Le poète de l’amour

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Quel fan de la chanson kabyle n’a pas été envoûté par la voix de Farid Ferragui, une voix qui fuse du cœur, caressante à souhait, épousant les notes limpides du luth, son instrument fétiche, souverain de son propre rythme, sans le recours à la percussion, si retentissante dans les orchestres de la variété. Au point que certains mélomanes lui reprochent d’avoir usé du style de l’autre Farid, l’oriental, Farid Ferragui du petit village de Thaqa (Tizi Ghennif) n’a pas de susceptibilités dans sa vision artistique qui est à l’unisson de l’universel, lui qui écoute d’une oreille attentive Serges Reggiani, Maxime Le Forestier qui font vibrer leur public: « Le brassage des cultures existe.

La chanson du terroir peut être jouée avec un luth. J’aime cet instrument. Il se marie avec ma voix et je scelle l’union.  » Farid possède ce cachet particulier d’une identité vocale et instrumentale qui le distingue de l’ambiance commune de répertoires de cette nouvelle vague de voix communes évoquant une atmosphère d' » attaque de la diligence « . Un calme olympien gouverne, donc, cette harmonie majestueuse entre le bruissement musical du luth qui se passionne de sa voix qui touche l’auditeur et l’emmène vers les espaces féeriques de l’amour, la fraternité, la liberté, assises identitaires de la plénitude de l’être :  » On se distingue par la voix. Je vis mes chansons car si je ne les vivais pas, je chanterais faux. L’amour est dominant dans mes chansons sans cela l’humanité n’existerait pas.  » Farid exprime ainsi sa soudaine célébrité au début des années 80 avec des chansons fortes d’une textuelle sensitive. Le mot ul est l’espace pulsionnel de ses messages : Acu ar d ini ul ? (qu’aura à dire le cœur),  » A ul igebghane tulas (ô cœur qui aime les filles !). Des bouquets d’offrandes printanières composées à l’Ecole normale de Tizi Ouzou. Il fut un élève aussi studieux que le chanteur qu’il devint grâce peut-être à cette pédagogie des ex-Ecoles normales qui ont formé des enseignants non sans leur avoir donné le goût de l’art, la musique, la peinture et, non des moindres, un attachement viscéral à la terre, à l’oralité du terroir.

Depuis, la passion pour la chanson a pris. Dix-sept albums en une décennie. Une décennie sèche et noire durant laquelle ses mots d’amour et de solidarité ont rempli d’espoir les cœurs les plus enclins à la déprime. L’autre décennie, celle qui vient de s’achever, a tué, brisé, réduit au silence écrivains et artistes. Quelle chanson aurait eu la force de compatir aux douleurs innommables ou de dénoncer l’horrible et le carnage ? Farid Ferragui, comme d’autres artistes, n’a pas abandonné la scène. Mais il n’eut pas de spectacles. L’éthique est de droit. Au bout de ces années météores, la voix au luth reconquiert ses espaces aussi fraîche qu’elle le fut à sa naissance. Elle rompt l’absence avec une forte symbolique : un hommage à Matoub Lounès, le premier à être rendu par la chanson kabyle :  » Je me reconnais dans son combat, dans son esprit de sincérité et de courage imprégnés de son immense talent.  » Est-ce pour cela que, dans une de ses récentes chansons, il use de l’ironie à l’endroit du fait politique saturé et impuissant à dompter la sauvagerie ?  » Aw nedj avrid i kunwi, a wid eghran di siasa  » (nous vous laisserons la route, ô vous férus de politique !  » Mais ce n’est pas un désengagement. Il l’explique à titre de journaliste, c’est un confrère discret sur ce point : « Depuis l’apparition de la presse indépendante et l’ouverture démocratique, la revendication identitaire amazighe n’est plus l’exclusivité de la chanson. Si un artiste touche à la politique, il doit désormais avoir un niveau, s’informer et être en confrontation avec la presse.  » conclut-il.

R. C

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