Une bourgade en attente de réhabilitation

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Sur ces monts, qui sont le prolongement naturel de la chaîne qui prend naissance à Berrouaghia, la vie menée par les populations rurales est faite de dénuement, de pauvreté et de chômage. Après avoir vécu l’enfer de la décennie du terrorisme- avec son lot de victimes et les séquelles par lesquelles il a marqué le corps social-, les hameaux et les villages se réveillent à la dure réalité du pain quotidien qu’il faut malgré tout gagner contre vents et marées. La bourgade de Ben S’haba semble languir au pied du mont Bougaouden au vu du silence dans lequel elle est plongée au milieu de la journée. De rares véhicules passent en trombe dans la direction de Djouab, l’ex-Rapidi la Romaine, appelée Masqueray au temps de la colonisation française. Sur le bord du chemin de wilaya n° 20 qui traverse l’agglomération, des parcelles de céréales montrent leurs restes de chaumes après la moisson de juillet. Une nappe de couleur ocre vient recouvrir le sol sur lequel évoluent des troupeaux d’ovins et de caprins, en attendant la prochaine campagne de labours-semailles de novembre. Les traces de la moissonneuse-batteuse sont toujours vives. Les labours ne se font pas toujours à la charrue tractée ; des lopins perchés sur quelques collines ou collées aux piémonts continuent à être travaillés à l’araire au moyen d’ânes ou de chevaux. Ici, l’espèce asine garde toute son importance et les ‘’égards’’ qui lui sont dus. Rattachée à la commune de Dechmia depuis la création de celle-ci en 1984, l’agglomération de Ben S’haba assume difficilement cette relation. Les personnes interrogées avouent que leur village reste l’éternel oublié des collectivités locales et cela même du temps où il dépendait de la commune-mère, Sour El Ghozlane. Le village est à moins de dix kilomètres du chef-lieu communal. Il est situé à 1000 m d’altitude, sur un col portant le même nom que l’agglomération. Cette dernière est formée de plus d’une centaine de foyers répartis sur les côtés gauche et droit de la route départementale.

L’entrepreneur, et la source…

Cette route, le CW. 20, est une ancienne voie romaine, tracée par le génie militaire de l’époque des légionnaires pour échapper à la résistance berbère organisée dans la vallée de la Haute Soummam et qui rendait périlleux l’usage de l’actuelle RN 5 (Alger- Constantine). L’alternative fut une voie de montagne traversant dans toute leur longueur les deux massifs du Titteri et des Bibans jusqu’à Mansourah, dans la wilaya de Bordj Bou Arréridj. Sur la plate-forme du village constituant le prolongement du col sur le bas-côté nord de la route, un vieux café maure ouvre sa porte en bois vermoulu pour donner accès à un hall semi-obscur parsemé de vieilles tables et de chaises bancales. L’école, la mosquée et le café forment trois ‘’édifices publics’’ qui servent d’ ‘’agora’’ du village. Les foyers de Ben S’haba continuent à s’approvisionner en eau potable à partir de sources éloignées par le moyen de transport le plus accessible, à savoir l’âne.

Des sources existent en grand nombre dans ces hautes collines du Titteri qui se couvrent de neige de la même façon que les piémonts du Djurdjura. Ahmed a tenu à évoquer le travail réalisé par une ancienne équipe de l’exécutif communal sur la source de Guelt Rrouss. “C’est un véritable sabotage. Une source géante, à débit extraordinaire, a été dilapidée par un entrepreneur. Mal captée, anarchiquement aménagée, elle est réduite à un filet d’eau’’. Il nous a aussi indiqué une source plus importante ‘’laissée, Dieu merci, à l’état sauvage !’’. Il s’agit de la source de Sidi Brada située sur la rive droite d’un cours d’eau du même nom.

A l’entrée d’une piste rocailleuse surmontée d’escarpements hauts de quelque soixante mètres, une ambiance d’ombre et d’humidité enveloppe les lieux malgré la chaleur suffocante des alentours. Un couvert végétal au feuillage luisant, constitué de maquis et de taillis de chêne vert, ajoute une note bucolique à ce décor d’eau, de galets et de troupeaux de chèvres.

Ici l’âne rend encore d’énormes services

Après mille cinq cent mètres de marche, nous entendons sur notre droite des gargouillements dont il est difficile de situer la provenance. Notre guide nous conduisit jusqu’au lieu du jaillissement de la source de Sidi Brada. Sur une dalle rocheuse pentue et à fleur du sol, jaillit avec une étonnante pression une eau cristalline sortie des entrailles de la terre par la voie de crevasses naturelles. On dirait que le liquide est actionné par des asperseurs. Toute la masse rocheuse résonne d’un bruit intérieur et d’éclats extérieurs qui transmettent au visiteur un sentiment de beauté mystérieuse. Les enfants de Ben S’haba, montés sur leurs baudets, viennent s’approvisionner ici en eau potable. L’éventualité d’un aménagement de cette source est évoquée avec les habitants. Mais, disent-ils, la somme réservée par les projets traditionnels à l’aménagement des sources, soit cinq cent mille dinars environ, ne pourra pas suffire pour valoriser un tel potentiel. En effet, Sidi Brada, une fois construite, pourra alimenter plusieurs hameaux bien au-delà de Ben S’haba. Pour l’instant, on n’en est pas là; la population continue à vivre le calvaire de l’approvisionnement en eau. Pour sauver certaines jeunes plantations fruitières, certains n’ont pas hésité à acheter l’eau par citernes auprès de vendeurs occasionnels. C’est le prix à payer pour assurer la pérennité de l’investissement. Exclusivement agricole, la région n’a pas bénéficié de l’attention soutenue des pouvoirs publics. Le chômage de la jeunesse grimpe jusqu’à 80 % de la population active. Aucune infrastructure culturelle ou de loisir n’est réservée à cette frange qui se sent de plus en plus à l’étroit, voire complètement marginalisée. Les horizons semblent fermés y compris pour les diplômés qui ont fait les universités de Tizi Ouzou et de Boumedès. “Même le dispositif du pré-emploi est géré d’une façon clientéliste comme tout le reste des créneaux de l’administration’’, s’indignera un jeune universitaire debout dans l’abribus en face du café. “Je n’ai même pas pu me procurer les charges de transport pour aller chercher du travail ailleurs’’, ajoutera-il. Beaucoup d’enfants de la région ont déjà quitté les lieux à la recherche d’une vie plus ‘’clémente’’ dans les villes ; Bouira, Aïn Bessem, Sour El Ghozlane, Alger, sont, entre autres, les villes où se rendent les jeunes de Dechmia abandonnant généralement terre et cheptel. Comme le reconnaîtra avec amertume, Moussa, l’un de ces infortunés de l’errance qui a bourlingué dans les banlieues d’Alger et d’Oran : “on a beau chercher une terre de salut, les horizons sont souvent fermés pour ceux qui n’ont aucune formation. Mieux vaut revenir dans ce cas sur ses terres et essayer de gagner sa croûte ne serait-ce qu’avec une vingtaine de brebis et un lopin d’orge à cultiver’’. L’un des problèmes les plus cruciaux demeure le foncier agricole avec ses mille et une difficultés de titre de propriété, indivision, …Or, dans la plupart des cas où les paysans veulent postuler à un soutien de l’État pour réaliser un forage, construire des hangars ou entreprendre tout autre investissement, il leur est exigé les documents attestant de leur propriété, ce qui relève parfois d’un défi insurmontable.

Il n’y a que les projets de proximité qui présentent une procédure plus souple en la matière. Seule la localité de Ouled Yekhlef, à quelques kilomètres d’ici a bénéficié d’un tel projet en 2003.

Amar Naït Messaoud

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