Un texte plein de belles images

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C’est un roman captivant qui nous invite à déceler de très belles images, de très belles choses à savourer entre les mots et les métaphores soigneusement choisies.

Le Malheur de Maria, publié dans le pays de Molière, aborde avec courage et lucidité un sujet autour duquel les médias français ont créé beaucoup de bruit et d’agitation, mais sans jamais aller y voir de près. Yasmina Khadra l’a empoigné avec son expérience propre d’ancien officier. Rachid Boudjedra l’a abordé en créant un personnage de commissaire de police femme confrontée au fanatisme terroriste. Makhlouf Bouaich plonge, lui, dans la clarté glauque des dessous quotidiens de la lutte entre l’armée, la police et les terroristes islamistes, du point de vue d’une victime innocente, sans jamais tomber dans les clichés rebattus ni les contre-pied systématiques. Il en plante le décor traditionnel : le choc entre la modernité et un traditionalisme despotique, entre l’individu et la pression de la famille élargie ou du milieu. L’ébranlement est aggravé par la crise d’un régime qui se montre incapable d’assurer un toit et un revenu à ses citoyens, quoiqu’il ait concentré et confisqué tous les pouvoirs, économiques, politiques, culturels ou idéologiques. L’auteur montre l’individu masculin oscillant, déchiré et ballotté entre des exigences contradictoires et entre des valeurs irréconciliables dans le domaine intime de l’amour ou de la vie conjugale. Le tout sur fond de marasme économique et social. L’un des aspects les plus intéressants est sans doute le tableau que l’auteur offre des affrontements cachés ou des conflits de valeurs ou de déontologies, entre les différentes composantes de ce qui constitue le principal rempart du régime contre la déferlante du fanatisme islamiste. Il esquisse une peinture ou une analyse très déliée des relations entre les différents acteurs du régime à un niveau qui n’est ni celui de la tête ni celui de la base. On y voit les complicités, les prudences, les réserves, les actes de courage solitaires au milieu des luttes entre clans et autres ambitions personnelles. On discerne l’héritage massif de la domination de l’Armée, seule institution structurée au moment de l’indépendance. L’auteur a cependant choisi de prendre comme principal centre de son regard une femme, déchue de sa nationalité française par son union, laborieuse, avec un médecin algérien, qui avait été elle-même précédée d’une tentative avortée pour des raisons religieuses avec un autre médecin. La plongée de cette femme, à son corps défendant (il s’agit malheureusement de ce qui n’est pas une métaphore), dans les soubassements du régime, sa réémergence à la lumière grâce à l’action d’un officier, voisin de palier, constituent le cœur de l’action qui éclaire les niveaux obscurs des institutions publiques. D’une certaine manière, le choix de cette quasi apatride par décision ou par rejet est sans doute destiné par l’auteur à souligner l’absurdité affreuse et désespérante de ce que les Algériens ont appelé les années de plomb. La fin est relativement heureuse ou recèle un goût amer : je laisse le soin au lecteur d’en décider. Voici un roman qui devrait trouver un vrai public dans le lectorat renaissant de l’Algérie d’aujourd’hui. L’officier, Mokrane, est capitaine, un rang relativement subalterne, sa femme est restée « montagnarde », le privant ainsi d’un moyen de franchir les échelons, de devenir Commandant, par le canal de l’intrigue des épouses. D’une certaine manière, cet échec le sauve. Entre l’homme que les circonstances ont placé au cœur de la sécurité militaire, et donc du pouvoir réel, et l’avocat en fuite de la Ligue des Droits de l’Homme, dans la clandestinité il s’établit comme une complicité qui remonte à une jeunesse commune d’étudiant, avec en partage sans doute des idéaux, la vallée de la Soummam… Il y a là comme le rêve que des ambitions, des désirs de puissance inassouvie puissent se sublimer vers des idéaux plus sains. Cela est possible, même plausible et sûrement bien vu. Un autre trait du roman de notre ami Makhlouf, c’est que des hommes se trouvent pris, faits comme des rats, dans des situations ignobles, où la seule issue leur paraît être le sacrifice d’eux-mêmes pour l’honneur ou l’accomplissement de leur charge, en attendant de pouvoir fuir vers un horizon meilleur. La lumière surgit du côté et à un niveau où on ne l’attendait pas. Belle leçon d’un roman généreux à plus d’un titre. Poursuivant la réflexion sur ce roman, je souhaite ajouter qu’il serait dommage que l’aveuglement et la violence américaine discréditent une deuxième fois le libéralisme politique, dans sa version des Lumières de Kant, critiqué par Derrida et par d’autres. Certains sont déjà à l’œuvre, essayant de puiser dans l’histoire algérienne les sources de légitimité d’une nouvelle structure. D’autres semblent vouloir passer par une réflexion sur la société la mondialisation inévitable. Je ne suis pas sûr que l’on puisse se passer d’une pensée de la Souveraineté et la Loi, le Peuple et la raison.

Ali Remzi

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