Après 18 ans !

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Adopté, avant-hier, en Conseil du gouvernement, le décret exécutif relatif aux régimes spécifiques des journalistes et assimilés, va-t-il remodeler la donne  » sociale  » au sein des entreprises de presse ? Le SNJ nous apprend que le texte en question est une œuvre commune au ministère de la Communication et au Syndicat national des journalistes à travers une commission mixte installée en novembre 2006 à laquelle se sont joints les ministères du Travail et de la Protection sociale ainsi que des experts en matière de la communication et de la relation de travail.

C’est en fait un texte sur lequel l’Algérie aura officiellement pris 18 ans de retard comme le reconnaissent ses rédacteurs qui notent, que le législateur avait déjà  » pris la mesure des particularités inhérentes au métier de journaliste  » à travers les dispositions de l’article 4 de la loi 90-11 relative aux relations de travail, Malgré donc cette prise de conscience, les journalistes auront langui dans un régime de pis-aller. Leur relation de travail est prise en charge dans le seul cadre général des lois du travail et cela bien sûr au préjudice des spécificités évidentes qui se rattachent au métier.

Les journalistes auront langui dans un régime de pis-aller

Ces retards expliquent la perception du rôle et de l’utilité sociale de la presse. Dans une conjonction objective avec les intérêts des employeurs, le pouvoir a donc laissé s’encadrer le journaliste par un dispositif social qui fait fi du particularisme de sa mission pour finalement nier complètement la pertinence de son apport. Englué dans une indécision perverse, le pouvoir a tendance à considérer le journaliste comme tout juste une sorte de  » mal nécessaire « . A peine si quelques contingences comme le fameux sondage d’Al-Jazeera lui rappellent l’étendue du mal qu’il inflige ainsi à l’immunité communicative nationale.

La dissolution du Conseil supérieur de l’information dans le sillage de l’instauration des lois d’exception en 1992 aura fermé la courte parenthèse d’une pratique normative du journalisme.

L’absence d’une instance de délivrance des cartes des journalistes aura conséquemment fait des éditeurs les dépositaires de cette labellisation professionnelle. Est journaliste celui que son employeur qualifie de tel. Un peu comme si les directeurs d’hôpitaux se mettaient à décider de qui est médecin et de qui ne l’est pas. Un dérapage grave dont on n’aura pas encore mesuré les conséquences et sur la qualité du système éditorial national et sur le prestige et l’identité de la profession.

Le pays aura enfanté d’une presse réceptacle de la précarité, de la fragilité de la protection sociale et d’absence de programme de formation. Des journalistes perçoivent des salaires indécents et vivent une instabilité professionnelle angoissante.

C’est à certains de ces aspects, mais à certains seulement, que le texte de Boukerzaza entend remédier. Il se fixe dès le départ des objectifs très modérés.

Et c’est là une très mauvaise nouvelle pour le SNJ qui n’a jamais été à l’aise dans les affrontements frontaux avec les éditeurs. Celui-ci est invité à la lutte pour arracher ce, sur quoi, les attend précisément la profession : l’amélioration de sa situation sociale.

Le gouvernement n’entend nullement s’impliquer dans les aspects liés aux modalités relatives aux relations de travail, à la formation, à la suspension et la cessation de la relation de travail ainsi que les mesures relatives à la sécurité et à la santé. Des aspects lancinants qui sont tout simplement laissés aux conventions collectives de chaque organe de presse. Autant dire que les journalistes sont invités à guerroyer avec leurs employeurs pour arracher un minimum social.  » L’organisation de la profession est à mon avis un préalable à une réelle professionnalisation du métier. Nous venons de lancer un message de soutien aux journalistes, il leur appartient d’arracher une convention collective « , dit expressément le ministre. Attaché plus que tout au  » prestige  » factice de son métier, le journaliste n’aime pas du tout se projeter dans l’image de l’ouvrier rugueux des usines de Rouiba. A peine consent-il à tenir quelques meetings bruyants quand la liberté de la presse vient à être attaquée. Le gouvernement vient de lui signifier qu’il n’a pas l’intention de mener la bataille sociale à sa place. Et c’est un doucereux espoir qui se volatilise.

M. Bessa.

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