Jeudi télé

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Scène du feuilleton “Imarat Hadj Lakhdar” diffusé chaque soir par les “trois chaînes” de la Télévision nationale : dans une administration publique, un vieux citoyen s’arrête d’abord à ce qui aurait pu être un bureau d’accueil. En guise d’agent de réception, un enfant s’attaque goulûment à un régime de bananes oublié là par son père parti acheter du pain. Un peu plus haut, le couloir est entravé par une femme de ménage à la mine défaite par le jeûne et l’arrogance qui empêche le vieux bonhomme venu un dossier sous le bras de passer à une heure si indue. Et puis le tour des bureaux. Dans le premier un employé était sérieusement occupé à couper les cheveux de son chef. Au deuxième, une bonne femme s’affairait tout aussi sérieusement à préparer ses bouraks avec ingrédients et ustensiles nécessaires. Enfin, le directeur qui apparaît suggérant au vieux bonhomme qu’il était au bout de ses peines en l’invitant à le suivre. Désillusion. Dans le bureau du directeur toute sa marmaille était présentée. On joue au ballon dans les quelques mètres laissés libres par le mobilier, les ordinateurs faisaient office de consoles de jeu ou de diffuseur de musique. Dépité, le vieux cale son dossier sous l’aisselle et s’enfuit, oubliant pourquoi il était venu. Dans la foulée, il a aussi oublié le billet qu’il avait glissé à l’appariteur pour passer le premier “check point” de cette administration. Deux petites remarques : la première est que bien qu’exagéré – après tout c’est le rôle de la fiction de pousser les clichés jusqu’au bout – le regard n’est pas loin de la réalité. Ramadhan ou non. La deuxième est que notre télé, enfin “notre” c’est sûrement trop dire, quand il lui arrive d’être critique, n’oublie jamais de donner le change à l’autorité en culpabilisant le citoyen Lembda sous prétexte qu’il a toujours une part de responsabilité dans ses malheurs. “Forsane El Qorane”. La bande annonce occupe depuis des mois tous les intermèdes des programmes diffusés en prime-time, conçus à la manière de Hit -parade des “réciteurs de Coran”.

Ce “concours”, ouvert aux jeunes de toutes les wilayas avec sélections régionales, jury et… vote du public, consacrera à la fin de Ramadhan les plus belles voix et les meilleures dictions. Dans ce “reality-show” du livre saint où il ne manque que le château pour en faire une “Star Academy”, les vainqueurs percevront chèques et cadeaux, mais on ne nous dit pas s’il y a des perspectives de carrière pour les gagnants pour boucler la boucle. Après avoir déployé tout leur “savoir-faire” pour “moraliser le produit artistique” des jeunes Algériens en l’extirpant de ses audaces esthétiques et ses irrévérences contestataires, les autorités culturelles mettent maintenant les moyens modernes au service des archaïsmes religieux. Les objectifs étant les mêmes, les mêmes hommes “travaillant pour la même maison,” on est parfois surpris d’être… surpris par des choses. Pendant ce temps, une émission de Canal Algérie traitant de livres est menacée de disparition, son animateur n’étant pas du tout rassuré du renouvellement de son contrat. Il n’y a vraiment pas de quoi être surpris.

S. L.

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