»Je ne chante que mes expériences de jeune »

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La Dépêche de Kabylie : Tout d’abord, parlez-nous de vos débuts dans la chanson ?

Mourad Guerbas : Azul. Mes débuts dans la chanson remontent à l’âge de 14 ans. A cet âge, j’ai commencé à monter sur scène lors des galas. J’ai enregistré mon premier album en l’an 2000. je l’ai intitulé  » Kker a Tuzyint a N Rruh « . L’album en question était différent de mes autres albums, car je n’ai pas fait du rythmé ou de spécial fête. Cinq ans après, soit en 2005, j’ai enregistré mon second produit,  » Je pense à toi Tawfiq Ameur je pense « . c’est grâce à ce produit avec que le public m’a découvert. Je l’ai édité chez Irath music. Le troisième,  » Nemsevgha « , sorti en 2006. Une année plus tard, j’ai enregistré l’album, titré,  » Mazal lxir ar zdat « , dans lequel j’ai chanté une chanson chaâbie. A propos de cette chanson, je tiens à dire que j’ai été élevé avec la chanson chaâbi. J’aime la mandoline et il fût un temps, je ne jouais qu’au banjo, donc j’ai été un bras droit. L’année passée, et comme je l’ai déjà dit, j’ai enregistré l’album,  » Mazal lxir ar zdat « , et comme j’avais perdu la touche artistique de Tawfiq Ameur, mon public me l’a reproché. Ils me disaient qu’on avait l’habitude d’écouter des sonorités spécifiques à Tawfiq Ameur. Pour y remédier, j’ai préparé un remix du même album pour cette année. c’est aussi une occasion pour moi d’enregistrer un DVD. Leur vente était prévue pour les mois passés, un retard dans la conception de la jaquette a provoqué ce retard.

Comment vous vous êtes retrouvé dans la chanson rythmée ? Ou comment avez-vous choisi ce style de musique ?

Comme je l’ai signalé, la chanson chaâbie occupait une grande place dans mon esprit. J’ai réalisé mon premier produit sous les airs chaâbis, mais, malheureusement, il n’a pas eu l’effet escompté. En 2005, une occasion s’est présentée à moi pour connaître Tawfiq Ameur, lequel est un maestro. Il m’a conseillé ce style (la chanson rythmée), et il m’avait promis de m’aider. Je peux dire que c’est grâce à Tawfiq que je m’illustre dans ce style et dont je me retrouve bien. Imaginez par exemple, quand vous êtes sur scène, comme celle du Zénith et que tout le monde reprenne en chœur vos chansons. C’est des moments magnifiques cela me fait énormément de plaisir.

Justement, à propos des succès des chansons rythmées, on s’accorde à dire qu’ils sont momentanés. Pour vous, vous ne trouvez pas qu’un nouveau succès efface toujours le dernier ?

J’ai remarqué que mes chansons et je ne saurai vous dire si elles resteront pour longtemps, mais elles tiennent le flambeau allumé. Certains artistes disent que les chansons de fêtes ont des succès passagers, je le regrette, je pense le contraire. La chanson  » Ahya Vava Cix  » que tout le monde a chanté hier, il la chante aujourd’hui et même demain. C’est la même chose pour  » Nennd Ala « . je fais souvent des fêtes et je sais que certains artistes reprennent mes chansons sur scène et le public était toujours ravi. Je dirai aussi qu’il viendra le jour où le public ne retiendra que nos chansons. Beaucoup d’anciennes chansons des fêtes sont souvent interprétées même si leurs auteurs sont jetés aux oubliettes.  » Arriha Lâmbar  » est une superbe chanson que nul ne peut omettre lors d’un gala, parce que le public l’adore. Même si celui qui l’a chanté n’est toujours pas présent sur le marché, mais sa production demeure.

Sur le plan musical, quel est l’apport de la chanson rythmée à la musique kabyle ?

Elle a apporté de nouvelles sonorités, même si les gens l’appellent du synthétique. Sur ce point, il faut avancer avec le temps. Je ne peux pas faire de l’acoustique alors que le public réclame un autre style. D’autres nous reprochent le fait de se soumettre aux exigences du public, du moment que nous chantons pour ce même public. Comme j’ai l’habitude de le dire, si j’aurai envie de chanter pour moi-même, je resterai cloîtré dans ma chambre avec ma guitare. Le public aime ce que je fais, que ce soit chansonnettes où airs de danses, appelez-le comme vous voulez, moi, je resterai comme ça.

Beaucoup nous critiquent. J’entends ça et là, nos anciens et grands artistes dire que la chanson kabyle est en régression. Pour ma part, je dirai que c’est faux. Car depuis la naissance de ce genre de musique, le public kabyle écoute notre chanson kabyle. Il adore Massy, Allawa, Mummuh Mexluf… Si le public n’écoute plus l’ancien style de la chanson kabyle, il lui revient de droit d’écouter. Beaucoup d’artistes produisent toujours dans leurs styles respectifs et quelque part, le public les boude. C’est le public qui choisit et c’est lui l’unique juge.

Je reprend, ma question : quel est l’apport de votre style de chanson au texte et à la musique kabyle et est-elle une rupture avec l’ancienne chanson ?

Comme je l’ai dis, je pense que les nouvelles sonorités constituent un grand apport. Par rapport à la rupture, je dirai plutôt que la chanson kabyle restera toujours un patrimoine. C’est grâce à Xalwi Lwennes, à Zedek L’mulud, Matoub Lwennes … que la chanson kabyle demeure. D’ailleurs, aux débuts de ma carrière, j’interprétais les chansons de nos anciens et grands artistes.

Aujourd’hui, je ne peux pas être comme Lani Raveh ou comme Hassene Ahrès ou autre, mais je veux seulement être Mourad Guerbas. Mon style est celui que je fais quotidiennement.

Une fois, un journaliste m’a posé la question sur la chansonnette. Je n’ai pas saisis la signification de la chansonnette et d’une chanson à texte ! Si vous prenez les textes que j’écris et ceux des chansons à textes, vous trouverez la même chose. Par contre, moi je fais de nouvelles sonorités avec du synthétiseur et de la boite à rythme et les autres les font sous des airs sentimentaux. Je pense que c’est le même texte et le même thème qui tournent depuis Dda Slimane Azem à nos jours. Certains ont des décennies de carrière, mais lorsqu’ils produisent, ils ne vendent que quelque milliers d’exemplaires, donc la faute lui revient. Les éditeurs aussi ne s’aventurent pas avec des produits qui ne marchent pas.

Et si je vous dirai que certaines la qualifient de chanson commerciale, elle n’a rien d’art. Qu’est ce que vous diriez ?

Moi, en tant qu’artiste, je ne dirai pas, la chanson commerciale. En toute sincérité, tout est commercial dans la vie. Vous en tant que journaliste, vous n’écrivez pas gratuitement, et c’est la même chose avec la chanson. J’ai lu sur les colonnes de votre journal, l’interview d’un artiste qui disait que la chanson kabyle régresse. Je lui dirai que les Kabyles écoutaient la chanson kabyle à l’époque de Matoub et les autres artistes.. Notre rôle est de veiller sur notre langue, le kabyle, qui renaît avec nous. Vous n’avez qu’à voir lors de nos fêtes pendant la période allant jusqu’en 2000. Nos familles n’écoutent que la musique étrangère à notre région, aujourd’hui, et grâce à nous, elles ne dansent et n’écoutent que notre musique. Nos jeunes actuellement écoutent les Guerbas, Allaoua, Massy … dans leurs MP3. Quand les gens reprennent nos chansons, cela me flatte. Cela est la preuve que les gens ont appris nos chansons.

Mais il y a aussi l’amour du métier. Vous ne trouvez pas ?

Nous aussi nous aimons notre métier. Je dois dire certaines choses : ils disent que c’est commercial, cela veut dire que nous vendons nos produits. Tout est commercial dans la vie.

A ceux qui qualifient notre chanson de commerciale, est ce qu’ils (eux) offrent gratuitement leurs produits aux producteurs ? Quand je me rends chez Tawfiq Ameur pour faire un album, je paye de grosses sommes d’argent. Pour faire un bon travail, qui sera accepté par le public, il faut souffrir pendant une longue période.

Revenons aux thèmes abordés dans vos chansons. Comment choisissez vous vos thèmes ?

C’est des sujets qui touchent la jeunesse. Je ne chante pas sur El Harraga, parce que j’encourage pas les gens à quitter leur pays de cette manière, ni avec une autre. Je pars souvent en Europe et ailleurs, et j’en connais la situation. Quelque soit la situation que nous vivons chez nous, nous devons travailler pour notre pays.

Généralement le rythme phare dans vos chansons, est l’amour. La manière avec laquelle vous l’abordez est différente. On a eu l’habitude d’écouter des chansons de séparation sous des airs de danse. Comment ça s’explique cela ?

Oui, vous pouvez chanter les remontrances de l’amour avec des airs rythmés ! Et si vous voulez dire que cela ne colle pas, de ma part, je ne le pense pas. Je vous donnerai l’exemple de la chanson  » Ruh ruh kan anefiyi « , c’est une chanson qui traite d’une relation entre deux jeunes. L’un était marabout et l’autre non. La différence dans certaines traditions a provoqué la rupture entre les deux amoureux. C’était une thème que j’ai chanté et c’est une histoire que j’ai vécue. En somme, tous les thèmes que je chante viennent des expériences personnelles que j’ai endurées.

Ces thèmes que j’interprète touchent la jeunesse. Hasni par exemple dans sa chanson El Visa, a touché de plein fouet les jeunes. Toutes les chansons d’amour réussies sont celles traitant de la séparation. La plupart n’ont pas eu de chance dans leurs couples pour des raisons diverses, comme l’argent … Ces chansons touchent la sensibilité des mélomanes et ces derniers les adorent.

Quels sont les musiques que vous aimez écouter ?

Je n’écoute de la musique que dans ma voiture. J’aime écouter les anciens artistes, comme ceux que j’ai précédemment cités : Allaoua Zerouki, H’nifa, Cix El Hasnaoui, Akli Yahiatène… Grosso modo, je n’écoute que la chanson kabyle. Je n’aime pas écouter la chanson française, par exemple. Beaucoup diront que je suis stagné dans la musique kabyle. Oui, je leur dirai que je suis stagné dans notre musique et j’en suis fier ! Je ne peux pas manger ce qu’il ne me plait pas. C’est ma devise dans l’art. Le public refuse d’accepter ceux qui ne lui plaisent pas. D’ailleurs, s’il n’aime pas Guerbas Allaoua ou les autres, nos produits ne marchent pas sur le marché. Ce n’est pas sorcier. Il ne suffit pas de balancer un album dans le marché.

En combien de temps produisez-vous un album et combien de temps restze-vous dans un studio ?

Aujourd’hui, avec les moyens les plus sophistiqués, le travail de studio devient facile. Cette nouvelle manière de travailler ne prend pas beaucoup de temps par rapport aux anciens moyens d’enregistrement. Sur le plan texte, vous savez que sans l’inspiration les poèmes ne viennent pas. L’inspiration vient spontanément. Je ne suis pas un dessinateur pour faire un portrait sur place. Tawfiq Ameur me demande des thèmes mais sans cette inspiration je ne peux rien faire. Des fois, des idées me viennent tard dans la nuit, des fois au volant de ma voiture. Et je dirai aussi que je travaille toujours avec le robotique. Mon public l’apprécie toujours. Notre style est de la Yal musique, comme l’appelle Takfarinas.

Toujours sur le plan texte, je pense qu’avec vous on a l’habitude d’entendre des mots en français, en arabe, des fois en anglais. Pourquoi cela ?

Nous revenons toujours à la mode. Cette manière d’aborder les thèmes est nouvelle. Il y a eu un mariage entre les nouvelles sonorités qui constituent la nouvelle mode et le texte. La même chose avec le chaâbi lorsque El Hasnaoui a introduit l’accordéon. A cette époque, c’était une mode. La même chose avec Samy El Djazaïri : il a chanté le chaâbi mais différemment des Cix El Anka et d’El Hasnaoui.

Pour ce qui est des mots en d’autres langues, je pense que c’est une mode qui accompagne notre nouveau style de musique. C’est un mariage heureux entre ces nouveautés. A titre de rappel, Dda Slimane Azem a chanté en français dans sa célèbre chanson,  » Ya madame encore un verre « .

Par rapport au thème, vous m’avez rappelé une idée selon laquelle aujourd’hui nos artistes ne peuvent pas chanter l’exil comme ils le faisaient jadis. Actuellement, Takfarinas produit des merveilles que tout le monde adore. Il a fait le Zénith, et tout seul.

Et si nous parlions des reprises dans la chanson …?

Les reprises existent depuis toujours. C’est une forme d’hommage qu’on rend aux artistes. C’est bien de se remémorer les anciens artistes mais pour vous dire si cela apporte un bien ou non je ne saurai le constater. Je pense aussi qu’on ne peut jamais reprendre une chanson avec la même ferveur et la même âme par lesquelles elle a été produite. C’est pour cette raison aussi que notre style apporte du nouveau pour la chanson kabyle. On ne chante que nos textes et nos musiques. Pour ma part, je préfère être Mourad Guerbas que d’être Cix El Hasanoui Amectuh ou autre.

Vous avez dit que vous ne chantez que votre vécu. Racontez nous l’histoire de votre chanson phare,  » Je pense à toi, je pense  » ?

C’est une histoire d’amour entre moi et une fille que j’ai aimée. Nous étions ensemble pendant “un moment” mais le temps a fait que nous nous séparions. Voilà, aujourd’hui je la chante comme je l’ai vécue et comme je la vis actuellement.

Des projets peut-être pour cet été ?

Je prends toujours part aux fêtes de mariages et aux galas. Je pars en Europe pour des moments mais je suis toujours présent ici. J’ai fait une tournée au Canada et je prépare un autre gala là-bas.

Pour cet été, ça sera un nouvel album et nous sommes en plein dedans. C’est un album dont je suis l’auteur et j’ai composé quelques chansons ; les autres sont la composition de Tawfiq Ameur, qui est l’arrangeur de l’album. On promet que Guerbas reviendra en force cet été. Vous aurez à écouter de nouvelles techniques, de nouvelles sonorités dans cet album. Tawfiq Ameur m’a composé des trucs nouveaux, notamment la tendresse qui émaille le travail que vous aurez à écouter. Elles sont faite sur la manière de  » Je pense à toi, je pense « .

Justement, vous avez chanté au Canada. Quel souvenir gardez-vous de votre passage parmi la diaspora kabyle au Canada ?

C’est toujours un plaisir de retrouver un public qui vous aime. Je chante souvent avec le public, cela est un encouragement pour moi. Le public adore mes textes que je fais moi-même, et c’est pour cette raison que je fais très attention à ce que je dis, d’autant plus que notre société est connue. J’essaie de produire des textes propres. D’ailleurs, je passe beaucoup de temps pour écrire un texte. Avant que j’écris, je pense toujours que des familles doivent danser avec mes chansons, donc je ne dis pas l’importe quoi. Je parle d’amour car je sais qu’il est la vie tout entière. Des grands artistes comme Cix El Hasnaoui, l’ont chanté. Les Kabyles décortiquent le mot, ils n’écoutent pas l’importe quoi. C’est pour cela que je sais de quoi je parle dans mes chansons. Par ailleurs, le grand respect que j’ai pour le public m’interdit de dire n’importe quoi.

La JSK est Championne d’Algérie, La JSMB est finaliste de la Coupe d’Algérie. Qu’ est-ce que vous diriez ?

Ca me fait énormément plaisir. D’ailleurs, j’ai fait une dédicace pour la JSK, même si je n’ai pas composé une chanson sur cela. J’ai été au stade du Premier novembre de Tizi Ouzou pour supporter la JSMB. Je profite de cette occasion pour présenter mes condoléances aux familles des deux victimes et un prompt rétablissement aux quatre blessés lors d’un accident. Je leur souhaite beaucoup de courage et de réussite. Je dirai à nos frères de Vgayet que nous serons tous présents au stade du 5 juillet pour les encourager. Je suis féru des trois clubs de Kabylie, à savoir le MOB, la JSMB et la JSK.

Un dernier mot peut-être ?

D’abord, tanemmirt de nous avoir inviter chez vous. De notre part, nous sommes toujours présents avec vous pour Taqvaylit. Pour mon public, je leur promets du nouveau pour cet été. Je reviens dans mon ancien style, soit celui de  » Je pense à toi « . Avec Tawfiq Ameur je me retrouve très bien et c’est lui qui ma créé. Le couscous préparé par une vieille est différent de celui fabriqué par machine.

Je tiens aussi à parler de Ferhat imazighen imula qui a produit un album formidable. J’ai été invité à sa conférence de presse et j’ai remarqué que Ferhat est quelqu’un qui respecte toujours les autres. Il a dit que notre travail est un combat que nous menons pour Taqvaylit. C’est une chose que j’ai appréciée.

Propos recueillis par : Mohamed Mouloudj

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