La Dépêche de Kabylie : Le dernier album sorti, pensez-vous produire encore ?
Oul Lahlou : Je produis tout le temps. J’ai toujours ma guitare à côté de moi. L’écriture et la composition de mélodies sont ma passion. Il m’arrive de le faire à minuit, à deux heures du matin. Des fois, c’est à partir de rien que je commence, même pas à partir d’une idée mais d’un état d’âme et cela aboutit à une œuvre. C’est, pour moi, un défi.
Justement, à propos de défi, vous avez eu le mérite d’en relever un. Celui de vous faire une place sur le marché alors que nous sommes en pleine ère de la musique commerciale.
Je ne peux pas me prononcer là-dessus car c’est au public de juger. Mais, si réellement j’ai une place sur le marché, c’est tant mieux pour moi car l’essentiel pour un artiste est de voir son œuvre reconnue. En ce qui me concerne, je vous répète, j’ai ma guitare et mon stylo. Mon défi est de produire de la beauté.
En ce qui concerne la beauté, vous avez très bien réussi des adaptations des chansons de Brel, Moustaki, Les Eagles…
Ce sont des classiques. Ces chansons ont bercé mon enfance et m’ont apporté beaucoup de choses. C’est vrai que ceux qui ne connaissent pas les chansons originales de Brel, Moustaki, Les Eagles, Brassens ou Renaud, pensent que les chansons que j’ai adaptées m’appartiennent. Bon, moi, je mentionne toujours l’auteur. Mais, mon défi est de réussir ces adaptations en kabyle car il ne suffit pas de chanter Moustaki en kabyle rien que pour le faire. Il faut rester fidèle à l’esprit du chanteur tout en donnant des images de chez nous. Prenons le cas de Hôtel California : Je ne chante pas une réalité américaine mais il fallait l’adapter à un contexte kabyle.
Un nouvel album en vue ?
Je n’ai pas un plan de carrière pour me préparer à enregistrer un album.
Généralement, quand je me sens disposé, je vois des amis au studio et on commence par une chanson. Ensuite, on essaye une autre et ainsi de suite jusqu’au jour où on constate que nous avons avancé. Je ne me suis jamais fixé comme objectif, par exemple, un album par année ou autre chose dans ce système. je ne veux pas tomber dans le commercial. Sinon, j’ai beaucoup d’anciennes et de nouvelles chansons. Donc, dès que je me sentirai prêt, j’irai au studio mais pas dans l’immédiat. D’ailleurs, lorsque je regarde en arrière et que je constate que j’ai déjà produit huit albums, je me dis que ce n’est pas possible de la faire en si peu de temps. Donc, je veux prendre un peu de recul car cela est fatigant.
Vous avez aussi le mérite d’être la relève de la chanson engagée comme Ferhat Mehenni par exemple.
Je ne sais pas si c’est un mérite mais en tout cas, j’essaye de donner un sens à mon art. J’adore réfléchir et analyser. Je ne veux pas produire des œuvres qui ne durent pas. Quant à parler de relève, si cela est vrai, ce serait un honneur pour moi. Entendre dire que je suis sur la voie de tel ou de tel artiste me flatte beaucoup mais je ne le fais pas exprès. Je ne fais que m’exprimer.
Bon, c’est vrai que ma révolte est une sorte d’engagement. Même quand je chante l’amour, je dénonce car j’ai un regard critique par rapport à notre réalité.
C’est vrai que vos chansons d’amour ne sont pas du genre Hemlagh Kem a mon amour que l’on nous balance chaque jour
La chanson kabyle est en crise. Les causes en sont multiples : le public, la situation socio-économique, la mondialisation… Pour être simpliste, je conclus en disant que le niveau de la chanson kabyle a baissé.
Avant, elle avait une autre dimension alors qu’aujourd’hui, c’est beaucoup plus le côté divertissement. Bon, je n’ai rien contre ça mais que cela soit bien fait quel que soit le thème, chanson de danse, triste ou engagée. En tout cas, c’est dommage d’en arriver-là et ça fait mal. Franchement, des fois, en écoutant certaines chansons actuelles, il y a de quoi avoir honte. C’est désolant. C’est peut-être le temps. Toutefois, cela ne m’inquiète pas car le véritable art existe.
Terminons par vous demander d’éclairer votre public sur le sens de votre chanson Izem tseghzalts…
Tout d’abord, c’est une fable grecque qui date de plus de 3000 ans. Vous savez, ce sont les Grecs qui ont laissé le plus grand patrimoine de la beauté à l’humanité. Tout comme aussi la démocratie et leurs légendes,
3 000 ans sont passés et c’est toujours d’actualité.
Concernant cette fable grecque qui raconte le piège de l’amour, quand je l’ai lue, je l’ai trouvée tellement belle que je n’ai pas hésité à la chanter. Derrière chaque caractère animal on trouve un personnage et Izem tseghzalts est purement symbolique. D’ailleurs, Slimane Azem aussi le faisait si bien. Le défi est de prendre une histoire d’une autre culture et de l’adapter à la nôtre en utilisant les expressions populaires kabyles.
Propos recueillis par Tarik Amirouchen