Des bijoux pour survivre

Partager

Cette activité socio-financière, une pratique juive, introduite en Algérie dans les années 1800, représente actuellement un volume de prêts avoisinant les 5 milliards de dinars octroyés annuellement par la BDL pour cette demande de plus en plus importante de la clientèle au niveau des cinq agences spécialisées dans ce type de prêt au niveau national. Bien sûr, avec l’inquiétude avancée de la pauvreté beaucoup de foyers ont recours à cette solution pour parer à des besoins financiers urgents. Selon un responsable exerçant au niveau d’une agence au centre d’Alger, “chacune de ces agences reçoit quotidiennement près de 500 personnes qui se comptent parmi les plus démunies et économiquement vulnérables”. Cette population impressionnante qui sollicite les services de ce genre de banque a contraint les responsables à recourir au recrutement d’agents pour répondre à cette forte demande de prêts ces dernières années.La pression s’est nettement accentuée depuis que notre pays s’est engagé dans les réformes économiques. Ces dernières ont plongé la société par une descente aux enfers dans la misère. Cette situation non moins désastreuse pousse les citoyens à contracter des prêts calculés à raison de 250 DA pour chaque gramme d’or (18 carats) du bijou ou de l’objet en or déposé en gage. Il est à souligner que le prix moyen de l’or chez le bijoutier est de 1 800 DA le gramme. Quant au délai de remboursement, il peut aller de six mois jusqu’à trois années. Le taux d’intérêt qui assortit le prêt est de 9,5% par an à partir de janvier 2004, alors qu’il était avant cette date de 10,35%. Le taux d’intérêt appliqué par le prêt sur gage s’appelle également “crédit pignoratif”, nous a expliqué un agent dans la même agence. Ainsi, il faut se lever très tôt pour être au rendez-vous d’une journée harassante. On y vient de tous les coins du centre du pays, échanger l’or contre un prêt qui est loin de représenter sa valeur réelle. Dès 7 h du matin, la foule commence à prendre forme le long du mur de l’agence pour une attente qui va durer jusqu’à 9 h, le moment de l’ouverture de la banque, qu’il fasse chaud, ou froid, le scénario se répète quotidiennement. “Tous ceux qui viennent ici sont poussés par des contraintes financières, on y causent à contre cœur”, nous a avoué une vieille dame ayant pris la tête de file, et si elle se trouve-là c’est pour déposer son or et avoir en contrepartie un prêt afin “de compléter les frais du mariage de sa fille”, a-telle ajouté. Une autre femme, la quarantaine, nous a déclaré en toute franchise qu’elle met en gage le peu d’or qu’elle possède pour des raisons alimentaires. Les choses se sont “gâtées” depuis que son mari a perdu son emploi. Avant d’ajouter : “Espérons seulement que les choses ne se compliqueront pas davantage pour notre foyer”.Pour une autre, ce sont les frais des vacances qui l’ont obligée à contracter un prêt : “Nous ne pouvons offrir des vacances pour les enfants. Le peu d’économie qu’on a sera destiné pour la rentrée des classes”, dit-elle. Ceci n’occulte pas que la majorité use de cette méthode pour joindre les deux bouts, par ailleurs, même si les femmes restent supérieures en nombre, celui des hommes n’est pas du tout négligeable.Ils viennent de tous les horizons. Un chômeur, père de cinq enfants, nous a confié qu’il veut avoir un prêt pour compléter la somme du prix d’un véhicule d’occasion pour travailler comme “taxi clandestin”. Que voulez-vous ? Il faut bien survivre. D’autres viennent aussi pour des besoins alimentaires et ils sont nombreux à l’image de ce père de famille contraint par des besoins financiers urgents de demander un prêt sur gage “pour assurer le lait des enfants”, nous a-t-il déclaré avec ironie. Deux frères étaient là, car pour eux, il s’agit de monter une affaire commerciale et ils manquaient de liquidités “Une solution comme une autre”, nous confie l’un d’eux. Une souffrance se lisait sur tous les visages, c’est là une impression commune à tous les prêteurs. Un cadre dans cette agence nous a aussi parlé d’une certaine catégorie de gens, nullement dans le besoin mais “préfèrent mette à l’abri leurs bijoux lors d’une absence prolongée”, a-t-il déclaré.Dans tout cela, le plus dur reste le remboursement. Prendre de l’argent, c’est facile, mais pour le rendre avec intérêts en sus, la note fait mal à la bourse. “Parfois c’est impossible”, a conclu une jeune femme. Mais la plupart de ces clients préfèrent la méthode du remboursement par tranches, qui est moins contraignante. Par ailleurs, signalons quand même l’amélioration sensible de l’accueil réservé à la clientèle qui dispose de bancs où les personnes peuvent attendre leurs tour assis.

Le gage, une solution de replâtrageSur un autre plan, les transformations accompagnant ce nouveau climat ne sont pas déterminées par des statistiques fiables. Nous avons essayés en vain, d’avoir le nombre exact des pertes d’emploi, de chômeurs, ou d’autres recensements des citoyens méritant de bénéficier de l’aide sociale et qui n’ont que leur “or” qu’ils échangent pour supporter la misère. L’aveu d’un cadre du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, qui nous a confié récemment à ce propos qu’ “il n’existe aucune statistique fiable”, était juste. Mais à combien se chiffrent les pertes d’emploi au niveau national ? Des milliers, nous a-t-il déclaré. Un syndicaliste de l’UGTA contacté par nos soins à la place du 1er mai à Alger nous répondra ceci : “Personne ni aucune structure ne possède ou détient le chiffre réel”. Que représente un nombre défini de création d’emploi, si en face nous ne connaissons pas celui des chômeurs ? Rien. Pour les listes des bénéficiaires de l’aide sociale, elles révèlent chaque jour leur lot de surprises en passant de l’entreprise qui pointe au filet social au milliardaire qui bénéficie du logement social. Nous sommes toujours à l’ère du bricolage, la gestion au jour le jour est constamment du mise. Toutefois, la population ressent tout le poids des retombées néfastes de ce faible pouvoir d’achat, au chômage et à la disparition progressive de la couche moyenne, le ciment de la société. Cette catégorie qui fait le gros de la clientèle des agences BDL, du fait de la paupérisation, renseigne on ne peut mieux sur les graves risques de désintégration qui menacent l’équilibre social. Le prêt sur gage ne fait finalement que “reéchelonner” la misère.

S.K.S

Partager