Les pêcheurs boujiotes entre soucis et passion

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Les marins pêcheurs que l’on croyait, sinon riches du moins à l’abri du besoin, se plaignent de crouler sous le poids des dettes et qu’ils n’arrivent même pas à payer les cotisations dues à la Cnas. Les petits métiers, c’est-à-dire les pêcheurs dont les embarcations n’excèdent pas les sept à huit mètres de long, qui ne travaillent que, selon leurs dires, durant trois on quatre mois dans l’année, accusent d’emblée les exploitants des grandes embarcations de ne pas respecter les zones de pêche en ce sens qu’ils jettent leurs filets dans des endroits dont la profondeur est inférieure à 42 et qu’ils ne font pas également cas de la taille marchande des poissons. En réaction à ces accusations portées contre eux, les armateurs et les patrons de pêche sur chalutiers et sardiniers soutiennent qu’il ne s’agit là que de jalousie entre personnes exerçant le même métier. D’ailleurs, argumentent-ils, si c’était le cas, les gardes-côtes sont toujours là pour sanctionner les manquements professionnels. Mais au moment où ils sont invités à donner leurs avis sur le prix élevé du poisson et sur la rareté de ce dernier sur le marché, ils n’ont pas manqué à leur tour de pointer un doigt accusateur à l’endroit des grands armateurs algériens, qui, dans le cadre de la relance économique initiée par le gouvernement, font appel à des patrons-pêcheurs étrangers, lesquels pour pêcher les plus grandes quantités possibles de poisson n’hésitent pas à massacrer les fonds marins. Et pour illustrer leur discours, ils citent le cas des Mauritaniens et des Marocains qui n’ont plus de poisson à pêcher depuis qu’ils ont permis aux étrangers d’exploiter leurs fonds marins

“Le fil à réparer à 2 300 DA le kilo”

Concernant le port de pêche de Béjaïa qui dispose de 18 chalutiers, de 34 sardiniers et de 80 petits métiers, contrairement à l’idée largement répandue dans l’opinion publique et selon laquelle le poisson meurt tout bonnement de vieillesse sans que les pêcheurs ne lui donnent, ne serait-ce qu’une seule fois, l’occasion d’entrer dans un filet, Abdelkader Baâziz, patron de pêche, affirme qu’il y a surpêche en ce sens qu’il y a beaucoup de bateaux et peu de zones de pêche. La non profusion du poisson à Béjaïa, il l’explique par le fait de l’augmentation de la population et du nombre de restaurants ce qui rend la demande très supérieure à l’offre. De plus si par le passé le poisson non vendu était reversé à la mer après avoir été dénaturé au grésil, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Grâce aux moyens de transport frigorifiques, les villes des Hauts-Plateaux comme Sétif, BBA ou Constantine font concurrence à Béjaïa en matière de consommation du poisson.

Abordant le chapitre des problèmes que rencontrent les pêcheurs, Baâziz Abdelkader signale en premier celui de la pièce détachée des moteurs. D’abord, elle est introuvable et puis elle coûte excessivement cher. A titre d’exemple, il cite le cas d’un chalutier qui fait vivre huit familles et qui est resté immobilisé pendant un mois pour une simple pièce de bloc-moteur.

Le deuxième problème que vivent avec acuité les pêcheurs est celui des filets. Et pour donner du poids aux dires de son collègue, Karim Baloul, armateur met en avant le risque éventuel pour un pêcheur, quelle que soit son expérience, de perdre en une journée un chalut de 100 millions de centimes pour peu que ce dernier s’accroche à un rocher… Et le fil à réparer coûte pas moins de 2 300 DA la bobine d’à peine un kg. S’agissant du prix de vente du poisson, jugé très élevé par les consommateurs, l’armateur le justifie par le prix excessif à ses yeux du gasoil. Il déclare qu’en ce qui le concerne, il paie chaque mois quelque chose comme 35 millions de centimes de gasoil. Et, toujours selon lui, si l’Etat veut réellement faire baisser le prix du poisson, la première chose à faire c’est de subventionner le prix du gasoil pour les pêcheurs.

Quant aux petits pêcheurs, à l’image de Mohamed Zeghil qui a 40 ans de métier et dont la famille vit de la pêche de père en fils, ils se débattent dans des problèmes de filets et de versement des cotisations à la Cnas. Ils en veulent un tantinet à l’Etat de les avoir quelque peu abandonné au profit des jeunes sans expérience à qui, dans le cadre de l’emploi de jeunes, il a offert des bateaux de pêche de 30 millions de centimes et qui, souvent, faute d’expérience, ne se rappellent même pas de l’endroit où ils ont placé leurs filets. D’ailleurs, soulignent les vieux pêcheurs, faute de formation adéquate, certains parmi eux ont vite fait de vendre leurs bateaux.

“Oui, le prix du poisson est élevé, mais celui du gasoil aussi”

Ils en veulent à ceux qui ont acheté les bateaux sans la technologie qui va avec, c’est-à-dire sans formation des jeunes auxquels ils étaient destinés.

Ils se plaignent des rejets industriels qui polluent la mer et qui mettent en danger de disparition certaines espèces de poisson tels le merlan, le chien de mer ou le cochon de mer. Il se plaignent aussi de l’anarchie qui règne dans l’accostage au port de pêche de Béjaïa où les chalutiers et les sardiniers font, selon leurs dires, quelques misères aux petits métiers de moins de huit mètres. Les pêcheurs de Béjaïa en veulent surtout au LEM (Laboratoire d’études maritimes) d’Alger d’avoir réalisé à Béjaïa un port de pêche, à leurs avis, en dépit du bon sens. Nasser Bouchelaghem, président de l’Association des pêcheurs, intervient avec hargne pour dire que ce port construit sans avoir consulté les principaux concernés, c’est-à-dire les pêcheurs est une monumentale aberration. Appelant à témoins les pêcheurs présents, il affirme que par mauvais temps, il est parfois impossible de faire accoster une embarcation à un des quais des appontements construits à l’ouest du port, c’est-à-dire du côté où le ressac est très violent. Quant au terre-plein réalisé par enrochement à l’est du port, le président de l’association estime qu’en dehors de la fabrique de glace, il n’apporte rien de concret aux pêcheurs vu qu’il sera partagé en lots qui seront vendus aux enchères. Dans l’immédiat, les pêcheurs réclament surtout l’eau potable, l’éclairage du port et les sanitaires. Mais le directeur général de l’Entreprise de gestion des ports et des abris de pêche de Béjaïa, Allilouche Bouiche veut rassurer son monde en mettant l’accent sur le fait que si les appontements sont réalisés en perpendiculaire, c’est pour augmenter le nombre de quais d’accostage. Quant au ressac dont parlent les pêcheurs, des études ont, selon lui, été menées en laboratoire et l’accostage s’est avéré parfaitement faisable même par très mauvais temps.

Pour ce qui est du terre-plein, il ne restera pas en l’état, assure-t-il, puisqu’il est destiné à servir d’assiette à la construction d’un entrepôt frigorifique, d’une fabrique de glace, d’un hall pour la vente du poisson, d’un atelier de réparation navale, d’un comptoir de pièces de rechange et entre autres de 140 cases baraques pour les pêcheurs.

S’agissant du port de pêche de Tala Yilef, sur le côté ouest, actuellement en construction, qui servira sans doute à désengorger le port de pêche de Béjaïa et dans le cadre de la relance économique, à accueillir de nouvelles embarcations en vue d’augmenter la production halieutique, les pêcheurs interrogés ne le voient que comme abri utile en cas de mauvais temps.

B. Mouhoub

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