L’affaire Habiba renvoyée pour complément d’enquête

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De notre envoyé spécial à Tiaret : Mohamed Mouloudj

Me Khelfoun, qui défend Habiba dans cette affaire, le moins que l’on puisse dire sensible, nous a expliqué que la défense sera saisie officiellement de la poursuite de l’enquête, dans les dix jours à venir, soit dans les délais de cassation. Habiba K., une jeune éducatrice dans une crèche à Oran, arrêtée en possession d’évangiles, fait actuellement objet de poursuites des plus farfelues. En effet, la jeune femme originaire de Tiaret, reconvertie au christianisme, risque une peine de 3 ans de prison ferme pour pratique non autorisée d’un culte autre que musulman. Le procès qui s’est déroulé au tribunal correctionnel de Tiaret, mardi passé, a provoqué une campagne d’indignation et de condamnations.  » C’est une grave atteinte aux libertés individuelles, et nous sommes là pour soutenir ces libertés bafouées par un système autoritaire « , nous déclare Madjid Ait Mohamed, membre du CCDR, venu d’Alger pour la circonstance. De son côté, la communauté chrétienne en Algérie s’est donné rendez-vous hier au tribunal de Tiaret afin d’apporter son soutien à la jeune Habiba K. et aux six autres  » accusés de chrétienté « . Des Algériens de confession chrétienne sont venus de Sidi Belabbès, d’Oran, de Tissemsilt et de Tizi Ouzou… pour soutenir  » leurs frères  » dans ces affaires qu’ils qualifient  » d’incroyables « .

2 ans de prison ferme et 500 000 DA d’amende pour soupçons de chrétienté

8h45 du matin, le tribunal de la ville de Tiaret est déjà prise d’assaut par des centaines de citoyens venus régler leurs affaires de justice. Les trois salles d’audience que compte l’enceinte judiciaire de la même ville étaient pleines comme un œuf. La première séance consacrée à une affaire de détournement de fonds et de corruption dans une entreprise publique a vu défiler à la barre une centaine d’accusés. Lors de la deuxième séance, de l’après-midi, et après quelques affaires de droits commun, six jeunes seront appelés à la barre des accusés. Un silence assourdissant planera sur la salle, quelques minutes après l’appel du président, Kamel Hamiche, aux six accusés. Avant le début de l’affaire tant attendue, le juge appelle les journalistes présents à ne pas prendre de photos ni denregistrer le son. Une chose qui confortera les journalistes présents du moment que mardi passé, soit le jour du procès de Habiba K., le juge a ordonné la confiscation des carnets de notes des journalistes.

L’affaire de six accusés sort de l’ordinaire. Ils sont poursuivis pour  » distribution de livres afin d’ébranler la foi d’un musulman « , nous confirme Me Kheloudja Khelfoun, avocate de la défense.

A la barre, les six prévenus, Djallil. 30 ans, Rachid, 35 ans, Mohamed, 50 ans, Chabane, 26 ans, Samy, 30 ans, Abdelkader, 32 ans, zen, répondent d’une voix sûre aux multiples questions du président de séance et de l’avocat de la Direction des affaires religieuses de la wilaya de Tiaret qui s’est constituée partie civile dans ces affaires.

Rappelant les circonstances de leur arrestation le 9 mai écoulé, les six accusés affirment qu’ils se rendaient chez leur ami Rachid, informaticien de son état afin de  » débattre de beaucoup de sujets et non seulement du christianisme avant qu’ils soient arrêtés à tour de rôle ». Le premier à être invité à s’expliquer sur le motif de son arrestation est Rachid, propriétaire de l’appartement qui serait le lieu de réunion de cette bande d’amis.

Avec un air déterminé, Rachid répond d’une manière ordonnée aux questions du juge.  » Vous êtes accusés de distribution de livres afin d’ébranler la foi d’un musulman « , lui disait le juge et d’ajouter que  » vous dispensez au profit de vos amis des cours sur la religion chrétienne « , ou bien  » êtes-vous chrétien ? « …

A tour de rôle, les six accusés répondent aux questions, sauf qu’à la question “êtes-vous chrétien ?” Mohamed lève la main et souligne  » qu’il n’est pas encore chrétien mais il cherche à comprendre ce que disent toutes les religions « . Face à l’insistance du juge, les six répondent qu’ils sont amis et que rien ne leur interdit de se voir ou de se rencontrer.

Tous les six ont affirmé que  » personne n’exerce de pression sur les autres afin de les convertir au christianisme, car nous ne sommes pas des gamins « .

Sans gêne, le juge revient à la charge contre Rachid et pose la question sur les objets retrouvés sur eux, même s’ils ont été arrêtés séparemment.

De son côté, Me. Drissi, avocat de la partie civile, s’est appuyé sur la loi du 28 février 2006 ayant trait à l’organisation des cultes non musulmans en Algérie, pour appuyer ses réquisitoires contre les six néo-convertis.

Sur le même volet, Me Drissi a précisé que  » cette loi garantit une liberté de conscience et assure aussi la sécurité des pratiquants de différents cultes autres que musulmans « .

Par ailleurs, il a affirmé que  » même des associations musulmanes ont été poursuivies en justice pour quête illégale « .

De son côté, Me Kheloudja Khelfoun, avocate au barreau de Tizi Ouzou, a dans sa plaidoirie battu en brèche toutes les accusations portées contre ses clients. Ainsi, et s’appuyant sur l’article 11 de la même loi, l’avocate de la défense a estimé que la loi du 28 février 2006 stipule qu’est soumise à autorisation la pratique collective de culte non musulman, et de poser la question du comment peut-on demander une autorisation pour la pratique individuelle d’une religion ?

D’autre part, Me Khelfoun a estimé que certaines questions posées aux accusés lors de l’instruction de l’affaire, comme l’appartenance partisane, les voyages à l’étranger…, relèvent strictement d’affaires purement personnelles. A signaler que tous les avocats présents au tribunal sont venus assister au déroulement de l’audience et écouter sa plaidoirie.

Ne lâchant pas prise, le juge de même que l’avocat de la partie civile reviennent pour faire endosser à Rachid, principale cible dans l’affaire, les foudres d’une telle campagne.

Ainsi, la recherche d’un  » agenda  » et d’un  » carnet  » était la question qui revenait à chaque moment. Sur ces agenda et carnet, on peut deviner que des notes concernant le christianisme sont portées.

A signaler que ces objets ainsi qu’une caméra et des CD ont été confisqués aux accusés.

Après plus d’une heure d’un débat houleux entre les différentes parties, le procureur de la République a requis 2 ans de prison ferme avec 500 000 DA d’amende contre les six inculpés.

Le verdict sera connu le 3 juin.

M. M.

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