» La manifestation unitaire du 20 avril doit être soutenue et encouragée  »

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La Dépêche de Kabylie : Vous étiez l’un des principaux acteurs du Printemps berbère, et l’un des 24 détenus de Berrouaghia. En 1981, vous étiez membre du Collectif culturel de l’université d’Alger. Pouvez-vous nous parler de cette période qui reste peu connue ?

Arezki Aït-Larbi : Une année après le Printemps berbère, et pour rappeler nos revendications, nous avions occupé l’université d’Alger du 15 mars au 22 mai 1981. Durant cette période, nous avions empêché le FLN de mener en solo le débat pour élaborer une « charte culturelle ». Il y avait un journal mural affiché à la Fac centrale d’Alger qui débordait largement le cadre culturel pour devenir une tribune de contestation politique.

Le 19 avril 1981, nous avions organisé un gala avec notamment Ferhat Imazighen Imula, Chérif Kheddam, la poétesse Hadjira Oubachir et la troupe Debza, à l’intérieur de la Fac centrale, et le lendemain, une conférence-débat avec Kateb Yacine et Salem Chaker. Devant l’affluence de milliers de personnes, le concert et la conférence s’étaient déroulés en plein air, devant l’esplanade de la Bibliothèque universitaire.

Nous avions imposé également un cours  » sauvage  » de berbère animé par le professeur Salem Chaker. Le cours était en fait un espace de débat et de mobilisation ouvert aux extra-universitaires ; il avait lieu tous les lundi à 14 h. Les gens réservaient leur place à l’avance et à midi l’amphi était déjà plein.

Cette  » agitation  » permanente qui avait touché l’ensemble des instituts d’Alger, de Bab Ezzouar et de Boumerdès et qui commençait à sortir du cadre universitaire avait fini par inquiéter les autorités. Pour y mettre un terme, il fallait trouver le bon prétexte.

Vous étiez parmi les étudiants arrêtés par la police. Que vous reprochait-on ?

Le 19 mai 1981, Journée nationale de l’étudiant, la Fac centrale était en ébullition. Nous étions majoritaires, mais, en démocrates convaincus, nous avions laissé des espaces d’expression à nos adversaires : islamistes, communistes de l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne), et baathistes soutenus par la police. Nous leur avions même proposé de tenir ensemble un meeting contradictoire à 14 heures.

A midi, le groupe baâthiste, soutenu par des militants du FLN et des policiers en civil, nous avait attaqués avec des barres de fer, des chaînes de vélo et des couteaux. Nous avions relevé plusieurs blessés. La police était alors intervenue pour fermer l’université.

Deux jours plus tard, les militants les plus actifs du Collectif culturel étaient arrêtés. Vingt-deux étudiants seront présentés à la justice, poursuivis pour une douzaine de chefs d’inculpation, et incarcérés à la prison d’El Harrach. Inutile de dire qu’aucun des assaillants n’avait été inquiété ni même interpellé.

Jugés en octobre 1981, quatre d’entre nous, Ihsen El-Kadi, les défunts Mustapha Bacha et Salah Boukrif, et moi-même, avions été condamnés à une année de prison ferme. Les autres camarades avaient eu des peines inférieures à 5 mois, couvertes par la détention préventive. En appel, le 9 janvier 1982, notre peine avait été ramenée à 8 mois de prison ferme.

Je saisis cette occasion pour rendre un hommage sincère à la mémoire des compagnons de détention qui ne sont plus de ce monde. Je citerai Salah Boukrif, Mustapha Bacha, Hachemi Naït Djoudi, Mamès Lakhdar, Rachedi M’hamed, Maamar Berdous et Moh Achour Belghezli…

A quand remonte la création du MCB ?

Le sigle MCB est apparu, pour la première fois, après les événements d’Octobre 1988. Depuis Avril 1980, les différents groupes d’activistes se reconnaissaient dans un  » mouvement culturel « , pour les uns, « mouvement culturel berbère  » pour les autres (toujours avec des minuscules). Mais il n’y a jamais eu de MCB, un sigle qui suppose une structure organisée. D’ailleurs, la plupart des appels à la grève générale étaient signés par la Communauté universitaire de Tizi-Ouzou, et adoptés en Assemblée générale de l’université.

A Alger, c’est le Comité de coordination inter-instituts qui coordonnait les manifestations durant le Printemps berbère de 1980. En 1981, le Collectif culturel animait la contestation. Dans  » Tafsut « , la revue semi-clandestine du mouvement, vous ne trouverez aucune référence à ce mythique  » MCB « , que des « maquisards » de la 25e heure revendiquent aujourd’hui comme un fonds de commerce.

En mars dernier, vous avez initié un appel pour la tolérance et le respect des libertés. Quel est votre objectif ? Quels en sont les résultats ?

Nous assistons depuis quelques mois à des agressions récurrentes contre les libertés. Les syndicats autonomes et les journalistes libres sont des cibles privilégiées. La plus grave de toutes, c’est sans doute l’atteinte à la liberté de conscience. Toute velléité de pratiquer une religion autre que l’Islam, ou de ne pas pratiquer, est désormais passible des rigueurs de la loi.

Avec quelques amis, nous avons donc décidé de réagir contre ces pratiques liberticides, en lançant un  » Appel pour la tolérance et pour le respect des libertés « . A ce jour, nous avons recueilli plus de 2 000 signatures, notamment parmi les élites intellectuelles. La principale particularité de ce texte réside dans la diversité de ses signataires qui ont dépassé les clivages artificiels pour aller vers l’essentiel : les fondamentaux démocratiques. Je dois souligner aussi le soutien de journaux comme El Watan, la Dépêche de Kabylie et le Soir d’Algérie qui publient régulièrement nos listes. Pour ceux qui veulent signer cet appel, il leur suffit d’envoyer un mail à : [email protected]. Maintenant pour revenir à la question des libertés, il y a cette campagne hystérique montée par la presse nationalo-islamiste est « inspirée » par des cercles du sérail. La fable d’évangélistes américains, crapahutant dans les villages de montagne pour convertir des jeunes en mal de visas, est une diversion pour camoufler l’activisme, bien réel, des salafistes. La Kabylie n’a pas de problème de prosélytisme chrétien, mais d’intégrisme islamiste.

Après la neutralisation de ses  » défenses immunitaires « , le  » bastion de la démocratie et de la contestation  » est en voie de devenir, selon le plan des manipulateurs de l’ombre, « une région d’Algérie comme toutes les autres ».

C’est-à-dire  » normalisée  » par le rouleau compresseur de l’autoritarisme. Le sabre et le goupillon ayant toujours fait bon ménage, il ne reste à l’intégrisme islamiste qu’à occuper le terrain déblayé par la répression. Tizi-Ouzou, capitale régionale, a déjà perdu son identité et ses particularismes.

Avec la politique de  » réconciliation nationale, » plusieurs familles d’islamistes radicaux et de terroristes « repentis « , bannis de leur milieu, y ont été installées. Il ne s’agit plus de la circulation naturelle de citoyens, d’étudiants, de commerçants et de fonctionnaires entre les différentes wilayas du pays, mais d’une opération volontariste pour reconfigurer la carte sociopolitique de la région. L’idéologie intégriste a déjà « contaminé » les mœurs, notamment parmi les jeunes. Même les villages de montagne, qui avaient résisté jusque-là, sont maintenant ciblés par cette campagne de « réislamisation ».

Le « Printemps noir » de 2001 s’inscrit-il dans le prolongement du « Printemps berbère » de 1980 ?

Non. Il en est la négation. S’il y a un seul acquis à mettre à l’actif des acteurs du Printemps berbère de 1980, c’est d’avoir empêché le sang de couler, malgré des affrontements récurrents avec les forces de l’ordre.

En 2001, alors que des adolescents aux mains nues se faisaient tuer sur les barricades, la génération de leurs parents qui avait pris la parole en leur nom tentait d’en tirer les dividendes en se lançant dans une surenchère morbide. Sans entrer dans l’intimité d’un mouvement qui n’a pas livré tous ses secrets, ni dédouaner le pouvoir de sa responsabilité qui reste entière, il faut relever l’outrecuidance de ces quinquagénaires, absents dans les luttes du passé, et qui, à l’âge de la ménopause, se découvraient brusquement une âme d’émeutiers.

Le « Printemps berbère » a été l’aboutissement d’un long processus de maturation ; le « Printemps noir » de 2001 est le résultat d’une tragique manipulation. Même si le courage des jeunes manifestants et la sincérité de nombreux délégués issus des comités de villages méritent respect et considération.

L’on pouvait penser à chaud qu’il s’agissait d’une lutte clanique dans le sérail, chacun des protagonistes essayant de surfer sur cette vague de sang pour fortifier ses positions et déstabiliser l’adversaire. La suite des événements a montré que le consensus au sommet de l’Etat, pour préparer le terrain à la « réconciliation nationale » et à l’avènement de l’ordre « nationalo-islamiste » exigeait la neutralisation de cette région rebelle.

A l’heure d’échéances déterminantes pour l’avenir du pays, la Kabylie, déstructurée, livrée au terrorisme, à l’insécurité, à la délinquance et à la rapine, est réduite au rôle de spectateur impuissant, et d’instrument pour des manœuvres occultes.

La Kabylie pourra-t-elle redevenir un « bastion de la démocratie » ?

La Kabylie a subi, en 2001, l’une des agressions les plus tragiques de son histoire. Pour se reconstruire, elle a besoin d’un acte refondateur majeur, d’une réparation symbolique, qui passe par le refus de l’impunité accordée aux criminels qui ont tué froidement des jeunes sans arme. Sept ans après la tragédie du « Printemps noir », les victimes et leurs familles ont été abandonnées à leur douleur. La « fidélité au sang des martyrs » n’est évoquée que pour arroser des ambitions individuelles ou relayer des manipulations claniques.

La justice doit passer pour faire la lumière sur les dessous de cette tragédie. Il y a aussi l’assassinat de Matoub Lounès dont le procès est sans cesse renvoyé depuis 10 ans.

Pour sortir la Kabylie de son marasme actuel, il faut en finir avec les incantations, dénoncer la prime à la violence initiée par les autorités, retourner aux fondamentaux démocratiques et renouer avec le débat, nécessairement pluriel. Si les partis d’opposition sont critiquables et qu’ils ont leurs limites, il faut éviter toutefois le piège du nihilisme, qui fera le jeu des nostalgiques des années de plomb.

L’espoir vient, encore une fois, des étudiants de l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou. Dans le respect de leur diversité et de l’engagement partisan de chacun, ils ont réussi, comme leurs aînés d’Avril 1980, à se rassembler autour de l’essentiel : la défense des libertés démocratiques. La Coordination locale des étudiants, qui organise la manifestation unitaire du 20 avril, doit être soutenue et encouragée.

Propos recueillis par Lounis Melbouci

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