“Nous qui sommes nés et qui avons passé notre adolescence au milieu des terres, nous nous sommes fait une idée de la mer à la seule vue d’un peu d’eau dans une coupe.’.
Saint-Augustin
Depuis la réalisation de la Transsaharienne dans les années 70, aucune infrastructure de taille n’est venue faciliter la vie des populations du Sud ou renforcer la mobilisation des facteurs de développement et de production.
Sans aller jusqu’à établir des comparaisons saugrenues avec la Californie, un pays désertique domestiqué et humanisé depuis le 19e siècle, il est quand même affligeant de constater que l’une des communes les plus riches d’Algérie, qui nous fournit les moyens de nos importations, soit ravalée au statut d’enclave qui n’a même pas l’heur de servir, comme jadis, de défouloir au désir d’exotisme des touristes occidentaux. Nous faisons allusion ici à Bordj Omar Driss (ex-Fort Flatters) dont le territoire comprend les champs pétroliers de TFT (Tinfouyé-Tabenkort). Elle n’est pas la seule à vivre la situation de misère et de chômage au milieu de richesse sonnante et trébuchante assurée par l’or noir.
Des velléités de rendre justice à la région et de démultiplier les capacités d’exploitation de ses potentialités ont été nonchalamment exprimées par les pouvoirs publics au cours des dernières années, mais ce n’est qu’à partir de l’année dernière que des mesures concrètes et judicieuses ont été prises pour orienter les efforts de développement dans ces vastes territoires qui pourront constituer l’Algérie de demain pour des populations trop concentrées dans 13% du territoire du nord (côtes et monts du Tell).
Le diagnostic fait par les rédacteurs du Schéma national de l’aménagement du territoire (SNAT) quant au déséquilibre de la répartition territoriale des populations, des infrastructures et des ressources ne laisse en tout cas aucune ambiguïté quant à la nécessité d’agir sur le court et le moyen terme pour mieux réorienter les investissements publics et privés et faire réunir les conditions minimales d’un développement durable.
377 milliards de dinars pour “humaniser’’ le désert
Ainsi des mégaprojets, relevant naguère du mythe, vont trouver des possibilités réelles de réalisation : exploitation des eaux souterraines de In Salah et leur adduction sur un linéaire d’environ 700 kilomètres vers Tamanrasset ; installation d’une raffinerie à Adrar ; introduction du rail par le prolongement de la ligne de Touggourt jusqu’à Béchar en passant par Hassi Messaoud, Ouargla et Adrar ; construction de la nouvelle ville de Hassi Messaoud ; réhabilitation et extension des palmeraies ; réhabilitations des Ksours par le moyen du nouveau dispositif du “Renouveau rural’’ lancé l’année dernière par le ministère de l’Agriculture et du Développement rural ; incitation à l’investissement dans le secteur du tourisme,…etc. En tout, ce sont pas moins de 377 milliards de dinars en programme complémentaire que le gouvernement a injecté dans le développement du Sud à partir de 2006.
Pour “relever le défi des distances et asseoir une judicieuse politique d’aménagement du territoire’’ (dixit Bouteflika), les pouvoirs publics ont inscrit le développement du Sud, touchant dix wilayas, en continuité naturelle du programme Hauts Plateaux. Le ministère des Finances a conçu les modalités pratiques de l’incitation à l’investissement dans ces régions désertiques : exemption fiscale sur dix ans et bonification des taux d’intérêt créditeurs pour les entreprises de réalisation.
“Mieux vaut tard que jamais !”, clameront tous ceux- populations, nouveaux investisseurs agricoles, prestataires de services en transport, agents voyagistes…— pour qui les écueils liés à la nature du terrain et à la rudesse du climat constituent des facteurs insurmontables sans l’intervention de la collectivité nationale.
De plus, sur le plan de la stratégie économique la mise en valeur des territoires du sud constitueà n’en pas douter une voie de pénétration vers les marchés du continent africain. La transsaharienne était supposée relier la Méditerranée au Golfe de Guinée. Alger-Lagos ou Alger-Abidjan. Est-ce un rêve farfelu ?
Le ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, M.Cherif Rahmani, a fourni depuis le début des années 2000 des efforts immenses pour la connaissance mutuelle et l’interpénétration des pays que ne liait jusque-là que l’aridité du climat et l’enclavement géographique et culturel. L’écho d’un tel élan a dépassé nos frontières au point où son auteur a eu droit à plusieurs distinctions internationales.
Un patrimoine matériel et immatériel à promouvoir
Il y a deux “ans” de cela, s’est tenu à Alger le rendez-vous biennal, le troisième du genre, du Festival des cultures et civilisations des peuples des Déserts du monde. En 2003 et 2005, ce fut respectivement Timimoun et Dubaï qui eurent à organiser un tel festival. Les initiateurs du Festival d’Alger ont fixé à cette manifestation des objectifs aussi bien culturels-échanges et interactions entre les communautés des contrées concernées- qu’écologiques de façon à pouvoir dégager les voies les plus rationnelles et les moyens les plus appropriés pour contribuer à la lutte contre la désertification.
Les données de la géographie physique placent l’Algérie parmi les pays les plus touchés par cette notion de désert. Sur l’ensemble de sa superficie, une proportion de quatre cinquièmes représente les zones arides, soit environ deux millions de kilomètres carrés. Bien qu’il dispose de 1200 km de littoral, notre pays-comme ont eu à l’analyser des historiens de la culture-est plutôt orienté vers l’intérieur, mis à part les intermèdes phénicien et turc où la mer avait eu ses lettres de noblesse en matière de défense, d’échanges commerciaux et d’ambiance culturelle et sociologique. Saint Augustin écrivait : “Nous qui sommes nés et qui avons passé notre adolescence au milieu des terres, nous nous sommes fait une idée de la mer à la seule vue d’un peu d’eau dans une coupe’’. Sur l’ensemble des pays qui furent alors invités, une grande partie possède des terres désertiques plus ou moins importantes. Si ces espaces se trouvent aujourd’hui désertés par les populations en raison de la rudesse des conditions de vie qui y prévalent, il n’en a pas toujours été ainsi.
Pour preuve, les cultures profondes et ancestrales de ces pays portent l’empreinte d’une vie, certes marquée par l’effort et le labeur, mais riche, dense, voire même parfois exubérante. Pour le cas de l’Algérie, deux ères de l’histoire proche et lointaine confirment une activité débordante des espaces sahariens où, malgré l’adversité, les populations ont su évoluer dans un équilibre qu’elles ont ingénieusement entretenu.
La période de l’industrie néolithique a vu, au Tassili des Ajjers, l’une des civilisations les plus florissantes s’établir au sud du pays, phénomène qui, n’a cessé depuis les explorations de Henri Lhote et Th. Monod au milieu du XXe siècle de surprendre et d’intriguer les chercheurs par sa profondeur et son étendue.
La région, déclarée Parc national- le plus grand musée à ciel ouvert du monde-, s’étend de Djanet aux confins de Tamanrasset.
L’autre grand moment de l’histoire de ces territoires est sans aucun doute le grand mouvement commercial ayant établi les routes sahariennes et les caravansérails de Tombouctou à Ouargla et de Sijilmassa à Tlemcen.
À la même occasion, les échanges culturels et les brassages ethniques ont assis l’aire culturelle sahélo-saharienne faite de berbérité, d’islam et d’africanité. L’un des meilleurs systèmes communautaires sahariens, impliquant organisation sociale solidaire, équilibre environnemental et domestication de la nature au profit de l’homme (ce qu’on appelle aujourd’hui développement durable), a été fondé il y a mille ans à El Ateuf, une des Pentapoles de la vallée du M’zab.
L’un des principes de la Fondation des Déserts est justement de réhabiliter, de promouvoir et d’élargir ce genre de patrimoine (matériel et immatériel) pour faire garder aux espaces désertiques leur dimension humaine.
Car en fait la grande rupture historique qui a conduit à l’abandon de ces terres maternelles et à l’exacerbation de l’hostilité des éléments de la nature par un déséquilibre écologique de plus en plus compromettant c’est bien la colonisation et le grand triomphe du capital qui ont fondé les grandes villes et même déplacé certains centres de gravité de l’activité humaine.
Le défi qui se pose à des pays comme l’Algérie est de savoir comment rendre justice-par des actions de développement durable- à ces espaces qui constituent aujourd’hui la première source de rente de la collectivité. En tout cas, il semble-comme l’a si bien caractérisé un savant-que la première action de lutte à mener contre désertification est celle relative à la “désertification des esprits’’ !
Dans l’esprit de la Fondation des déserts du monde, les peuples d’Afrique du Nord et de la zone sahélo-saharienne ont le droit-contrairement aux velléités d’antan tenant du prêche dans le désert- d’espérer un développement harmonieux de leurs territoires, lequel leur ferait retrouver un équilibre humain et écologique avec leur milieu naturel et qui jetterait des passerelles d’échanges fructueux entre les différentes communautés dans un élan de solidarité et de nouvel humanisme africain, selon l’expression de Senghor.
Amar Naït Messaoud
