Désolantes figures de styles

Partager

Une multitude de formules, les unes plus plaisantes que les autres, ont été imaginées et lancées à la cantonade par des faiseurs d’opinion et même par des officiels au logo bien inspiré pour caractériser l’état socioéconomique du pays et le degré de développement humain des populations algériennes par rapport aux potentialités de notre territoire. L’une des images est celle mise en circulation par l’ancien Premier ministre, Ahmed Benbitour, où il déclare sèchement que l’Algérie “importe de la pauvreté’’. On a eu, par le passé, à entendre d’autres métaphores du genre : “les Algériens sont des pauvres vivant dans un pays riche’’. Un autre prisme, celui de l’ancien grand argentier du pays, Abdellatif Benachenhou, avait arboré en son temps une envolée moins alambiquée que l’on a tendance à croire au premier abord : “L’Algérie est un pays pauvre qui se prend pour un pays riche’’. Cette dernière assertion, assénée comme une vérité du Paysan du Danube, possède son pesant de réalité économique imparable en ce sens que l’économie du pays repose presque exclusivement sur la rente pétrolière dont la redistribution pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Après plus de trois décennies de navigation à vue, de mauvaise gestion, de rapine et de clientélisme, les classes sociales qui en furent le produit ont globalement respecté le trinôme de la stratification classique observée dans toutes les économies dirigistes et rentières : la nomenklatura et ses satellites- brocardés un certain moment du nom de mafia politico-financière-, la classe moyenne et la classe pauvre.

Au vu de l’impasse historique qui a frappé d’obsolescence le système politique et l’ordre socioéconomique algériens, le Plan d’ajustement structurel était venu ‘’remettre de l’ordre’’ dans la maison Algérie en l’astreignant à une transition vers l’économie de marché au prix que l’on connaît : libéralisation des prix, plans sociaux pour les entreprises publiques, un taux de chômage effarant et, fait dont on ne mesure pas encore assez les conséquences, le laminage de la classe moyenne qui, partout dans le monde, représente l’ossature culturelle et idéologique de la cohésion sociale et de la construction du projet démocratique.

La décennie du terrorisme n’a pas remis en cause cette nette bipolarisation des classes sociales ; au contraire, elle lui a fait subir une agrégation jusqu’à la limite de la masse critique. En plus clair, les riches ont continué à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. Si l’on pouvait s’offrir le luxe de prendre le critère de la Banque mondiale fixant le seuil de pauvreté- une personne vivant avec moins d’un dollar par jour est considérée pauvre-, plus de deux tiers des Algériens seraient déclarés pauvres. Les leviers et relais sociaux mis en œuvre par les pouvoirs publics ne font qu’amortir le choc, différer les contestations et émousser temporairement l’esprit de jacquerie.

Seule une politique ouverte et hardie de l’investissement créateur d’emplois et de richesses et une morale d’État basée sur l’équité et la justice sociale pourront réduire les grandes disparités et recréer les ressorts d’une cohésion sociale qui, dangereusement, s’effiloche à vue d’œil. Toute autre potentialité demeurée en friche ou toute velléité ne dépassant pas le stade du vœu pieux ne seront considérés que comme une pauvre richesse.

A.N.M.

Partager