Dans les fins fonds de la Kabylie, à travers villes et villages, le chômage touche quasiment toutes les couches sociales : pères de famille, célibataires, universitaires, femmes, handicapés…Si pour les “hittistes”, citadins, s’adosser au mur, en revendant cigarettes et cacahuètes, est devenu une tradition par laquelle ils arrivent cahin-caha, à subvenir du moins à leurs besoins les plus élémentaires, dans les rudes montagnes de Kabylie, les jeunes s’adonnent, en revanche, aux randonnées diurnes et nocturnes à travers les sentiers et routes où le sempiternel rêve de quitter le bled vers d’autres cieux plus cléments et généreux est évidemment au menu de toutes les confidences. Les jours de semaine, comme les week-end, les longues parties de dominos et de belote constituent les seuls moments d’insouciance. Les connexions à Internet permettent aussi des moments d’evasion où la plupart des jeunes tentent de dénicher des amis virtuels en Occident, histoire de tisser des relations qui les aideraient à “déguerpir” comme ils aiment à la répéter. “Je suis candidat à la fameuse Green card (loterie pour émigrer aux USA), et je suis en relation avec une jeune Belge qui pourrait m’aider à rejoindre l’Europe, elle a accepté de venir chez moi, il se pourrait que nous convolons en justes noces et repartir ensemble en Wallonie, ce sont les seuls espoirs qui me restent après avoir tout tenté ici pour m’intégrer”, résumera en substance un ingénieur en électrotechnique en chômage depuis sa sortie de la faculté en 1998. Ce brillant universitaire n’est hélas pas le seul dès lors qu’il compte beaucoup d’amis dans la même situation de désuétude et désenchantement. Ainsi, ce sont particulièrement ces universitaires en chômage qui sont légion dans la région et qui sont beaucoup plus tentés pas l’émigration et Internet demeure un excellent moyen pour cette catégorie de pouvoir arriver à le faire. La délinquance, la criminalité, la toxicomanie…fléaux qui étaient jadis des phénomènes exclusivement urbains, ont gagné aujourd’hui l’ensemble du milieu rural touchant la plupart des villages kabyles autrefois havres de paix. Entre autres raisons de ce pourrissement de la vie quotidienne en milieu rural, c’est précisément le chômage qui ne cesse d’aller crescendo. Des centaines de jeunes arrivent annuellement sur le marché du travail sans aucune perspective. En somme, ne dit-on pas que l’oisiveté est mère de tous les vices? Aujourd’hui, nul ne peut réfuter que sans un nouvel essor socioéconomique pour cette région rebelle de Kabylie, dans un authentique plan Marshall pour ce grand territoire meurtri et déshérité, c’est la paupérisation de cette frange sociale pourtant très vulnérable qui accaparera sans aucun doute toutes les espérances. Chose que nous appréhendons tous.
Idir Lounès