C’est dans des conditions lamentables que ce spectacle a été réalisé sans aucune prise en charge, d’abord au Conservatoire de Béjaïa avant de s’achever au Théâtre régional (TRB). Ce qui n’a pas manqué, lors de la générale, présentée mercredi 9 juin 2008, de relever des insuffisances, surtout dans la mise en scène. En effet, des connaisseurs du théâtre nous ont fait remarquer que la mise en scène s’est limitée à un bar et une rue et que l’on ne retrouve pas réellement la thématique des compositions musicales sur scène, sans oublier les difficultés à situer les évènements dans l’espace et le temps. De plus, le musicologue l’emporte sur le metteur en scène.
De son côté, Bihik le percussionniste auquel nous avons rapporté ces critiques, a justifié ces insuffisances en nous déclarant que d’abord, initialement Akin i Lebhar devait être un spectacle musical avec des apparitions très brèves de comédiens mais, l’histoire relatée dans cette pièce a obligé l’équipe réalisatrice à approfondir le spectacle. Quant à la possibilité de situer les évènements, Bihik nous dit que c’est facile à faire à travers les chanteurs dont les œuvres ont été reprises. Signalons aussi que des problèmes techniques ont empêché l’emplacement prévu du plan de scène.
Quoiqu’il en soit, cette pièce dans le genre music-hall est à améliorer, mais aussi à prendre en charge car, il faut quand-même des moyens.
L’histoire relatée dans Akin i Lebhar est celle de l’immigration, tous types confondus. En effet, de la fin de la Seconde guerre mondiale à nos jours, les raisons de l’exil diffèrent puisque, si en 1945, les Algériens quittaient leur pays poussés par la misère et afin d’aider leurs proches, aujourd’hui c’est carrément la “fuite” volontaire à la recherche d’une vie meilleure. C’est le phénomène appelé communément “harraga”. Tout cela, en passant par l’exil forcé pour des raisons politiques durant les années 70/80.
C’est ainsi que l’on nous montre une scène représentent un village procédant au tirage au sort pour désigner les “heureux ?” élus à l’immigration. La première interprétation musicale est un cri de détresse (une chanson de Salim El Hellali), suivi d’un acewiq kabyle. Le personnage principal de Akin i Lebhar s’apprête donc à émigrer alors que sa femme est enceinte. Comme souvenir, il lui laisse sa montre.
A Paris, il est épaté par la capitale française. Auparavant, le départ est “relaté” par l’interprétation de la Maison blanche de cheikh El Hasnaoui.
Bien qu’il s’adapte rapidement à sa nouvelle vie, cela ne veut nullement dire qu’il roulait sur l’or ; au contraire il faut que la génération actuelle sache que la grande majorité de nos pères émigrés travaillaient surtout dans les mines pour se retrouver le soir dans des bistrots, seuls lieux de rencontres entre compatriotes. Tout cela pour dire qu’ils vivaient dans l’obscurité, de jour comme de nuit.
C’est dans ce contexte que notre personnage principal apprend la naissance de son fils, puisque, rappelons-le, à son départ, sa femme était enceinte. Sa réaction est un mélange de joie, de nostalgie et de regrets. Avec le temps, sa famille, à qui il envoyait régulièrement de l’argent, devient de plus en plus exigeante et les conflits internes à la famille empirent la situation. Au même moment, “l’immigré”, impuissant, s’adonne à l’alcool. Cette période, dans le spectacle, est relaté avec l’interprétation de A Madame encore à boire de Slimane Azem et une scène montrant la femme élevant son fils, en espérant que son mari reviendra un jour pendant que ce dernier ne se sépare plus de “sa bouteille”. En fait, il a fini par oublier son pays et même sa famille.
Vient la Guerre d’Algérie : les Algériens en Europe, tout en suivant l’évolution des événements à travers les médias, contribuent à la lutte du peuple en finançant la fédération FLN. Des Européens se joignent à eux… L’Indépendance de l’Algérie est représentée avec une projection de photos de la guerre et l’interprétation de la chanson de Slimane Azem Idhehred w-aggur.
La suite du spectacle nous montre un cas parmi tant d’autres sur l’histoire de l’immigration. Notre personnage principal s’en tire plutôt bien puisqu’après avoir perdu son emploi, il se fait embaucher dans le bistrot qu’il fréquente avant d’en devenir le propriétaire, la patronne devenu vieille et sans héritiers le lui offrant. Ce dénouement heureux signifie aussi l’oubli des raisons de sa venue en Europe, car il ne reviendra jamais au pays. Pourtant, en même temps, il est divisé entre l’immigration définitive et le retour au bercail. Cette situation est montrée dans Akin i-lebhar avec une scène où “notre immigré” erre, les clés du bistrot entre les mains, et les musiciens entamant un medley de quatre chansons : Ayaguellid moulana de Zerrouki Alloua, Nessemhak oughaled kan de Samy El Djazaïri, Baris Baris de Lili Boniche et Algérie mon beau pays de Slimane Azem.
La pièce Akin i-lebhar traite ensuite un autre type d’immigration : l’exil forcé des intellectuels pur des raisons politiques durant les années 70/80. Les musiciens interprètent alors El Menfi d’Akli Yahiatène. Viennent les années 90 et l’obsession des jeunes à fuir le pays.
Ce n’est pas encore le phénomène appelé communément “harraga” mais plutôt la ruée vers les consulats étrangers pour tenter d’obtenir un visa. C’est donc une scène représentant le consulat de France que nous montre le spectacle où l’on retrouve le petit-fils du personnage principal parmi tous les jeunes.
Il a entre les mains la montre de son grand-père avec l’intention de la lui montrer s’il le retrouve à Paris. Malheureusement pour lui, il se voit refuser le visa. Cette question de visas refusés est généralisée dans le spectacle à travers une projection. Vint enfin le dernier type d’émigration : c’est le phénomène actuel appelé communément “harraga”. Et c’est là que l’on retrouve le petit-fils de notre personnage principal en train de pousser une embarcation de fortune…
Suit alors une projection où l’on montre les souffrances des “harragas” : danger, mort, repêchage et humiliations pour les rescapés. Pour le petit-fils du personnage principal, on le retrouve sur scène assis sur un banc — après avoir “réussi” la traversée — sale, mouillé et affamé.
Il se retrouvera dans le bistrot de son grand-père qui n’hésite pas à lui donner à manger, vu son état, alors qu’il s’apprêtait à fermer.
En cherchant un mégot dans sa poche, son petit-fils sort la montre que son grand-père reconnaît comme étant la sienne lorsqu’il la prend entre ses mains. Effarouché, son petit-fils la lui reprend et s’enfuit avant que son grand-père ne l’appelle par son prénom…
Après l’émotion, la scène du spectacle nous montre le jeune petit-fils avec un tablier, un balai à la main : c’est le cycle du recommencement de l’immigration de génération en génération… Le spectacle s’achève par l’interprétation d’une chanson par un texte de Cheikh Saddek El Bjaoui Ahlil win ur nekrim Paris.
Tarik Amirouchen