Quelle nouvelle école pour la Kabylie ?

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Que les flatteurs chiffres de la réussite au bac dans certaines localités de la Kabylie ne nous fassent pas oublier les vrais fondements de l’école à laquelle sont rattachées les valeurs de la pédagogie, de la culture, du professionnalisme, d’ascension sociale et de citoyenneté.

Considérée, à tort ou à raison, comme politiquement en avance sur le reste du territoire national, la Kabylie vit cette situation dans une dualité faite de tourments et d’orgueil. Ses acteurs politiques lui trouvent une vocation de “locomotive” de la démocratie et certains d’entre eux ont toujours travaillé pour démontrer la validité de ce lourd privilège en se basant sur l’histoire du 20e siècle qui a vu le Mouvement national prendre son envol à partir des montagnes de Kabylie et dans l’émigration kabyle de France. Les quelques écoles françaises établies après 1880 dans cette région et qui sont issues de la politique scolaire de Jules Ferry ont été- malgré les limites objectives imposées par l’administration française dans le cadre de l’“indigénat” – le levain à une précoce prise de conscience sociale et nationale. C’est au nom des idéaux de liberté issus de la Révolution française et des Lumières qu’un grand nombre de lycéens et d’étudiants se sont rebellés contre l’ordre colonial. C’est aussi dans la langue française qu’ont été rédigés les différents documents du Mouvement national algérien et de la guerre de Libération.

Même si, au lendemain de l’Indépendance, le nombre d’analphabètes était effarant, la région de Kabylie accordait au capital symbolique de l’éducation et de la culture une place de choix. Sur ces revêches montagnes, la seule voie de réussite, appréciée comme telle par toute la population, était l’éducation et la formation. L’ancien président du Conseil de la révolution, Houari Boumediène l’avait rappelé dans une de ces visites sur les hauteurs de la Kabylie à la fin des années 60 ponctuée par un discours : « Depuis Oued Aïssi, et sur tout le long de mon itinéraire, j’ai eu à constater que je n’étais entouré que de boisements de chêne vert sur des pentes. C’est pour vous dire que le seul capital de cette région demeure la ressource humaine et que le seul moyen de la fructifier est l’éducation ». L’ancien président n’avait pas tort même si, spécialement dans ce domaine, sa gestion a été rapidement étouffée par la montée graduelle des forces conservatrices et intégristes dont la pression consacrera l’École fondamentale via l’ordonnance d’avril 1976. Les efforts déployés par la jeunesse de Kabylie pour s’approprier le savoir et s’ouvrir de solides perspectives de travail et de promotion sociale sont inscrits en lettres d’or dans le Lycée technique de Dellys et les instituts pétrochimiques de Boumerdès à la fin des années 70 et au début des années 80. Les cadres qui en sont issus font l’honneur des champs pétroliers du Sud algérien et même de certaines boites étrangères comme au Koweït ou à Abu Dhabi. Le destin peu enviable réservé à l’école algérienne depuis une vingtaine d’années – du niveau primaire jusqu’à l’université – a fait subir de dommageables revers aux ambitions les plus déterminées. Que l’on se détrompe surtout à propos des derniers chiffres de la réussite au bac, cuvée 2006. Au lieu de nous rassurer sur la “santé” de nos institutions éducatives, le taux de 51% de réussite doit, au contraire, nous inquiéter et interpeller les pouvoirs publics et tous ceux qui s’attachent encore à une formation de qualité capable de faire insérer les jeunes diplômés dans le monde du travail. Ayant pris conscience de cette situation ubuesque où l’on se prend et se perd à mentir à soi-même, beaucoup de parents d’élèves, aux revenus pourtant modestes, se sont résolus à se “saigner aux quatre veines” pour inscrire leurs enfants dans des écoles privées aujourd’hui prises dans le collimateur du département de Benbouzid. Ces établissements constituent une réponse franche à la volonté de laisser l’école publique s’enfoncer dans une déliquescence historique faisant d’elle une machine à fabriquer des chômeurs. La mise à nu du système éducatif algérien a commencé à “crever les yeux” suite à la libéralisation de l’économie – qui induit des besoins nouveaux en personnel qualifié – et aux restrictions drastiques ayant affecté la Fonction publique en matière de recrutement. Pour un salaire de misère (7000 DA), des pots-de-vin ont été versés pour l’obtention de postes précaires de pré-emploi dans certaines wilayas alors que des entreprise privées souffrent d’un déficit en cadres. Dans ce contexte qui voit de plus en plus se profiler une véritable impasse, le potentiel humain de la Kabylie, que nous disions fertile et ouvert, est en train de subir de sombres coupes au vu de la fuite accélérée de ses meilleurs éléments vers d’autres horizons- l’Europe et l’Amérique- où le savoir et la compétence sont les seuls critères d’insertion et de promotion sociales. Ce n’est pas alors sans raison que nous sommes amenés à nous poser la question de savoir quel sera l’avenir de la Kabylie dans un contexte de crispation politique, de décrépitude du climat social, d’illusion de prospérité par l’euro et d’exil des meilleurs cadres de la région.

A.N.M.

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