C’était une journée plutôt anodine celle qui a fait basculer le sort de dizaines de jeunes Kabyles en Avril 2001. Le 18 du mois, en début de soirée, un événement tragique allait faire vivre à la Kabylie l’un des printemps les plus sanglants de son histoire. On ne saura certainement jamais ce qui s’est réellement déroulé dans les sous-sols de la brigade de gendarmerie de Béni Douala pour que le jeune Moumouh, lycéen de son état, y perde la vie. Sept ans après les faits, les détails de l’incident qui a coûté la vie à Guermah Massinissa sont toujours entourés d’un épais mystère. Les Kabyles l’ont, par un réflexe historique, devenu inné, pris pour une provocation et ont toujours été convaincu qu’il s’agissait d’un assassinat. D’ailleurs, la mort de Moumouh allait mettre Béni Douala, Tizi Ouzou et bientôt tout la Kabylie à feu et à sang : C’est l’enclenchement du Printemps noir. Et c’est tout naturellement que c’est la brigade de Béni Douala qui va être assiégée par des émeutiers en furie dès le matin du 19 avril. Les premiers cocktails molotovs viennent d’être lancés. Les premières escarmouches aussi. Béni Douala s’enfonça graduellement dans la violence. Les grandes villes de la wilaya font de même. Des jeunes d’Azazga, Fréha, Bouzeguène, Larbaâ Nath Irathen, Draâ Ben Khedda et bien d’autres localités attaquent systématiquement, toutes les brigades de gendarmerie. Le 22 avril au soir, les émeutiers ont déjà atteint une quinzaine de communes et les premiers blessés sérieux viennent d’être enregistrés. l’embrasement se généralise! Pourtant, la classe politique et les pouvoirs publics essayent de réagir. Les discours des uns et la gestion des autres sont d’une médiocrité affligeante. Les politiques et les officiels cumulent les erreurs et les inadvertances. Les jeunes ne se reconnaissent pas en eux. Les affrontements ne font que gagner en intensité. Jusqu’à ce que cette maudite journée du 27 avril arriva. Les gendarmes tentent d’organiser leur “riposte” : Celle-ci sera d’une brutalité inouïe. On n’hésite pas à tirer sur les jeunes. On recense les premières victimes. Les 28 et 29 avril étaient particulièrement sanglantes. La ville d’Azazga est le théâtre d’une véritable boucherie : neuf jeunes manifestants y sont tués en une seule journée. La situation a définitivement dégénéré. La Kabylie est à feu et à sang !
L’ascension des archs
Livrée à la répression des gendarmes un mois durant, la Kabylie ne connaîtra ses premiers moments de répit que vers la mi-mai. C’est là que les appels au calme ont reçu un écho favorable. En ces quelques jours de trêve, une structure inconnue parvient à canaliser, même momentanément, la colère des émeutiers. La Kabylie commence à s’organiser en comité dans chaque village et chaque commune : C’est la naissance du Mouvement citoyen des archs ! Un mouvement qui sera officiellement baptisé le 18 mai 2001 à Illoula, avant cela, trois rencontres préliminaires se sont déroulées à Tizi Ouzou, Ath Djennad puis Béni Douala. Les participants y avaient accouché de la toute première plateforme de revendications de l’histoire des archs. Le 21 mai, une marche populaire a eu lieu à Tizi Ouzou à l’appel des archs. Suivra, par la suite, une minutieuse opération de structuration, qui allait se poursuivre jusqu’à la veille de la marche historique du 14 juin 2001, dont le principe a été entériné trois jours auparavant (le 11 juin) à El Kseur. Le code d’honneur et les principes directeurs ont suivi quelques jours après. La plateforme d’El Kseur sera explicitée à Larbaâ Nath Irathen en date du 31 octobre 2001. Depuis cela, la Kabylie à vécu, grâce à l’impact des archs, plusieurs évènements majeurs et historiques. Les émeutes deviennent, au fil des mois, plus espacés et moins violentes, le Mouvement citoyen continue de régner en maître sur l’échiquier politique local. Les Kabyles boycottent les législatives de mai 2002 et les municipales d’octobre de la même année, les “indus élus” sont révoqués grâce à la pression exercée par les archs et des élections partielles ont eu lieu en Kabylie en 2005.
Entre temps, les délégués entament les premiers rounds de dialogue avec les représentants de l’Etat après des conclaves marathoniens. Un dialogue auquel les archs n’ont jamais donné une autre appellation que “la mise en œuvre de la plateforme d’El Kseur”. Des évènements aussi majeurs ne peuvent être répertoriés, aujourd’hui, dans la case de la simple évolution des choses. Que l’on le veuille ou pas, et n’en déplaise à certains, c’est le mouvement des archs qui héritera de la légitimité historique de ces faits inédits.
Des archs affaiblis, usés, minés de l’intérieur certes… mais cela est une tout autre histoire !
Ahmed Benabi