La prison, seule contre le suicide

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Ce ne sont plus des aventures décidées dans des cercles restreints et entreprises avec d’infinies précautions à partir d’endroits malheureusement tenus secrets. Les “hargas” s’organisent maintenant à l’échelle industrielle avec des dizaines de candidats et de véritables “flottes” de plusieurs embarcations fraîchement sorties de “chantiers navals” spécialisés et clandestins, avant d’aller au premier et souvent dernier mouillage. Si l’actualité de ces derniers temps a été particulièrement riche en expéditions parvenuees à “bon port”, disparues en haute mer ou arraisonnées pas loin de nos côtes, c’est peut-être la première fois qu’une entreprise d’immigration clandestine d’une telle ampleur a été portée à la connaissance de l’opinion. Ce ne sont pas cinq, six ou dix, mais soixante-cinq harragas qui ont été interceptés à quelques miles marins de la côte annabie. Ils étaient répartis dans trois embarcations de vingt, vingt et un et vingt-quatre hommes d’âges divers, rapporte notre confrère Liberté. Si l’information révèle les proportions alarmantes atteintes par le “phénomène, » elle n’a pas pour autant étonné outre mesure. Il n’y a aucune raison que les jeunes Algériens qui ont entrepris de déserter le pays arrêtent de le faire. Les causes de leur désespoir sont toujours là. Il n’y a aucune raison non plus pour que leur nombre n’augmente pas, puisque le désarroi des candidats “classiques” au péril- les plus socialement démunis- ne fait que s’accentuer. Dans le même temps, d’autres catégories découvrent la vulnérabilité et viennent ainsi grossir les rangs des “prêts à tout”. Et quand “la demande” est en hausse, “l’offre” suit logiquement. Ça va de la modernisation de la logistique à la “division technique du travail”. “Les objectifs économiques,” bien entendu, deviennent plus grands et ils ne sont réalisables qu’avec l’intensification de l’activité. Agents de repérage, démarcheurs, négociateurs, guetteurs, caissiers et maintenant constructeurs, forment de longues chaînes du parcours avant le grand saut. Dans la foulée, la chose se banalise. Les partants, dans le meilleur des cas, se retrouvent dans des camps de “regroupage” espagnols et italiens avant le retour à l’envoyeur ou se faire prendre par les garde-côtes à quelques kilomètres de leur lieu de départ. Dans le pire, ils périssent broyés par les impitoyables dents de la mer.

Dans le pays qui les a poussés vers le pire, des vocations se suscitent pour prospérer sur leurs corps déchiquetés, l’Etat redouble d’ingénuité pour se donner bonne conscience et la société étouffe ses colères sourdes dans la résignation. Le comble est que ceux qui sont censés leur suggérer quelque perspective n’ont que la prison pour les dissuader du suicide. Jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas interdit de mourir. Si la prison pouvait décourager ceux qui bravent la mort, ça se saurait.

S. L

laouarisliman@gmail.com

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