C’était avec les efforts et la perspicacité de Mohamed Seddik Benyahia, alors ministre de l’Enseignement supérieur, que l’ONRS (Office national de la recherche scientifique) a été fondé pendant ces années marquant les premières ambitions de l’Algérie indépendante de sortir du sous-développement. Les activités de cette institution furent de courte durée et subirent le sabordage des rentiers du système qui n’avaient de vision pour l’Algérie que celle des intérêts personnels immédiats. Et ce sera un thème “bateau” qui remplacera pendant de longues années cette stratégie étouffée dans l’œuf. Ainsi, sous le règne du tiers-mondisme triomphant, et sans qu’une politique sérieuse n’accompagne la phraséologie en usage, il était question de “transfert de technologie”. Comme si la chose relevait d’une “révélation” céleste, l’on n’a préparé ni l’école ni l’université ni les unités industrielles pour opérer éventuellement ce fameux transfert ; au contraire, dans un système basé sur le nivellement par le bas, toutes les énergies susceptibles de s’investir dans la recherche scientifique ont été marginalisées. Les moyens de dissuasion n’ont pas manqué et le plus pernicieux n’était pas nécessairement le salaire de misère. La bureaucratie, le dénuement des laboratoires, la difficulté d’accès aux sources documentaires, l’absence de statut et d’autres écueils aussi objectifs et aussi insurmontables ont fini par dresser un barrage à tout esprit de recherche. Mais pour donner le change et distribuer la rente par ce canal, on n’a pas hésité à envoyer à l’étranger des boursiers triés sur le volet par qui vous savez. L’opération se transformera, dans la plupart des cas et sans surprise, en une fuite des cerveaux organisée par les pouvoirs publics. Les résultats sont là. Les meilleurs laboratoires de médecine du monde, les plus performantes usines de montage électronique ou de conception informatique emploient des cadres algériens de haut niveau. Aujourd’hui que le thème de la recherche revient au devant de la scène, le gouvernement compte mettre une enveloppe financière de 100 milliards de dinars dans ce secteur. À ce niveau, deux questions ne manqueront pas d’être posées par les institutions chargées de gérer cette enveloppe (université et autres laboratoires) et par les concernés eux-mêmes. Jusqu’à quand la recherche scientifique demeurera l’apanage de l’État alors que sous d’autres cieux elle est assurée par des entreprises industrielles qui consacrent une partie de leurs budgets à ce que leur comptabilité mentionne sous la rubrique R&D (Recherche et Développement) ? Cette question se justifie par le fait qu’une recherche pragmatique, utile et efficace pour le développement ne peut réellement être ‘’commandée’’ que par ses futurs utilisateurs. De là découle la deuxième question : à quel type de recherche devraient s’atteler les Algériens ? Nous savons que la recherche fondamentale requiert des aptitudes et des enveloppes financières hors de notre portée.
Eviter les “lubies” et impliquer les utilisateurs
En raccourci, nous avons l’exemple de certains thèmes de recherche en graduation ou post-graduation qu’un spécialiste qualifie de recherche du “sexe des anges” tant ils ont le relent de lubies que l’état de l’économie nationale ne justifie nullement. Reste ce qui devrait constituer l’axe fondamental de notre système de recherche, à savoir la recherche appliquée. Que ce soit pour les besoins de l’industrie, de l’agriculture ou des autres secteurs de développement, l’on ne peut consentir des dépenses en recherche qu’en contrepartie d’un cahier de charges dans lequel seront inscrits les vrais besoins de l’économie en la matière et projetés les résultats d’application censés augmenter la productivité, résoudre un problème technique ou apporter une nouvelle organisation des mécanismes de travail. L’idéal sera d’impliquer dans le futur proche les entreprises industrielles dans le financement de la recherche, et cela sans aucune coercition. Au contraire, c’est en encourageant l’investissement dans l’économie d’entreprise par toutes formes d’incitations que, à un certain moment de sa croissance, l’unité de production ou l’atelier d’usinage sentira de lui-même — via la concurrence et la pression du marché — la nécessité du renouvellement des connaissances et l’impératif de l’innovation.
Un cadre pour la recherche
Par-delà la partie qui commande le projet de recherche et la partie appelée à en utiliser les données pratiques, le cœur du système de recherche se trouve être indubitablement dans l’instance académique et universitaire. Celle-ci, promise à des réformes annoncées depuis longtemps, patauge encore dans des difficultés où l’intendance et la logistique les plus rudimentaires prennent en otage l’organisation entière et réduisent l’offre pédagogique dans ce qu’elle a de plus substantiel. Le salaire et le logement des enseignants, l’hébergement, le transport et la restauration des étudiants, l’accès aux sources documentaires et informatiques, les indemnités d’encadrement des mémoires et autres thèses de recherche, bref, tout un éventail de problèmes qui mettent face à face les étudiants, les enseignants, le syndicat et l’administration. A tort ou à raison, cette dernière est toujours vue comme évoluant dans une tour d’ivoire qui lui ferme la vue sur l’environnement pédagogique et social de l’université.
On ne sait pas encore s’il faut faire preuve d’optimisme quant à l’issue des pourparlers Cnes-ministère de l’Enseignement supérieur engagés depuis des années. La nouvelle grille des salaires de la Fonction publique ne semble pas agréer à l’ensembles des fonctionnaires de ce secteur. De même, le statut de l’enseignement-chercheur, en dehors d’une tradition institutionnelle comme celles en vigueur dans les pays développés- à l’image du CNRS en France, avec ses démembrements départementaux et ses différents services liés aux spécialités universitaires-, ne peut atteindre tout de suite sa maturité de façon à assurer la sécurité du chercheur sur le plan de son évolution professionnelle et de sa condition sociale, et de façon aussi à donner à la recherche ses lettres de noblesse par une rentabilisation optimale des investissements réalisés dans les laboratoires. Le pouvoir politique et les professionnels du secteur connaissent bien les limites des performances propres au système universitaire tel qu’il existe dans son schéma actuel. En effet, les gestionnaires de l’économie nationale et les nouveaux capitaines d’industrie qui commencent à conférer au secteur économique ses vraies valeurs de rentabilité et de compétence se posent d’ores et déjà la grande question de savoir où se trouvent les relais en matière de ressources humaines appelées à prendre en charge les entreprises et à manager leur politique d’investissement. Déjà, à un niveau inférieur d’exécution- loin de l’ingénierie ou de la conception académique-, le marché actuel de l’emploi est déclaré aride dans les catégories moyennes des ouvriers spécialisés, charpentiers, plombiers, menuisiers aluminium, techniciens en froid, etc. Aussi bien l’entreprise algérienne que l’entreprise étrangère appelée à travailler en Algérie, aucune d’entre elles n’a l’assurance de tomber sur des qualifications valables dans la formation relevant du cycle court. On fait semblant de jouer à la “vierge effarouchée” lorsque des entreprises étrangères ramènent de leur pays d’origine la main-d’œuvre spécialisée pour construire nos bâtiments et aménager nos routes !
Formation-emploi une dimension stratégique
En effet, la relation intime et dialectique entre la formation et l’emploi n’a pas encore bénéficié de l’attention voulue des pouvoirs publics de façon à rationaliser et harmoniser le rapport entre la qualification et le background universitaire d’une part et les besoins d’une économie émergente d’autre part. Néanmoins, l’engagement de l’Algérie dans l’économie de marché — supposant compétitivité, performance et management moderne — ne peut souffrir davantage les atermoiements d’un système scolaire et universitaire qui risque de former des chômeurs en puissance. Pourtant, sur le plan de la recherche scientifique appliquée, l’Algérie, au vu de l’embellie financière qui caractérise son économie depuis presque une décennie, est supposée pouvoir engager de grands chantiers pour mettre à niveau les entreprises et l’administration sur le plan technique en adaptant les dernières inventions et créations du monde développé. Il est désolant de voir des logiciels pirates — qui circulent en toute impunité — prendre la place et le rang de recherche applicables à nos entreprises. Or, en matière de solutions informatiques, des Algériens de valeur sont en train de rendre des services inestimables à des boites étrangères au moment où s’échaudent ici de fumeuses chimères lors de dispendieux séminaires tendant à inciter les cerveaux algériens à revenir au pays pour y investir et s’y investir ! La part prise par la matière grise algérienne sous les cieux ‘’plus cléments’’ d’Europe, d’Amérique et des pays du Golfe est un signe révélateur des échecs recommencés de la politique nationale de recherche et de la stratégie de la valorisation des énergies humaines nationales. Que ce soit dans le secteur primaire (agriculture, forêts environnement) que dans le secteur secondaire (industrie, agroalimentaire) en passant par le secteur des services (tertiaire), l’Algérie a des besoins énormes de mise à niveau technique et de gestion. Aucune mesure administrative ou ‘’jurisprudence’’ étrangère ne peut remplacer l’action de la recherche scientifique. Des actions de recherche appliquée ont été déjà initiées en Algérie pour adapter des inventions ou créations occidentales. Les spécialistes algériens en environnement et en foresterie ont tiré le meilleur parti de l’observation et de l’évaluation des couverts végétaux par satellite. Ainsi, la nappe alfatière recouvrant tout le territoire des Hauts Plateaux a pu être suivie dans son évolution régressive jusqu’à pousser les scientifiques à tirer la sonnette d’alarme pour que les pouvoirs publics prennent en charge la question des surpâturages, des labours illicites et d’autres défrichements délictueux..
Nouveaux horizons ?
Si, par le passé, la recherche scientifique était confinée dans les efforts fournis par une personne ou une équipe très réduite, l’évolution de l’organisation sociale des Etats fait qu’actuellement la recherche est moins personnalisée. Elle est souvent due à des entités institutionnelles (universités, instituts, laboratoires…) au sein desquelles les personnes n’ont pas moins de mérite. Ainsi, dans le cadre du partenariat avec des pays avancés, des universités ou instituts algériens ont engagé des recherches conjointes qui bénéficient de l’expérience de l’un et de la connaissance du milieu de l’autre. Mise en valeur touristique et environnementale des îles Habibas au large d’Oran, glissements de terrain de Constantine, carte des risques sismiques de l’Algérie, identification et plan de lutte contre les maladies nosocomiales, promotion de l’industrie pharmaceutique nationale, etc ; des dizaines de thèmes ayant une portée pratique dans la vie quotidienne des populations ont été déjà identifiés. Par rapport aux mécanismes de recherche mis en place depuis des décennies dans les pays développés — mécanismes institutionnels, managériaux, financiers, partenariat avec les entreprises privées — l’Algérie enregistre un énorme déficit. Actuellement, les sujets de recherche sont quasi exclusivement inspirés par des individualités au sein de l’université, par des conseils scientifiques y siégeant ou par la tutelle administrative. Les résultats de la recherche élisent souvent domicile dans les tiroirs de l’université. Leur prolongement sur le terrain ne bénéficie d’aucune garantie. Pire, des dizaines d’inventeurs- ayant fabriqué des machines et des outils suite à un souci de régler un problème technique réel posé au sein de la communauté- attendent depuis des années un brevet qui n’arrive pas. La plus intrépide des volontés s’en trouvera nécessairement émoussée.
Amar Naït Messaoud