Gages à moindres frais

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La “campagne”de fermeture des bars d’Alger en rappelle d’autres. Inaugurées aux premières années de l’Indépendance par les nationalisations des bains maures et des cafés, reprises par les raids de “sensibilisation,” puis d’“assainissement,” elles ont toujours été trop tapageuses et trop contextualisées pour convaincre du bien-fondé de leurs motivations et de leur efficacité. D’abord parce que ces campagnes relèvent plus de l’agitation de celui qui ne sait pas trop quoi faire que de l’action de quelqu’un qui entame la feuille de route d’un projet réfléchi. Ensuite parce qu’elles sont destinées plutôt à bomber le torse d’une autorité qui doute qu’à rassurer une opinion qui espère. Mais dans le cas de la dernière campagne, celle de la fermeture tous azimuts des bars d’Alger, les autorités savent ce qu’elles font. Ce n’est pas fait pour nous consoler, bien au contraire, mais les choses claires ont toujours quelque mérite. En l’occurrence, on ferme les bars parce que ça fait partie d’une première “fournée” de gages de bonne volonté à donner d’une islamisation rampante de la société.

On ne va quand même pas se priver d’une mesure à portée de main qui peut mettre du baume au cœur de “qui de droit.” Surtout quand cette mesure, cerise sur la gâteau, présente l’avantage de ne soulever aucun tollé. Elle peut même être “populaire”, les choses étant ce qu’elles sont. Les pouvoirs publics ont pourtant toutes les raisons de sévir dans ces commerces, mais ce serait trop beau qu’ils agissent avec de bonnes intentions. L’opinion a renoncé depuis longtemps à leur en prêter, même quand il arrive qu’ils prennent une bonne initiative. Que les gens se rassurent donc : aucun bar d’Alger n’a été fermé pour de bonnes raisons, sinon ça se saurait. Si les considérations d’hygiène souvent évoquées étaient sincères, ou n’aurait sûrement pas commencé par les “débits” de boissons alcoolisées. Les cafés, les restaurants, les pizzerias et les crémeries sans vespasiennes, les cuisines où prospèrent les rats, et les hôtels rongés par les cafards, ce n’est pas ce qui manque dans la capitale; il y en a jusque dans la rue Didouche. Il arrive même que de pauvres vieilles à “la piété et à la morale irréprochables” aient recours aux bars pour se soulager quand elles n’en peuvent plus, parce que ce sont les seuls endroits où on est sûr de trouver des toilettes. De même pour le reste, c’est-à-dire les défauts d’autorisation, les fausses déclarations d’impôt, le travail au noir et l’origine incontrôlée des marchandises. S’il y a de tout ça dans les bars d’Alger, ce n’est pas pour autant la vraie raison des fermetures en série. Il est révélateur que dans les mêmes conditions d’hygiène et de gestion, on somme certains de ces établissements de se transformer en… restaurant ! Un bar fermé est un espace de liberté en moins. Même s’il n’y a pas beaucoup de monde pour s’en offusquer. Les “fermeurs” le savent. Et ils sévissent sans prendre de gants. Déjà qu’ils ne se gênent pas quand ils interdisent des livres et emprisonnent les “casseurs de Ramadhan…”

S. L.

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