“Amalah a ddar n’seltan / axxam nat Mweqran / ikfa ttmeq ufillali
Terrezd a Tamgut yaalan/ tin yifen lquman/yers tlam deg n’zali/ Lhadj muhemmed at Mweqran/d aggur ger yethran/tghabed à ssbà aremli Bu ssedsu am lwizan/rrefda utaghan/ghef u uâdiw i-getchali
Mala ay amgud n zzan/ay uchbih rebban/deg gwefaddu I gettili/
Immut lamin L-bizan/ighli di lexzan/sah ay izri di lehmali/”
(Hélas ! Où est le palais princier des Mokrani / passées sont les bottes de maroquin /
Tu es brisée Tamgout altière/qui domine tous les alentours / et la nuit est tombée sur les campements/
hadj Mohamed Mokrani / Lune parmi les étoiles / lion des sables tu n’es plus /
Il avait denture de perles / yatagan au côté/ et cheval caracolant
Las sur le beau plant de chêne zen grandi/dans la forêt d’Akfadou
Le roi des faucons a trouvé mort/au fond d’une trappe/mes larmes coulent à flots”
L’épopée de Mohamed El Mokrane, passée à la postérité sous son nom arabisé d’El Mokrani, nous a été superbement transmise par la poésie orale kabyle. Là, où les historiens, notamment français, tentaient de mystifier l’histoire de ce héros national, la poésie la restitue avec des mots simples dans sa vraie dimension. Les vers cités en haut, tirés d’un poème, de plus de 200 vers intitulé “Taqsil n’wahed u sebâin” extrait de l’œuvre “Poèmes kabyles anciens” de Mouloud Mammeri, nous renseignent en peu de mots, de quelle manière El Mokrani est passé dans la mémoire collective. Mort sur le champ de bataille le 5 mai 1871, d’une mort qui trouble encore les historiens (la balle qui a mis fin à ces jours a-t-elle été tirée par un soldat ennemi ou par un des siens à la solde des français ? La question reste toujours posée !) El Mokrani restera à jamais dans la mémoire de notre pays comme un des révolutionnaires qui ont écrit une des plus belles de la résistance algérienne. Son nom restera pour toujours lié à l’insurrection de 1871.
Issu d’une famille de notables dont les possessions terriennes se comptent en centaines d’hectares, la France coloniale pour avoir le contrôle sur les populations locales désignera des fils de famille nobles dont El Mokrani comme bachaga, mais les changements politiques survenus en France et leurs prolongements en Algérie dont, notamment la promulgation le 24 Octobre 1870 des décrets Crémieux va totalement désillusionné les Algériens, surtout ceux qui ont accepté de jouer le rôle de supplétifs.
La fin du régime militaire avec ses fameux bureaux arabes chers à Bonaparte, l’installation du régime civil avec les privilèges accordés aux colons et l’attribution collective de la nationalité française aux juifs d’Algérie va précipiter les évènements. “Je préfère être sous un sabre qui me trancherait la tête mais jamais sous la responsabilité d’un Juif”.
Cette phrase d’El Mokrani résume à elle seule ses sentiments envers Crémieux qui est lui-même un Juif et ses décrets. Indifférente au souffrance des Algériens, (la famine ayant causé des milliers de victimes entre 1867 et 1868 en est une preuve), la France coloniale n’avait qu’un seul souci : asservir les Algériens et les transformer en esclaves des colons européens.
El Mokrani a compris que pour la France seul ses intérêts comptent. Blâmes, vexations, humiliations de toutes sortes… que d’affronts ce fils de l’aristocratie kabyle n’a-t-il pas subi de la part des colons.
De vénérable chef traditionnel, de bachaga aux larges pouvoirs, il est réduit à un simple membre du conseil municipal de la commune mixte de Bou-Arréridj, sans pouvoir, ni influence…
Bacaya ibaz lxatef/Ay itvir n rref/malah a ssbaa bu zzenda/
Si bwaârarig ar Chlef/win ittef a-t-i wsef/Ihuza ddula d ludya/
Tura yezga-didderref/Mi d-musa nedaâf/Ddenya tetneqlaba/
“Le bachaga faucon ravisseur/ramier de dessus les toits/lion puissant las
De Bou-Arreridj au Chelif/ avait tout dompté/son pouvoir était assis comme un roc/
Maintenant on l’a mis à l’écart/car nous sommes sans force/et changeants les jours”
Ainsi fait-on mention dans le poème cité en haut, du sort que l’administration a réservé à cet homme qui l’a pourtant servi.
la coupe est devenue pleine et El Mokrani de présenter sa démission. Que sa démission soit rejetée, que les Français continuent à ne considérer les Algériens que comme des êtres inférieurs propres uniquement à servir d’esclaves ou de supplétifs, ne font que renforcer El Mokrani dans ses convictions : les Français et les colons européens ne méritent qu’une seule chose, être combattus.
C’est le 16 mars de l’année 1871 que l’épopée militaire d’El Mokrani commence avec l’encerclement de Bordj-Bou-Arreridj, ville fortement envahie par les colons. Quoique cette première bataille n’a pas eu de succès retentissant, elle eut, comme effet immédiat, la généralisation de l’insurrection : Miliana, Cherchell, Jijel, Collo ainsi qu’El Hodna, Msila, Bou-Saâda, Biskra, Batna, Aïn Salah, Touggourt…
Presque tout le pays est touché par ce soulèvement que tous les historiens qualifient comme la plus grande des insurrections menées par les Algériens depuis 1830. Ayant rallié à sa cause la zaouia Rahmania et ses chefs charismatiques : Cheikh Ahhedad et son fils Mohamed Améziane, El Mokrani a pu facilement grossir ses rangs et mobiliser presque tout le pays. Chef religieux respectable et très écouté, le vénérable cheikh Aheddad, par son appel au djihad (la guerre sainte) le 8 Avril 1871, va mobiliser quelque 120 000 hommes et l’embrasement sera presque total. Les dissensions apparues à ce moment-là entre les différentes zaouias face à ce “djihad” ont peut être pesé sur le cours de ce mouvement insurrectionnel, mais en dépit de cela, la population algérienne a donné une belle leçon de courage et de dignité à l’administration coloniale.
Des batailles intenses ont eu lieu avec la victoire des insurgés. Plusieurs défaites ont été subies par l’ennemi ce qui lui a, finalement, fait prendre conscience de l’ampleur de cette résistance armée. En renforçant son dispositif militaire (plus de 100 000 soldats puissamment armés) l’amiral Gueydon, va tout faire pour venir à bout de cette contestation généralisée. La mort prématurée au champ d’honneur d’El Mokrani, les divergences existant entre les chefs des insurgés (à titre d’exemple, les rivalités opposant le frère d’El Mokrani et Cheikh Aziz, fils de Cheikh Aheddad ont participé à la déroute de ce mouvement qui a tenu pendant dix longs mois.
Les conséquences ont été désastreuses : Plusieurs villages ont été totalement détruits, des familles entières ont été décimées, une bonne partie de la population a été contrainte à l’errance, des milliers d’insurgés ont été déportés à Cayenne ou en Nouvelle-Calédonie, de lourdes amendes ont été infligées aux personnes ou aux régions ayant participé à l’insurrection. Les biens et les terres des insurgés ont été mises sous séquestre…
En un mot, il s’agit là tout simplement de crimes contre l’humanité. A quoi peut nous faire penser l’anniversaire de la disparition d’un de nos héros nationaux sinon qu’il est grandement temps pour nous de revisiter notre histoire pour mieux préparer notre avenir.
Boualem B.
