L’ami Halli qui ne savait pas qu’il a eu la tragique nouvelle avant moi m’a appelé pour “des précisions”. Un bar, ou pour rester dans un terme cache-sexe maintenant consacré, un “débit de boisson de notre village commun a été investi par un groupe terroriste et un jeune gardien de prison qui s’y trouvait a été assassiné. Des “précisions” que je n’ai pas eu le temps de donner à mon aîné de confrère, en voici quelques-unes. Sous forme d’images furtives il me revient des bribes de cet espace si familier et de ces hommes si proches. Hassan d’abord. On aurait pu le ranger dans la case confortable du sportif qui a mal tourné mais les choses ne sont jamais si simples. Hassan donc est passé à côté d’une grande carriere de karatéka avant de se résigner à la “gérance” de bars clandestins exposés à tous moments aux descentes de police ou pire, la visite des terroristes. Dans cet espace champêtre que j’aimais tant pour son bouillonnement généreux et sa convivialité sans prétention, on pouvait prendre un verre, se faire griller une caille ou une sardine, jouer à la pétanque ou rejoindre un artiste en herbe grattant son mandole sous un figuier. Ce soir-là l’horreur. Un jeune beau comme un dieu a été passé au couteau par les hordes du GSPC qui se l’est payé comme une succulente gourmandise après un festin de racket général. Je connais vaguement Saïd qui se trouve être un lointain parent mais je connais très bien ses parents. Son père a été mon premier instituteur d’arabe. Il fait partie de cette génération d’enseignants formés sur le tas aux premières années de l’Indépendance dont la dureté et la rectitude morale ont fait la réputation avant d’en faire une petite légende. “Cheikh Awâran”, c’est ainsi qu’on l’a toujours appelé, a encore fait parler de lui récemment. Paisible retraité, pieux et tolérant, il s’est distingué en étant derrière la construction sur son propre terrain d’une modeste mosquée qui lui permet lui et ses pairs de pratiquer leur spiritualité en retrait de la mosquée officielle où sévit un imam illuminé et règnent en maîtres de duvetés intégristes. ça n’a pas suffi pour protéger le fruit de ses entrailles mais on ne peut pas dire que “Cheikh Awâran” n’a rien fait. Saïd a perdu la vie au moment où il devait l’entamer. Hassan a peut-être perdu un gagne-pain. Oh ! Bien sûr, les malheurs sont inégaux et le parallèle dangereux. Seule la proximité des espaces et des hommes suggère le rapprochement.
Un océan de précarité dans un univers de lâches.
S. L.
