La croissance anarchique et sauvage des grandes villes algériennes est due essentiellement mais arbitrairement à l’exode rural massif des habitants de patelins et bourgades qui ont déserté leurs villages à la recherche de travail, et de conditions de vie plus clémentes dans les grandes mégalopoles algériennes. Cette population relativement récente se distingue par le type d’emploi occupé dans le secteur du bâtiment, d’autres se livrent à la mendicité ou au trafic des stupéfiants. Les habitants des gourbis appartiennent aux catégories sociales des personnels de service, manœuvres ou ouvriers. L’existence des bidonvilles remonte aux années 50 en Algérie avec la vague de travailleurs venue des zones rurales en renfort sur les différents chantiers, mais le vrai rush sur ces habitations de fortune est survenu durant les années noires où les populations des régions touchées par les hordes terroristes fuyaient massivement ces zones pour s’installer dans les grandes villes. La prolifération de ce phénomène s’est accentue de plus en plus avec la crise immobilière qui règne actuellement sur notre pays ainsi que la flambée des prix des logements et ceux des loyers. En effet, en Algérie et selon N. Meriem responsable au ministère de l’Habitat, plus de 400 000 bidonvilles ont été recensés. Un chiffre alarmant qui ne cesse de s’accroître au fil des années. Alors quelles sont les conditions de vie dans ces gourbis, les vraies raisons qui ont poussé ces habitants à s’installer dans ces baraques de fortune et l’impact que cela peut provoquer sur l’environnement.
Misère, insalubrité et précarité
Notre première halte a été le bidonville de Staouéli, où quelques jours auparavant, des citoyens ont tenu un sit-in devant le siège de l’APC pour manifester leur colère face à ce qu’ils qualifient de » hogra » concernant les logements sociaux leurs noms ne figurant pas sur les listes. Des tôles enchevêtrées mêlées à des briques cassées. Des moutons broutant l’herbe alentour.
Un groupe d’enfants joue avec un pneu usé au milieu des ordures, gravats et vieilles ferrailles qui traînent aux abords de cette étrange cité, reliquats de déchets déversés par des entreprises et les chantiers des alentours : cela ressemble à une décharge publique, cette première vision nous renseigne sur le quotidien des habitants ! Nous contournons le bidonville : sans oser y pénétrer : nous sommes des intrus. Ce bidonville qui abrite quelques 150 familles existe depuis plus de 15 ans. Collées l’une à l’autre, les baraques de ce bidonville, situé a la lisière de la commune de Staouéli à l’abri des regards offre un sinistre décor de pauvreté, de précarité et de malaise social. Erigées à côté d’un oued insalubre au début des années 1990, ces habitations précaires n’ont pas cessé de gagner du terrain, le décor qui s’offre à nous est lamentable, ces baraques de fortune abritent parfois jusqu’à 14 personnes et ce sans l’existence de la moindre condition de vie décente pour un être humain comme en témoigne Lotfi, marié et papa d’une petite fille « jugez par vous-même, vous voyez où on habite, il n’y a même pas de sanitaires, quand j’ai construit des toilettes “ils” sont venus les détruire « , Lotfi habite une sorte de baraque de 6 m2 dans laquelle sont disposés deux matelas, un manque d’hygiène flagrant et une odeur insupportable se dégage des lieux. En bas de la falaise, à proximité des ordures, des chérubins jouent au ballon, d’autres trimbalent un pneu, une femme d’un certain âge nous accoste disant : » Plusieurs enfants de ce quartier sont asthmatiques et souffrent de diverses maladies liées à l’état des lieux, lors des dernières intempéries,deux enfants sont tombés dans le caniveau et n’ont dû leur salut qu’aux jeunes du quartier. L’humidité et la pauvreté ont eu raison de la santé de nos petits. En été, on souffre de la canicule, et en hiver, on souffre du froid. La majorité des habitants de ce bidonville, n’ont pas les moyens d’acheter un chauffage électrique ou même à butane ». En contrebas du bidonville, des pratiques douteuses portent sur le trafic et la consommation de stupéfiants d’après un vieli habitant des lieux. Des carrés en parpaing coiffés de tôles de zinc, des égouts à ciel ouvert, des odeurs nauséabondes, des gamins crasseux courant à moitié nus composent le décor de ce « quartier « , une femme nous relate sa misère » je suis originaire de Médéa je suis veuve et j’ai cinq enfants. En 1997 on a fuit le terrorisme suite à l’assassinat de mon mari. J’ai atterri au sein d’une association qui m’a portée secours et m’a offert le gîte et le couvert ainsi qu’à mes enfants. Aujourd’hui, j’occupe cette pièce dans ce bidonville. Je travaille comme femme de ménage et je gagne 6 000 DA par mois. Nous survivons grâce à la générosité des gens. Nous sommes inscrits à l’APC de Staouéli pour bénéficier d’un logement mais on nous a demandé le versement d’un million de dinars, d’où voulez-vous que je me procure une somme pareille, hélas depuis nous n’avons rien vu venir « . Cette maman désespérée nous guide vers sa barraque situé dans un ravin, un décor mesquin s’offre à nos yeux : deux minuscules chambrettes en parpaing, plongées dans une obscurité totale » mes deux enfants qui ont 12 et 14 ans ne vont plus à l’école, ici la majorité des enfants quittent l’école avant même d’atteindre l’enseignement moyen. Ils préfèrent travailler et subvenir aux besoins de leur famille souvent nombreuse « .
Nous quittons ce bidonville pour nous rendre à Bachdjarah, plus exactement dans le bidonville de Jardina où près de 100 familles s’entassent et vivent dans un total dénuement, dès que les habitants nous aperçoivent ils se regroupent autour de nous pour se plaindre des conditions de vie, Kamel un des habitants nous confie » Ces habitations sont construites en parpaings avec des plaques de zinc en guise de toit. Cette baraque, je l’ai acheté il y a trois ans. Avant, je vivais avec ma femme et mes trois gosses chez mes parents. Avec tous les problèmes auxquels je faisais face, j’ai décidé de déménager, j’ai postulé pour un logement social, mais en vain « .
Des baraques pour 22 millions de centimes
Les conditions de vie dans ce gourbi sont dramatiques. Un vieux nous invite à visiter sa baraque où s’entassent 12 personnes, il nous montre quatre livrets de familles. Chose presque surréaliste, quatre familles se partagent les lieux, les larmes aux yeux il nous relate la misère dans laquelle il vit. Tous ces témoignages renseignent sur la gravité de la situation et la précarité dans laquelle sont plongés ces citoyens bannis du plan de réforme du président de la République et du projet presque utopique des 1 million de logements.
C’est la nouvelle tendance ces dernières années où un nouveau business du foncier a vu le jour. Ainsi, plusieurs communes sont touchées par ce phénomène, qui prend de l’ampleur comme nous l’explique un citoyen rencontré dans un bidonville à Staouéli » Cela se fait de bouche à oreille, la vente s’exerce sans documents officiels. Outre les parcelles de terrain, d’autres se livrent à un autre commerce, encore plus rentable : C’est celui des baraques. Le prix de celles-ci varie entre 6 à 22 millions de centimes. Des baraques érigées sur des assiettes foncières publiques, voire même protégées par la loi, notamment pour le cas des espaces verts et forestiers » il se tait un moment puis nous dira » il y a des gens qui rôdent autour de nous je préfère vous en parler ailleurs, » nous nous éloignons et il poursuit son récit « je connaît des personnes qui ont bénéficié d’un logement mais sont revenues ici après avoir loué leur appartement,comment expliquez-vous que des gens habitent un bidonville et possèdent une voiture luxueuse ? C’est vraiment aberrant », son cousin nous éclaire encore plus sur le sujet » la moitié des baraques que vous voyez sont vendues au marché noir par des spéculateurs, ils profitent de la détresse des gens pour leur soustraire un maximum d’argent, des sommes qui peuvent atteindre 220 000 DA, c’est la nouvelle mafia de l’immobilier qui propose ces baraques sans papiers ni documents officiels. Plusieurs centaines de familles y ont élu refuge. C’est une aubaine, un cousin à moi a acheté une baraque de type F2 et depuis, il en a fini avec la crise de logement. Il est marié et père d’une petite fille, même s’il lui manque les sanitaires « . Nous avons voulu connaître la version des officiels sur cette pratique scandaleuse mais aucune suite ne nous a été donnée. Notre interlocuteur nous dira que cette pratique existe dans l’ensemble des bidonvilles algérois. Notre tentative de joindre un responsable de l’APC pour avoir plus d’explications n’a pas abouti, donnant lieu à un refus de nous recevoir.
Mais d’après les déclarations de l’ancien wali d’Alger M. Nourani » pas moins d’un million de m2 de terres agricoles ont été détournées depuis les années 80 « . Des détournements commis entre 1988 et 2000 à la faveur de l’insécurité qui régnait dans le pays durant cette période.
Plus de 400 000 bidonvilles recensés en Algérie
D’après L. Meriem, responsable de la communication au ministère de l’Habitat, pas moins de 400 000 bidonvilles, accueillant plus de deux millions et demi d’habitants, ont été recensés sur le plan national à la fin de l’année 2007 dont 40 000 à Alger et 8 000 à Tizi Ouzou. D’après notre interlocutrice » leur nombre était de 520 000 en 2006, mais les efforts de l’Etat en menant une politique cohérente d’éradication de ces baraques commence à porter ses fruits et ce après la déclaration du président de la République en 2006 qui consistait au déploiement de tous les efforts et mettant les moyens nécessaires pour venir à bout de ce phénomène inquiétant à l’instar du programme quinquennal lancé en 2004 et qui porte sur la réalisation de plus d’un million de logements, sociaux participatifs, locatifs et ruraux « , la Carte sociale urbaine affirme-t-elle, est » un instrument efficace de lutte contre la précarité qui consistera en l’aménagement et au développement tout en visant à coordonner les actions de l’Etat dans la gestion et le développement urbains « . Une politique de la ville sera aussi mise en place et portera sur le renforcement de la cohésion sociale ainsi que l’éradication des poches de pauvreté au sein des grandes agglomérations.
Néanmoins, ce projet reste éloigné de cette réalité tragique vécue par ces familles algériennes.
Une réalité que nous avons constaté de visu, des conditions de vie inhumaines où de dangereuses maladies et virus aux conséquences fatales planent et menacent. Tout reste trés à faire pour sortir ces familles d’un quotidien incertain et précaire dans un pays aussi riche que l’Algérie où le baril de pétrole a atteint les 120 dollars nous allons vers une dangereuse banalisation de ces « gourbis de la honte « .
Hacene Merbouti