A quoi servent les catastrophes

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La langue de bois n’est pas seulement un outil d’expression de mauvais goût qui met à mal l’esthétique de la parole, veille à la laideur et entretient les archaïsmes. Elle est surtout un instrument au service du mensonge politique, des promesses faites pour ne pas être tenues, des programmes vides et des valeurs diluées. La langue de bois est l’ennemi juré de la vérité. Quand elle est sollicitée pour atténuer nos malheurs, elle les double de dégoût. Au rendez-vous des dernières catastrophes qui ont frappé Ghardaïa et Ouargla, la langue de bois a ouvert d’autres plaies au moment où tout ce qui est entrepris est censé être destiné à en fermer. “La solidarité légendaire” des Algériens a encore été servie à toutes les sauces comme si quelqu’un en voudrait. Mais c’est de vos errements, vos incompétences et vos désinvoltures qu’il s’agit en l’occurrence, Messieurs les responsables, pas de nos élans de générosité réels ou fictifs ! Mais cela fait longtemps que les rôles ont été inversés. Y a-t-il quelqu’un pour dire à nos politiques que ce n’est pas à eux de “faire confiance au peuple algérien” comme on l’entend sur toutes les tribunes, mais au peuple d’avoir confiance en ses dirigeants. A Ghardaïa, personne n’a de responsabilité dans les drames qui ont frappé la ville, mais tout le monde est là pour plastronner devant les secours. A défaut d’avoir des organismes publics capables d’organiser la cité et la concevoir de façon à résister aux aléas de la nature, nous avons donc des comités de crise dont nous sommes sommés d’admirer l’efficacité. Dans la distribution des bidons l’huile et des couvertures, dans la prise en charge hospitalière et “le retour progressif à la vie normale,” c’est-à-dire l’attente d’une autre calamité. Et le “triomphe” modeste, nos responsables le partagent quand même avec le peuple qui doit faire quelque chose pour montrer qu’il est digne de leur confiance. Et voila la fameuse générosité légendaire du peuple algérien ! Et puis “le mouvement associatif” qui, orphelin comme les politiques et les agents publics de performance, de réflexion et de gestion se mobilisent à nous émouvoir face à nos tragédies. Elle sont là donc les associations à se rendre disponibles à enterrer nos morts passés par la case pertes et profits.

Les entreprises à rétablir le gaz, l’électricité, l’eau et le téléphone. On a même vu, performance inégalée, un boulanger faire du pain, des médecins ausculter des malades et des sapeurs-pompiers au secours de sinistrés ! Les caméras de la télé algérienne sont toujours là quand un chien mord un homme, elle n’ira jamais chercher l’homme qui mord un chien. Et pour cause, c’est dans l’hélico de Messieurs le wali, le commandant du secteur militaire et celui de la gendarmerie qu’ils ont survolé Ghardiaïa, apprécié les dégâts et ce qui a été fait pour en atténuer les retombées sur la population. On savait l’investigation impossible mais on attendait quand même quelque image humanisée, arrachée aux parcours obligés et aux travellings protocolaires. Ghardaïa, comme Bab El Oued, ne servira même pas de piètre consolation comme c’est le cas de tous les drames. C’est-à-dire de leçon.

S. L.

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