“ Merci à tous ! ”

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La Dépêche de Kabylie : Monsieur Bouguermouh, après neuf longs mois d’hospitalisation à la Salpêtrière en France. Il est certain que vous avez beaucoup à dire à tous ceux qui vous ont soutenu dans ces moments difficiles

Abderrahmmane Bouguermouh : Il est tout à fait normal, après neuf mois d’hospitalisation et une prise en charge onéreuse, de remercier madame la ministre de la Culture Khalida Toumi et son chef de cabinet madame Zahia Yahi, lesquelles ont fait le nécessaire pour mon hospitalisation. Je remercie également tous ceux qui sont venus, à mon chevet, ceux qui m’ont aidé et soutenu par tous les moyens médical, matériel ou moral. En dehors de la maladie, il y a ce contresens de savoir qu’il y a un formidable élan de solidarité, et cela nous fait plaisir de revenir avec cette certitude.

Bouguermouh, réalisateur du film La colline oubliée en amazigh est revenu de loin, peut-on dire qu’il y a reconnaissance des pouvoirs publics notamment celle du ministère de la Culture qui a assumé votre prise en charge durant cette longue hospitalisation ?

Je pense que dans l’ensemble je peux dire oui. Mais effectivement, on découvre des choses injustes et malheureuses, qui ne devraient pas être, lorsque quelqu’un est sur le seuil de la porte pour la fermer derrière lui, on continue les critiques en dépit de la situation où l’on se trouve, ceci d’un côté.

Mais pour le reste, effectivement, il y a eu une grande solidarité autour de moi, j’ai senti pour la première fois que j’étais chez moi, même si c’était dans un hôpital de Paris. Ils sont venus par centaines me voir, même ceux qui ne me connaissent pas sont venus par solidarité amazighe. Disons aussi, qu’au fond, il n’y a pas que du mauvais dans nos malheurs, mais il y a des oasis pour s’y reposer et boire de l’eau fraîche. Sincèrement, je ne veux pas revenir et me mêler de chose passées et non constructives et c’est vraiment dommage.

Maintenant que vous êtes guéri, peut-on s’enquérir de la suite à donner à votre roman 1 siècle, ou 100 ans de Kabylie entamé il y a quelques temps, vous en êtes où au juste ?

…Sourire et mimique de plaisir… Oh… disons que de maladie en maladie, d’ennui en ennui, je l’avais relégué un peu au second plan… mais je l’ai fini pour ainsi dire, il ne reste qu’une petite correction. Je l’ai même fait lire par une maison d’édition, je le trouve passionnant.

Ce livre traite de quoi au juste ? Quelles sont les bases de vos recherches puisqu’il s’agit d’un livre qui remonte à notre lointaine histoire avant même la Guerre d’Algérie ?

Il parle d’un siècle de Kabylie, qui s’arrête en 1945 et comment on en est arrivé à l’idée du nationalisme, mais aussi la vie de l’Algérien sous le colonialisme, quant à la base de mes recherches, c’est auprès de mes parents, les uns étaient dans le Parti du peuple algérien le PPA ou encore celui du Manifeste algérien. C’est eux qui m’ont inculqué la notion du nationalisme. Très jeune, 12 – 14 ans, j’entendais ce genre de discussions entre mon père et cousins tous les soirs. Militants et autres personnages historiques venaient à la maison tels les défunts Lamine Debaghine lequel a remplacé Messali El Hadj, Ferhat Abbas ainsi que le successeur de Abdelhamid Benbadis (Bachir el Ibrahimi), tous venaient discuter des questions de l’époque. C’étaient des débats politiques passionnés et il n’y avait pas que moi qui y assistait, tout le monde venait les écouter au village à Ouzellaguen. Je n’étais pas seul à assister à ces débats, on était pétri de ce sentiment du nationalisme, tout ça me revient à l’esprit et c’est ce qui a permis la naissance de ce livre que j’ai intitulé 100 ans de Kabylie, c’est notre histoire, disons que c’est un temps qu’il faut rattraper et que c’est notre identité.

Revenant au cinéma, vous êtes parmi les cinéastes qui ont connu les pires censures et marginalisation en matière de production en langue amazigh, parlez-nous de l’organisation du prochain Festival du cinéma amazigh prévu le mois de novembre à Sidi Bel Abbès, n’est-ce pas là la libération du film amazigh de la répression et de la censure et l’ouverture de la liberté de production et de l’imagination ?

Je ne pense pas que ce soit encore la liberté de l’imagination et du septième Art. Nous sommes loin, très loin même d’avoir ce que nous désirons et les libertés pour lesquelles nous combattons.

C’est des bribes de liberté que l’on nous donne et même ces bribes sont conditionnées.

La liberté au sens noble, c’est la liberté d’écrire, de s’exprimer et de vivre librement.

Certains se contentent du peu qu’ils ont comme liberté, puisqu’ils ont atteint leurs but et objectif, jusqu’à oublier que c’est leur cause même qui les a propulsé là où ils sont actuellement. Mais il faut avoir beaucoup de patience pour aspirer encore à plus de liberté. Concernant les films en langue amazighe, les jeunes doivent nous dépasser par leurs réalisations et productions. Il y a un intérêt certain pour le cinéma amazigh, les jeunes ont compris que le cinéma est une arme contre l’alibi, un jour ou l’autre ils trouveront les moyens nécessaires pour leurs films, ils ont la volonté et il faut les encourager davantage pour des productions en qualité et quantité.

Depuis belle lurette, l’on parle d’une chaîne de télévision en langue amazighe, ce qui pourra peut-être donner un nouveau souffle aux productions, mais, jusqu’à présent, rien n’est encore acquis, qu’en est-il à votre avis ?

Que peut-on répondre, pour la diffusion du film amazigh, sinon que ce sera toujours une chaîne gouvernementale.

Qu’elle soit en tamazight ou en chinois, elle sera toujours contrôlée et on ne pourra pas produire les films et autres productions librement, comme les films de fond, la répression et la défense des libertés identitaires. On ne montrera que ce qui arrange. Jusqu’à présent, il n’y a pas encore d’académie de la langue amazighe et tant que nous n’avons pas d’académie, on n’a rien obtenu, et même s’il y aura une chaîne en tamazight, ce sera juste pour y parler tamazight. Maintenant si nous avons la chance d’avoir des chaînes de télévisions privées, il faudrait que quelqu’un fasse que cette télévision soit loin de tout contrôle du pouvoir. Du moment qu’on a tous les moyens de nous brancher sur l’ensemble des télévisions du monde, les jeunes doivent chercher des moyens ailleurs pour réaliser des films à l’exemple de Djamel Ben Dedouche, lequel a réalisé le film l’Indigène et de ce fait a réussi à faire du bon travail pour le film amazigh.

Abederrahmane Bouguermouh, homme de culture et de cinéma, militant pacifique des causes justes depuis votre plus jeune âge, vous avez vécu maintes périodes mouvementées, les années 45, la guerre de Libération, l’Indépendance, la dictature qui s’en est suivi, l’ère de la démocratie, les décennies noires qu’a vécu le pays, qu’en est-il de toute cette concomitance ?

Effectivement, les gens de ma génération, ne se sont jamais reposés. Il faut dire que nous avons vécu de guerre en guerre, de révolte en révolte. Nous ne savons pas ce que c’est que vivre une paix. mais tous les autres ont eu leurs paix, sauf nous. Pour le reste, cela est lié au déroulement de l’histoire du pays.

Pour conclure

Je tiens simplement à remercier, du fond du cœur, tous ceux qui m’ont soutenu dans les moments difficiles que j’ai traversés. J’avoue qu’à cette période étant dans le coma, je ne peux me souvenir de tous ceux qui sont venus me voir.

Durant une longue période, je n’étais pas dans cette vie, j’étais ailleurs. Ma femme, Ben Mohamed, la jeune étudiante Salma et Florence ne m’ont pas quitté un seul jour durant toute cette période.

Je ne peux pas citer tous les noms, il y avait des gens connus et d’autres anonymes, jeunes ou vieux ils sont venus par centaines pour me soutenir, Je les remercie tous chacun par son nom, je ne peux citer des noms et en oublier d’autres, c’est grâce à eux tous que je m’étais senti dans ma famille, merci à tout le monde.

Entretien réalisé par Amar Chekar

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