“L’écriture de sable” Nouvelles d’Isabelle Eberhardt

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Lire et relire Isabelle Eberhardt. L’exercice n’aura qu’un seul résultat, une lecture où le lyrisme n’est plus un péché mignon, mais le témoignage d’une femme à la vie tragique. A cheval entre deux siècles, entre deux mondes, Isabelle Eberhardt (1877 – 1904) découvre le Maghreb et, surtout, l’Algérie récemment colonisé. Mais à l’opposé des Orientalistes qui cédèrent à l’exotisme du pays “maure”, l’œuvre d’Isabelle Eberhardt, voyageuse à l’âme tourmentée par une quête de liberté absolue, pose le regard du poète ébloui par tant de lumières et de couleurs. Les senteurs de La Casbah aux maisons voûtées, l’ivresse du désert sans limites, les joies et les malheurs des gens de la steppe sont les sources d’inspiration de la voyageuse, de la journaliste et de l’écrivaine. Les personnages, hommes enveloppés dans leurs burnous et femmes drapées dans leur melhafa, sont décrits dans leurs attitudes de paysans, de citadins et de nomades. Sans préjugé aucun, les nouvelles d’Isabelle Eberhardt qu’ont rééditées les éditions Barzakh dans la collection L’œil du désert, ont valeur de document historique agrémenté du plaisir de la lecture. La poésie est partout, l’auteur mêle récits par elle-même vécus et scènes de la vie sur lesquelles vient s’articuler l’humeur tourmentée de la jeune femme. Structuré en deux parties, Obscurité et Femmes, le recueil rassemble une dizaine de nouvelles extraites de Pages d’Islam paru en 1920. Le mage, la première nouvelle, imprime le ton au contenu des autres récits. Une description de La Casbah, qui n’avait alors rien à envier ni à Fès, la spirituelle, ni à Meknès, l’impériale, y est apportée avec minutie et mélancolie : “Il faisait sombre dans ce vieux réduit barbaresque, rêver et s’alanguir en de longues inactions, dans le désir d’anéantissement lent, sans secousse, d’une âme lasse”. Alger est également racontée comme ville cosmopolite où se croisent Musulmans, Chrétiens et Juifs… Une autre nouvelle, La Main, plus proche encore de la personnalité de l’auteur, évoque la voleuse de main le cadavre. Sorcellerie qui suscita, à la place de l’horreur légitime dans de pareilles circonstances, la curiosité d’un esprit disposé à s’abandonner à l’aventure. Dans la seconde partie de l’ouvrage, Femmes, Isabelle Eberhardt écrit des amours jamais heureux.

C’est peut-être dû au tempérament de cette jeune femme qui, fuyant une enfance austère, préféra se vêtir en homme. Fiancée, Taâlith, Portrait de Naïlia sont autant de passions interdites vécues dans l’intimité d’une tente de nomade ou sur la couche d’une prostituée au visage fardé et à la poitrine alourdie de bijoux clinquants. Dans ce livret au format sympathique, les mœurs de l’époque sont dépeintes avec le seul souci de raconter. C’est là, précisément, que réside l’intérêt des nouvelles d’Isabelle Eberhardt.

Nacer Maouche

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