Dépêche de Kabylie : Vous êtes une figure emblématique du combat pour l’indépendance de l’Algérie. Pouvez-vous nous présenter Mme Ouiza Ighilahriz ?
Mme Ouiza Ighilahriz : Je suis issue d’une famille révolutionnaire dès mon jeune âge. J’ai appris à battre l’ennemie mais clandestinement.
C’est donc un héritage de mes arrière grand-parents. Mon père nous l’a transmis étant très jeunes et nous avons été éduqués d’une façon assez révolutionnaire. A l’âge de 8 ans exactement j’ai appris le sens du terme « colonialisme ».
L’Algérie célèbre, comme chaque année, les événements tragiques de son histoire (notamment le 8 Mai 1945), ma question est de savoir quel témoignage nous portez-vous aujourd’hui ?
Le 8-Mai-1945, ça a été les prémisses ou bien l’avant-combat du 1er Novembre 1954.
Quand il y eu un défilé « pacifique », (là je le retiens ). C’est épouvantable ce qui c’est passé ce jour-là. Ils étaient mains nues. Ils défilaient avec fierté pour l’Algérie parce qui on leur avait promis, d’après l’histoire : « Aidez -nous à évacuer les nazis, après-vous aurez votre autonomie ». Mes grand-parent ont cru comme tous les Algériens en ces promesses. Ils ont fêté la fin de la Guerre mondiale, convaincus d’avoir leur autonomie.
Malheureusement, cela s’est transformé en massacre, un vrai crime humain. C’était dramatique, macabre… (un petit silence, puis un soupir).
Les adjectifs qualificatifs français me manquent comme c’était ordurier ce qui s’est passé, c’est vraiment rare, selon leurs récits, écrivains, militaires et généraux qui ont écrit que c’était un crime contre l’humanité.
Comment commentez-vous les récentes déclarations faites par l’ambassadeur de France en Algérie, M. Bernard Bajolet, lors de sa visite à Guelma, il y a quelques jours, qualifiant les événements d’ »épouvantables massacres » ?
Ecoutez, déjà l’année dernière, c’était Hubert Collin de Verdière qui a dit que » il est inexcusable ce qui s’est passé, aujourd’hui encore Bajolet dit : on ne peut pas occulter cette tragédie.”
D’année en année, ils font des petits pas.
Mais là…. Nous préférions et nous souhaiterions ardemment à ce que l’Etat français puisse s’excuser une fois pour toute et officiellement. Sans omettre, bien évidemment de lancer un appel au peuple et à l’Etat comme quoi ils ont grandement fauté. Et là nous parlons seulement de 8-Mai-45, sans parler du 1er-Novembre.
C’était inimaginable ce qui s’est passé dans les trois wilayas: Kherrata, Sétif et Guelma. Un vrai bain de sang.
Non, non, ça jamais, on aurait cru qu’après avoir aidé la France à enlever les bottes du nazisme. Nous avons participé à ce que la France soit libre.
Jamais aussi on aurait cru qu’en contrepartie nous recevrions les balles des Français. C’est un vrai raz de marée… un macabre….
… Et votre rôle pendant la guerre… ?
Nous avons continué l’après-45. Nous savions pertinemment que ce n’était qu’une partie remise. Il fallait à tout prix prendre la revanche de 8-Mai-45. Pour vous dire j’avais 18 ans à l’époque. En décembre 57 j’ai été emprisonnée. Et c’était là, après 10 ans, où j’ai rencontré les prisonniers condamnés de Mai 45.
40 ans après, vous avez décidé enfin de rendre public ce que vous aviez subi, pendant les trois mois de votre emprisonnement. Pourquoi ce choix ?
(Larmes aux yeux)… Dites-vous bien que nous sommes en Algérie. Ce que j’ai subi je ne pouvais pas le dire, je ne pouvais pas (d’une voix enrouée)… j’avais prêté serment à ma maman en prison le 20 décembre 1957 quand elle a su que j’ai été déshonorée, elle m’a demandé de ne pas donner de détails. Nous sommes des Algériens, il y a une exaltation, une valorisation concernant cet « hymen ».
C’est pour le pays que je suis déshonorée.
J’ai avalé ça pendant tout ce temps. Sauf mon mari qui a été à mes côtés, parce qu’il était lui aussi un maquisard, il a compris la chose. Alors j’ai décidé, enfin, après 40 ans de faire part de mes souffrances parce que j’ avais très mal.
Que ressent Mme Ighilahriz aujourd’hui. En souffrez-vous encore ?
La blessure est indélébile. J’ai cru que j’ai bien fait d’avoir publié le livre « Algérienne », mais au contraire, j’ai souffert plus qu’avant, soit vis-à-vis de la société ou vis-à-vis de ma petite famille (mon fils et ma fille). Les plaies superficielles se sont cicatrisées, certes, mais les plaies intérieures de l’âme, du cœur, je crois que je les porterai jusqu’à ma mort. J’ai été souillée. Cette souillure ne me quittera jamais même pas mentalement… je souffre… je souffre…
Que pensez vous de l’Algérie d’aujourd’hui ?
Je ne regrette pas de ce que j’ai fais mais je suis vraiment déçue… Car jamais j’aurai cru qu’on parlerai de haraga, de kamikaze, de terrorisme…. Encore des diplômés chômeurs…. Alors-là, entendre parler des centres de vieillesse ! Mais, je vous le dis, il ne faut pas être négatif sur toute la ligne, il y a eu aussi un grand changement en Algérie : la construction de nouvelles universités et autres….
Propos recueillis par Nabila Belbachir