie. Il n’y avait que les trois autres jeunes qui ont pris la fuite ont réussir leur évasion. Pour les autres, c’est un cauchemar, après tant d’efforts et de risques, c’est le retour à la case départ. Quelques jours après avoir eu échos de leur retour au pays, nous avons tenté d’avoir une rencontre avec certains harraga. Ces derniers nous ont appelés à titre anonyme pour nous inviter gentiment à les laisser en paix et de ne plus parler d’eux. C’est là que d’autres sources nous ont indiqués qu’un autre voyage est en cour de préparation dans le secret le plus totale. Notre souci en tentant de pénétrer le monde des harraga, n’est guère la recherche de coup d’éclat. Avant tout, l’objectif est d’étaler sur la scène publique, le marasme et l’état de désespoir qui ronge les enfants de l’Algérie profonde. L’autre souci et de tirer la sonnette d’alarme sur un probable scénario catastrophe, dont ces jeunes pourront facilement être victimes une fois au large. Les découvertes macabres du 2 avril dernier ont eu raison de nos craintes. Bien que les corps découverts sur les plages ne sont pas ceux des jeunes de Tigzirt, mais il s’agit certainement d’autres jeunes Algériens dont leur » statut de misère est semblable » à celui des jeunes de Tigzirt.
Tigzirt, une région en mal de développement
Tigzirt est une ville côtière dotée par le Créateur de multiples richesses qui font d’elle l’une des plus belles ville du pays. Mais les derniers événements vécus par le pays, particulièrement le terrorisme ont fait plongé cette région dans le recule et le marasme. Les premiers à payer la facture sont la franges de jeunes otages d’un chômage endémique. Et pourtant, la région a bénéficié d’un projet d’un nouveau port de pêche et de plaisance qui devrait créer plusieurs centaines de postes d’emplois. D’autres projets sont en perspective, entre autres un complexe de construction et de réparation navale et d’aquaculture. Mais ces projets pâtinent et les jeunes croient de moins en moins au changement et à des lendemains meilleurs. L’unique alternative au yeux de ces jeunes, pris sous l’étau de la misère et du désespoir, est de tenter une traversé à l’aide d’un hors-bord de fortune par lequel on prend le grand risque où le défis est semblable au jeu à la roulette russe et de tenter une traversée de plusieurs centaines de km pour rejoindre les cotes européennes.
Il est vrai que s’il y aurait victime, la facture serait lourdement payée par ces jeunes aventuriers, mais la responsabilité incombe aux pouvoirs publics qui n’ont pas su donner vie et espoir à ces jeunes en détresse. A défaut de sa finalisation et de sa mise en exploitation après plusieurs années de retard, le nouveau port de pêche et de plaisance de la ville de Tigzirt, sert plutôt d’un lieu où ces jeunes de l’Algérie profonde larguent les amarres pour une traversée, plutôt une fuite vers d’autres cieux plus cléments. Seulement, cette fuite est plus proche vers la mort que vers cet Eldorado qui hante leurs esprits.
Mourad Hammmami