Un poète à Béjaïa

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Pour toute une génération de berbérophones qui a vécu le déni culturel et identitaire dans la frustration et la douleur, Benmohamed est un symbole. S’il a marqué une époque et continue de susciter respect et admiration, c’est d’abord parce qu’il a été le militant de l’efficacité et de la création. En ce sens, il a fait partie d’une brochette d’hommes qui ont constitué la force tranquille d’un combat qui avait besoin de toutes ses sources d’énergie. Son action, publique et dédramatisée, a été d’un inestimable apport à la prise de conscience du fait identitaire et culturel, mais elle aura surtout laissé pour l’éternité une œuvre poétique de haute facture qui gagnerait à être connue d’un public plus large. Parce que “ Ben” est d’abord un poète, un grand, un vrai militant de la création, on ne lui connaît pourtant pas de compromis qui le situerait au-dessus de la mêlée ou à côté d’un mouvement de revendication au sein duquel il a évolué comme bâtisseur apaisé sans jamais céder le moindre pouce de ses convictions profondes. Poète, il a revisité les espaces les plus lointains de l’Histoire et les recoins les plus profonds du terroir pour en extraire le plus beau et le plus exaltant.

Animateur radio, il a fructifié tous les moments qu’il a pu arracher à la vigilance des gardiens du temple pour en faire des tranches de culture, de résistance et, cerise sur le gâteau, de plaisir.

A chaque émission, il se disait que ça allait être sûrement la dernière, mais il y allait avec le même enthousiasme dire d’autres vérités, défricher d’autres champs et régaler des oreilles fidèles et impliquées et souvent surprises que tant d’irrévérences et d’esthétique soient possibles dans un espace si fermé et si répressif. A chaque sortie de studio, il s’attendait à jouer les prolongations dans un commissariat -il a connu ça à maintes reprises- mais il s’y rendra quand même sans jamais que ne l’effleure l’idée de “tempérer ses ardeurs” comme le lui suggéraient quelques “amis qui lui veulent du bien” effrayés par tant de témérité : “Il ne faut quand même pas exagérer, Ben !” Et il s’en allait, après avoir courtoisement souri à ses braves conseillers, multiplier les tribunes de “l’exagération.”

Il s’en allait réciter “Yemma”, son poème culte sur la scène d’un concert de Lounis Aïn Menguellet ou les planches de fortune où on donnait “Mohamed prends ta valise” de Yacine.

Il s’en allait esquisser le texte d’une autre chanson d’Idir et réfléchir à un autre écrivain universel à faire découvrir aux auditeurs de la Chaîne II si les censeurs aux aguets n’y voient pas d’inconvénient. Il s’en allait “gérer” ses soirées entre l’écriture, l’animation, la lecture et l’écoute. Parce que ses journées, il les passe derrière le bureau d’un organisme public où il exerçait comme comptable parce qu’il faut bien faire bouillir la marmite.

Eh oui, Ben a un métier et il n’a jamais arrêté de le faire, y compris à Paris où il est installé depuis des années. Il ne manque pourtant pas de sollicitations pour vivre de son art, mais Ben a une autre idée de la poésie et il a renoncé depuis longtemps à en faire une source de revenus.

Benmohamed est à Béjaïa où il est l’invité d’honneur du festival de la chanson kabyle. Interviewé par Canal Algérie, il nous apprend qu’il attend sa… retraite pour s’occuper de l’édition de ses poèmes. Cinquante ans d’écriture, cinquante ans de combat et de bonheur. Ben est un poète, je vous le jure.

S. L.

Laouarisliman@gmail.com

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