L’aumône d’Etat et le couffin détourné

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Si des couffins de Ramadhan ont été détournés et des coupables présumés identifiés et poursuivis, c’est que des vols similaires survenaient chaque année ou, du moins, ils étaient donc possibles. La rumeur publique, si elle ne se confirme pas toujours, ne s’empare que du vraisemblable. S’il est souvent dit qu’il n’est pas interdit de voler mais de se faire attraper, on oublie toujours qu’on ne vole que là où il est possible de le faire.

Et quand “toutes les conditions sont réunies” pour leur faciliter le travail, on ne voit pas pourquoi les voleurs s’en priveraient. Cela peut même susciter des vocations. “L’affaire de Souk Ahras” où un président de comité de quartier a détourné une quantité de denrées alimentaires destinées aux nécessiteux dans le cadre des “couffins de Ramadhan” interpelle l’opinion sur des questions essentielles. La première est d’ordre politique. Au lieu de penser et gérer une politique de solidarité sociale, l’Etat organise la charité. Forcément plus visible et donc politiquement plus rentable, l’aumône d’Etat est conçu de manière à transiter par le plus grand nombre de relais possibles.

Il faut donc distribuer le couffin avec un maximum de bruit, de façon à attirer le regard et faire profiter un maximum de clients ostentatoirement appelés à “la soupe.”

La deuxième est d’ordre moral. Si tant est que les Algériens en difficulté ont besoin de manger plus pendant un mois que le reste de l’année, un chèque ferait très bien l’affaire. Il a l’avantage de sauvegarder leur dignité, de leur permettre d’organiser librement leur quotidien et de goûter à un moment d’humanité moderne d’où ils sont généralement exclus.

La troisième, enfin, est d’ordre civile ou légale.

C’est un secret de Polichinelle que les associations “à caractère social” qui essaiment le pays sont, à quelques rares exceptions près, autant d’espaces de rapine. Sous couvert de nobles vocations, elles organisent le transit d’une partie de la rente, contribuent à la promotion de leurs animateurs et se rendent disponibles à l’occasion de tous les évènements majeurs initiés par le pouvoir.

Celles parmi elles qui ont pignon sur rue sont directement prises en charge par les institutions publiques. Généreusement arrosées, consultées et parfois officiellement chargées de “missions”, elles ne sont comptables ni de leur action ni de la gestion de leurs subventions, mais seulement de leur disponibilité au moment précis et de leur zèle à relayer le discours en vogue.

Organiquement rachitiques mais toutes aussi vertueuses, d’autres parasitent l’espace social tout en restant aux aguets. Elles ont la proximité de leurs moyens et les moyens de leurs capacités de nuisance. Elles ne ratent rien. Dans les catastrophes naturelles où il y a toujours matière à ripailler, elles sont toujours là. Physiquement plus encombrantes qu’efficaces, elles organisent la panique, accentuent les fausses émotions et redoublent de louanges envers l’action de l’état.

Dans la foulée, elles s’aménagent toujours une petite place dans l’accès aux moyens de secours immédiats et aux réparations à venir.

Les fêtes religieuses sont aussi une opportunité de se mettre en valeur, toujours en se sucrant. Sûres de leur importunité, les responsables des associations ne se privent pas. Si en matière de programme, ils ne savent pas quoi faire, ils savent par contre ce qui’il ne faut pas faire.

Détourner des couffins de Ramadhan, comme à Souk Ahras, n’en fait pas partie. Même si, une fois n’est pas coutume, on se fait attraper.

S. L.

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