L’histoire de Abdenour est aussi belle que toutes les histoires de réussite dans l’adversité. C’est que “ se faire soi-même” dans un environnement où tout joue contre vous, où non seulement personne ne vous fait de cadeau, partir de rien et parfois de beaucoup moins que rien multiplie vos mérites et met toujours un brin d’émotion dans l’évocation de votre parcours. Abdenour est l’un de ces milliers de jeunes Algériens laissés sur le carreau par une scolarité ratée et un horizon tout de suite fermé. Rapidement gagné par la résignation, jamais par la paresse, il s’est dit que finalement, il y a bien une vie sans les études et la sienne doit donc être ainsi prédestinée. A vivoter sans sérieuse perspective entre chantiers et gargotes, avec des salaires de misère, la précarité et l’absence de couverture sociale. La galère. “Je ne savais même plus lire, parce que ma situation étant ce qu’elle était, j’avais renoncé aux rudiments que j’avais acquis à l’école primaire et au collège où j’ai fait un passage éclair.” Abdenour envoyait carrément balader ses copains du village qui l’invitaient à découvrir le monde de l’Internet au premier cyber de la localité. Il fallait faire une dizaine de kilomètres, payer la place du “fourgon” et l’heure de connexion. Une folie qu’il ne pouvait pas se permettre. Mais il répondait à ses copains par la dérision, l’humour du pauvre qui, souvent, ne manque pas de génie : “ Avec mes doigts rabougris par le béton et la plonge, je risque de briser les touches du clavier et je n’ai pas de quoi rembourser le propriétaire.” Mais Abdenour a fini par se mettre devant un micro et ne manquant pas d’intelligence, il a rapidement accédé à tous ses secrets. Mieux, il s’est découvert une passion. “J’ai réappris à lire grâce à Internet”, ironise-t-il encore. Comme l’appétit vient en mangeant, la passion s’aiguise en apprenant. Abdenour étonnait chaque jour son entourage par sa maîtrise au point qu’il se voit proposer d’entrer en association dans le cyber qu’il fréquentait assidûment avant d’ouvrir son propre espace. Très vite, il élargira ses activités à la vente et à la maintenance de matériel informatique. Mais face la concurrence de ceux qui ont mis nettement plus de moyens, Abdenour a déménagé sous d’autres cieux plus cléments. Il connaissait bien le sud du pays pour avoir papillonné dans ses chantiers, ses cafés et ses gargotes. Il a décidé de s’y installer, avec la certitude d’aller en terrain vierge et la témérité de celui qui n’a rien à perdre. “Au pire je perdrai mes maigres économies et repartirai de zéro. Et croyez-moi, le zéro, ça me connaît.” Bosseur, sobre et désormais connaisseur, Abdenour avait les ingrédients de la réussite. Et elle ne tardera pas à venir. Aujourd’hui à la tête d’un petit empire, il n’a pas oublié d’où il vient. Humble mais un peu aigri, il relative sa performance : “J’aurai pu faire beaucoup mieux sans l’écueil bureaucratique et les banques qui financent tout le monde sauf ceux qui ont des projets fiables et rentables.” Bien sûr, il a toujours les pieds sur terre alors qu’il aurait pu bomber le torse avec sa fulgurante ascension. Non, Abdenour roule dans sa Peugeot utilitaire, embauche ses copains du village et caresse d’autres rêves dans la discrétion. La prospérité, il ne la conçoit que dans son utilité. A jour dans dans le développement de son champ d’activité, il pense humblement être en mesure d’atteindre un autre niveau et défricher d’autres champs. Abdenour n’a pas de Touareg, mais il a réussi. D’abord contre la résignation et les destins tout tracés. Banale, son histoire ? Peut-être bien que non.
S. L.