Beaucoup plus que les 600 DA du billet d’embarquement, mais aussi étonnant que cela puise paraître, ce train ne s’ébranle jamais vide de la capitale.Si certains expliquent cela par le fait qu’il est tous les jours en mesure d’offrir à ses occupants quelques agréables petites surprises (lever le voile avec un petit quart d’heure de retard, par exemple), nous avons plutôt remis cela sur le compte de ce sentiment de sécurité retrouvée que les citoyens éprouvent à chaque fois qu’ils y croisent les hommes en vert.
IL est 21h tapante. Les wagons entament leur longue procession, lentement. Nous, c’est à la première voiture, celle équipée d’un climatiseur (non fonctionnel), qu’on prend place. Des officiers de la Gendarmerie nationale, organisatrice de la mission, nous accompagnent. Le colonel Ayoub Abderahmane, le chargé de la communication au commandement de la gendarmerie a tenu à être parmi nous. Cet homme, humble et courtois, s’assure personnellement que l’ensemble de l’équipe est confortablement installée. Pendant tout ce voyage, quatre officiers-gendarmes de la police judiciaire devront relayer jusqu’à Sétif et ce, pour garantir une compétence territoriale aux brigades qui auront à intervenir. Celles-ci débarquent à Réghaïa. Mais parmi tout ce beau monde, des hommes suréquipés au gabarit impressionnant, attirent notre attention.Discrets, peu bavards, ils choisissent de se poster tout à fait à l’arrière du wagon, tout près de la portière qui relie ce dernier au reste du train. Le colonel Ayoub, toujours aussi aimable, met fin sans qu’il le sache, à cette multitude d’interrogations qu’on se faisait à propos de ces hommes : “Ce sont des commandos. Ils appartiennent au DSI, le détachement spécial d’intervention. Ils sont 18 à prendre part au voyage”, nous dit-il. Il en fallait pas plus pour déduire le reste. Cette unité, surentraînée, aux treillis assez semblables à celles des parachutistes, est l’élite du corps auquel elle appartient. On saura plus sur elle au cours du trajet. Mais pour l’heure, nous sommes plutôt portés sur le train en lui-même. Pour mieux le connaître, il n’y aurait pas mieux à faire que de s’approcher des agents, chargés de sa sécurité au sein de la SNTF. Nous entreprenons par ce fait, d’engager une sympathique discussions avec deux d’entre eux. Nous en seront pas déçus. Kamel (26 ans) et Sofiane (33 ans) bossent sur ce même itinéraire depuis des années déjà. Leurs fusils à pompe posés sur les genoux, nos deux Algérois confirment unanimement. “Les vols, les bagarres et les agressions sont monnaie courante à bord. Parfois, on est appelé à effectuer une dizaine d’interventions par nuit. Et je vous parle pas des années du terrorisme où notre vie, et celles des passagers, était constamment exposée à la mort à cause de nombreux attentats qui ont ciblé nos trains”, assène Kamel, avant de se ressaisir”. Certes, le risque terroriste a sensiblement diminué et c’est plutôt le banditisme qui nous crée le plus gros souci. Mais grâce à l’appui des gendarmes, la situation va de mieux en mieux. La preuve en est que des dizaines de familles effectuent aujourd’hui ce trajet nocturne…”A peine a-t-il fini sa phrase que notre interlocuteur est interpellé par son collègue : “Viens vite, on a chopé quelqu’un !” Sans perdre une seconde Kamel saisit son arme et fonce tout droit en direction de la portière d’entrée. On décide de le suivre. Là, dans la sombre intercabine qui sépare les deux premières voitures, des gendarmes en civil, appartenant au fameux DSI viennent d’arrêter des jeunes passager. L’un d’entre eux était en possession d’une petite quantité de stupéfiants et d’un canife. L’autre, bien complètement déboussolé par la drogue, était clean. Ils sont immédiatement menottés puis conduits vers la première voiture. Ils n’ont que 19 et 21 ans.Vers 22h, le colonel Ayoub nous invite à effectuer une virée dans les wagons en compagnie des éléments du DSI. Le constat qu’on y fera étant sans appel. La mission de ces hommes est exécutée avec un professionnalisme remarquable. Certains d’entre eux arrivaient même à flairer les têtes des passagers irréguliers, où ceux transportant des produits ou objets prohibés. “Il suffit de la fixer droit dans les yeux pour savoir si il est clean ou pas”, nous explique un membre du commando. La fouille a duré près de trois quarts d’heure. le train est passé au peigne fin. Il n’y a rien à signaler.De retour à notre wagon, nous prenons place à côté du colonel, qu’on finira par harceler de questions. L’axe principal de l’entrevue tourne autour de cette unité spéciale de la Gendarmerie nationale. Notre interlocuteur toujours aussi communicatif, n’a pas été avare : “Ce détachement spécial est logé à Bouchaoui. Il est spécialisé dans toute sorte d’intervention, là où les forces de l’ordre n’arrive pas à gérer les situations données telles que les prises d’otages. Certes, les emmener avec nous pour ce voyage serait perçu par certains comme une sous-exploitation, mais nous préférons les maintenir en éveil..;” et d’enchaîner : “Sachez aussi que cette unité, créée pour lutter contre le grand banditisme est très sensible.” Des déplacements, activités et ses interventions dépendent directement du commandement national de la gendarmerie, et, en premier lieu du général-major. On y forme des tireurs d’élite, des plongeurs, des artificiers, et ils sont entraînés à tous les sports de combat. Certains d’entre-eux ont suivi des formations avec le GIGN français, les commandos jordaniens et l’unité spéciale autrichienne”. Sur les critères de recrutement, le colonel était encore plus explicatif : “Tous les éléments détectés au niveau des écoles, avec des capacités physiques et mentales appréciables sont appelés à intégrer l’unité. Ils y subissent des entraînements intensifs et ceux qui ne peuvent pas tenir sont éliminés en cours de route. De la sorte, on ne peut garder que les meilleurs…”Notons toutefois, qu’en dépit de l’appréciable disponibilité du colonel, celui-ci a tout de même refusé de divulguer le nombre exact des éléments de la DSI. Après avoir esquissé un large sourire, notre interlocuteur s’est contenté de lancer à notre égard : “C’est un groupe assez important. Je ne peux pas vous dire plus !”Aux premières heures du nouveau jour, un indescriptible climat de morosité s’installe dans les wagons et les esprits. La fatigue se fait de plus en plus pesante. Beaucoup d’entre nous préfèrent s’adonner au sommeil. Nous, c’est avec les éléments du DSI qu’on finira la nuit. Les Ayoub Abderahmane, Kaki et les autres seront nos seuls accompagnateurs jusqu’à notre arrivée à Sétif. Ces longues heures de route nous on permis de savoir un peu plus sur ces hommes anonymes et mystérieux. En devisant avec eux, nous sommes presque étonnés de déceler chez eux de l’humilité et beaucoup d’humanisme. Agés entre 21 et 25 ans, ces soldats à l’énorme constitution physique ne sont pas peu fiers d’appartenir au détachement considéré comme le fer de lance de la gendarmerie. leur fierté, ils l’exhibent aussi en évoquant certaines de leurs missions ou interventions. Appartenir à la brigade était un rêve pour beaucoup d’entre eux.C’est aux coups de 4 heures du matin que nous atteignons Sétif. A l’heure où nous nous mettons au lit à l’hôtel El Hidhab, le jour commençait déjà à se lever. La journée était longue et fatigante, celle qui nous attend l’était encore plus.Le lendemain dès 10 heures, nous étions déjà posté à l’entrée de la maison de culture Boumediène pour assister au coup d’envoi des portes ouvertes organisées sur la gendarmerie nationale. le général-major Boustilla inaugure les festivités. il est accompagné par les walis de Sétif, Mila, Batna et Bordj Bou Arréridj. Dans ‘laprès-midi, nous décidons d’investir certains lieux de débauche de Sétif et ses environs. Accompagnés par une soixantaine de gendarmes, nous effectuons une descente inopinée au lieudit “Mista”, à la sortie est de la ville d’El Eulma. Le colonel Ayoub nous accompagne. Arrivés sur place, les gendarmes effectuent une impressionnante course poursuite : les vendeurs d’alcool, de drogue, leurs clients et quelques prostituées ont pris la fuite dès qu’ils ont aperçu les 4×4 vert et blanc.L’opération prendra en tout et pour tout, près de 30 minutes. 6 arrestations y ont été effectuées, 4 prostituées sont également interpellées. “Ne soyez pas trop impressionnés, Los des précédentes opérations ont arrivait à appréhender jusqu’à une trentaine de personnes, dont près de 20 femmes”, nous dira un gendarme exerçant à la brigade d’El Eulma.Sur place une quantité de bière et d’alcool est également saisie. Sur conseil de nos accompagnateurs, nous nous dirigeons vers Sétif, à sa sortie ouest sur la route menant vers Aïn Arnat. Le lieu est appelé “Onama”, tout près de la nouvelle cité universitaire de Sétif. Cet endroit nous dit-on, est un haut lieu de débauche et de délinquance. Les gendarmes à bord de leur 4×4 y filent à toute vitesse. Certains entreprennent même de boucler le périmètre. mais à notre arrivée, les lieux sont déjà désertés. Tous les occupants des lieux (une quarantaine de personnes) ont précipitamment pris la clé des champs. Ils ont certainement eu vent de la descente effectuée à quelques kilomètres de là. Seules quelques bouteilles de vin et de bière demeurent sur place. Les dealers et les prostituées sont insaisissables. Les gendarmes interrogent toutefois deux personnes appréhendées non loin de là. Il n’y a rien à signaler chez eux. Ils seront relâchés quelques minutes plus tard.Dans le 4×4 qui nous transporte vers Sétif, un sous-officier de la gendarmerie nous tient compagnie.Il nous informera que contrairement aux apparences de cette belle ville, la criminalité et la délinquance y ont atteint des proportions plus qu’alarmantes, et que les dealers agissent ce derniers temps en bandes tr!s organisées.“Dans cette ville, habitée par 300 000 habitants, le trafic de drogue et de marchandises en tous genres sont très courants. A chacune de nos interventions, notamment celles effectuées la nuit, nous réussiront à neutraliser des groupes entiers. Mais ces derniers se reconstituent rapidement”, nous affirme-t-il. Mais en se pavanant dans les artères de la capitale des Hauts-Plateaux, en début de soirée, nous avons eu beaucoup de mal à comparer la belle ambiance qui y règne avec l’image que le sous-officier nous a dessiné sur cette même ville. Le contraste est très trop violent. Des familles entières s’offrent, devant nos yeux, le luxe de se balader en toute quiétude dans différent coins de l’immense agglomération. On faisant cette petite remarque à un collègue celui-ci nous répondra par une autre réflexion, plus sensée et beaucoup plus judicieuse : “La sérénité même apparente, de Sétif, ne crois-tu pas qu’elle est également due aux efforts colossaux des forces de sécurité”. Nous demeurons sans réponse. Notre ami a dit vrai.
A. B.