Ils l’ont exercé avec amour et passion depuis au moins une vingtaine d’années il était pour eux le plus beau métier du monde. Aujourd’hui, ces enseignants, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, veulent effacer rapidement un tableau qui, pour un bon nombre, ne reflète pas une carrière comme ils en avaient souvent rêvée. Il ne reste alors qu’une solution, le départ en retraite. Ils sont nombreux à l’envisager. Et de mémoire d’enseignant, jamais le bureau chargé de traiter les dossiers de retraites des personnels de l’éducation, de la direction de l’éducation (D.E) de la wilaya de Béjaïa, n’a été autant submergé de fonctionnaires, qu’en ce moment. En effet, une rumeur sur la possibilité d’un départ en retraite après 25 ans de service, a emballé plus d’un, notamment la génération d’enseignants des années 80. Et on assiste à un véritable défilé de travailleurs en quête d’informations sur cette éventuelle possibilité de départ en retraite. L’insistante rumeur qui constitue une des principales revendications des syndicats autonomes des lycées (Cnapest et CLA) intéresse ces pédagogues, que nous avons rencontrés dans les couloirs de la DE. Certes les motivations de départ sont différentes, mais le malaise est un dénominateur commun. D’illusions, certains croient avoir perdu leur temps, d’autres pensent qu’il y n’a rien à espérer d’un secteur où la bureaucratie a pris le dessus sur la pédagogie et la médiocrité a marginalisé les compétences. Pour Hocine, professeur dans un lycée technique, la décision de quitter ce secteur est motivée par le fait que “ma carrière est gérée par des responsables que je dépasse dans le grade et la fonction et comme la reconnaissance des diplômes et niveau n’est pas à l’ordre du jour, je préfère quitter le secteur public et peut-être aller au secteur privé où je ferai valoir, en plus de mon expérience, mes diplômes”, nous a déclaré ce PES. Pour son collègue, la sentence est plus tranchante : “Je ne peux pas, dira-t-il, admettre qu’un instituteur dirige des professeurs, on doit se rendre compte qu’il faut en finir avec la médiocrité et le bricolage si on aspire à un système éducatif performant sinon, autant aller voir ailleurs”. Madjid, enseignant depuis 1981, ne supporte plus ce secteur. “Aujourd’hui, lorsque je me rends sur le lieu de travail, je n’éprouve plus le même plaisir des années passées, cela (se rendre au travail, ndlr) est devenu pour moi, une véritable corvée”, nous dira, cet instituteur, visiblement biaisé par ce métier. Une autre motivation et pas des moindres, pousse aussi d’autres fonctionnaires à chercher refuge dans cette retraite qu’ils espèrent tant. Rachid, un autre pédagogue veut quitter le secteur de l’éducation car, selon lui, il n’exerce plus sa fonction de pédagogue. “J’ai plus de travail administratif que pédagogique. Toute est bureaucratisé, tout se fait par imprimé à remplir et on aborde toutes les questions bureaucratiques sauf le pédagogique, en fait la bureaucratie a pris le dessus sur la pédagogie”, nous dira notre interlocuteur. Pour Nassima, une PES qui n’a pas atteint l’âge de la retraite, même si la rumeur du départ à 25 ans se confirmait, est venue s’enquérir sur une possibilité de retraite anticipée quitte à céder 60% de son salaire actuel, en échange d’un départ anticipé, “à cause, dit-elle, du statut de l’enseignant qui a perdu de sa valeur, l’insécurité et surtout qu’aucune volonté de changement ne se profile à l’horizon”. Youcef, militant syndicaliste et professeur, est plutôt révolté par ce qui se passe dans un secteur qu’il considère comme le pilier de toutes les nations. Il nous dira à ce sujet : “Maintenant que c’est l’administration qui poursuit des professeurs en justice parce qu’ils n’on fait que demander un agrément et revendiquer le droit à une vie décente, je pense que c’est un signe fort de la dégradation d’un secteur”.
Yacine Boudraa
