“Le Rendez-vous” (Nouvelle)

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Le ciel de ce matin était mi-obscur, mi-clair. Les masses noires qui s’accumulaient et s’encombraient et qui couvraient l’espace par endroits faisaient de lui une feuille dont les mots l’embellissant étaient éparpillés en vrac à la surface. Les nuages épars le rendaient tristement avare qui de chaleur, qui de froid. Ce matin-là, je m’étais réveillé un peu tôt dans le jour.

Des milliers d’idées noires se défilaient et tournaient dans ma tête. Ce jour-là, ma vie avait viré au cauchemar. Elles étaient aussi éparses dans ma cervelle que les nuages l’étaient dans le ciel. Pourtant, je n’ai rien de vraiment important à faire ni aucune personne particulière à rencontrer d’autant plus que le rendez-vous avec mon destin n’était pas envisagé. De plus, je ne comprenais rien à ce qui se déroulait dans ma tête. Après un égarement de quelques minutes, j’ai pris mon sac à dos et, accompagné de ma tendre folie, je suis monté à l’université de Bouzaréah.

Quand j’y étais arrivé, rien ne s’est éclairci d’un pouce. La claire obscurité régnait encore sur le ciel et gagnait de plus belle les cerveaux des gens. Le désarroi menait encore ma pensée. Le café habituel que je prends chaque matin, je ne pouvais le prendre car je ne voulais pas qu’un autre goût altère mon sens fait d’amertume, rien que d’amertume, tout d’amertume. Après un instant de réflexion, je me suis allé m’installer loin de tout le monde.

Loin des regards, à mes yeux, agaçants de tous. J’ai mis de côté toutes les choses qui me marquaient : ma folie, mon désespoir, ma lassitude et mes déboires pour me sacrifier corps et âme au grand rendez-vous de la journée que je venais juste de me fixer. La rencontre avec la solitude. Dans un climat délétère. Au bout de quelques secondes, j’ai senti que la mort m’engloutissait. Même la solitude en avait marre de moi. Avant même qu’elle ne m’ouvre ses bras, je m’étais investi dans la recherche de tous les arguments pour supplier ce monstre de lassitude de me quitter et de me délivrer. A vrai dire, la solitude avait pitié de moi et mes yeux avaient honte de l’affronter.

Avant qu’elle ne m’adresse la parole, j’avais lu le désarroi dans son visage. Sans me le dire, j’avais compris qu’elle avait envie de me délivrer et me libérer pour un autre. « Veux-tu que je te prennes la main pour un destin que tu croyais certain mais qui peut s’avérer incertain ? », m’a-t-elle demandé calmement. Je répondais par un silence. La solitude était inquiète de mon état. Comment y échapper ? Je regrettais déjà ce rendez-vous.

Aussitôt après, la voix de mon destin avait tout brisé dans mon cœur en faisant vibrer mes oreilles et libérer mes sensations et mes sentiments. « C’est la délivrance », me disais-je. La solitude avait disparu en un clin d’œil. Après quoi, le rendez-vous de la solitude était raté. Il avait laissé place à un autre plus important et moins virtuel : la rencontre du destin de mon destin. La brise que mes narines soupirent à humer. J’étais donc descendu à la fac centrale d’Alger d’où était parvenue la magique voix qui a trépidé mes poils et d’où sera prévue que sorte la merveilleuse langue qui a caressé mes oreilles à 14 h. Le voyage Bouzaréah-Alger était fatigant et stressant à me casser les dents à cause de l’encombrement.

Quant j’étais arrivé à la Fac, j’avais pris un café que j’ai sucré à en contaminer mon sang. J’étais tellement pressé de voir mon destin devant mes yeux. L’espace d’un rêve et d’une imagination, voilà qu’il est sous mes yeux. Un joli sourire se dessinait sur son visage et s’ensuivait un long… silence.

Malheureusement, pour nous ce silence était l’augure d’une désagréable suite, le prélude à un autre silence plus brutal et plus… silencieux. Nous restions plusieurs instants à nous regarder mutuellement puis d’un geste commun, nous avions consenti qu’il fallait bouger. Nous étions montés du coté de l’UFC et nous sommes installés au 6e étage d’où un panorama nous a été offert à scruter. Sans nous parler. Tandis que nous admirions Alger, la sale, la maudite ville aux mille visages, un homme barbu passait par là.

Le ciel faisait encore le mariage entre la clarté du soleil et l’obscurité des nuages. Nous ne nous parlions que par la langue du silence et le barbu descendait les marches de l’escalier. Comble d’ironie ou ironie de briscard ? Qui sait.

– Vos cartes, nous crie un gaillard venu quelques minutes après nous interdire la méditation de la beauté de ce que Dieu a créé et de l’ « hidosité » de ce que l’homme en a ajouté. Ironie de contexte. Dans notre pays l’admiration partagée entre un homme et son destin est proscrite. Le velu qui nous a vu ici a assurément vu un diable entre nous. Ici, il faut que je le reconnaisse, mon intérieur était régi par une sorte de loi instinctive à qui je n’étais en mesure d’en comprendre que le côté le plus banal.

Aujourd’hui, je comprends que ce côté banal est le fondement de toute l’existence. Entre nous, rien n’a été à ajouter. Et comme un malheur ne vient jamais seul, voilà que quelques minutes après, le véloce nous a destitué de nos cartes pour ensuite les restituer sur une armure de conseil pour éviter l’effet néfaste du diable.

Que Diable nous contamine. La vie nous fait vivre des situations pour le moins que l’on puisse les goûter insipides et parfois amères à souhait. Si puissamment qu’on puisse les affronter, on ne parvient que miraculeusement à y remédier. On en souffre d’abord mais surtout on y laisse quelque chose qui peut être de très cher de nous-mêmes lorsqu’on s’y découvre.

Et combien est scandaleux d’y laisser l’espoir, d’en échapper aux conséquences. Parmi ces situations, il y a l’impasse, d’où le désarroi et l’angoisse. Le monsieur qui nous a demandé nos cartes, savait-il que les semblables de celui qui l’avait spécialement envoyé chasser le Satan qui nous hantait ont fait et font encore le carnage de notre pays ? Savait-il qu’ils sont les diables qui ont causé le malheur de tout un peuple ? Etait-il conscient qu’ils ont dérouillé le pays de son humanisme ? Mais qu’importe puisque notre patrie est malade de son peuple et de ses pensées. Oui un peuple a faim, faim à remplir le ventre.

Et un peuple qui ne pense qu’à remplir son ventre est un peuple qui se perd dans sa propre peau dans l’espoir d’assouvir ses désirs les plus péjorativement “animalesques”. Son histoire sera outragée et il finira toujours par mourir dans sa faim.

Il nous a restitué nos papiers et on a quitté la fac dans un silence strident. Le soleil était passé de l’autre côté de l’horizon qui continue de faire la joie et le bonheur de tous ceux qui ont rempli leurs ventres et de celles qui ont dégusté le plaisir de ne pas croiser un diable barbu.

Le soir, j’étais rentré le plus tristement du monde dans la chambre que j’avais quittée le matin dans le même état. Le rendez-vous avec mon destin avait échoué. Le sera-t-il pour toujours ? Le destin, lui seul, pourra nous en dire autant de ses secrets au fur et à mesure que l’on avance dans le temps pour distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas et ce qui est logique de ce qui ne l’est pas. En fait, distinguer le bon grain de l’ivraie.

Par Karim Aïmeur

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