Il avait quatre vingt-quatre ans et il exerçait encore son métier de cordonnier à Constantine. M. Ali Taoui est mort, transi de froid sur une plaque métallique nue qui lui servait de lit pendant plusieurs jours. Le vieil homme a recouru, comme nombre de ses compatriotes de la cité antique, à un squat périlleux pour son âge avancé et sa santé, forcément fragile.
Dans la foulée de la démolition d’un espace urbain “à moderniser” on lui a soufflé, à lui et à ses semblables, qu’il y avait peut-être “un coup à jouer” pour obtenir un logement. De telles opportunités ne se ratent pas, qu’on soit réellement dans le besoin et désillusionné par la procédure régulière des demandes ou rapace-roublard à l’affût de toute occasion. C’est que le logement social, attribué en temps normal dans l’opacité totale et souvent à ceux qui en ont le moins besoin, devient, à des moments précis, miraculeusement possible.
“Argument” de campagne, il est servi à l’orée d’élections qui, même réglées comme du papier à musique, ont toutefois besoin de quelques bruyants relais populaires dont on étalera le folklore au regard des plus sceptiques. Instrument d’une solidarité conçue comme aumône d’Etat faute d’être intégré dans une politique sociale, le logement est aussi promis dans l’émotion des catastrophes naturelles qu’il faut bien “rentabiliser”. Surtout que des milliers d’appartements sont souvent en “attente” d’instants graves et utiles qui méritent de solennelles remises des clés. Parmi ces moments exceptionnels de distribution, il y a enfin les situations, assez rares il est vrai, de contestation sociale. Entendons-nous bien sur ce cas précis. L’autorité publique, de manière générale, n’accède pas à une revendication légitime formulée par des citoyens en colère, mais elle cible, par “souci d’efficacité,” ceux qui tirent les ficelles de l’action.
ça a l’avantage d’éteindre le feu à moindres frais, de décourager d’autres velléités et de choisir des partenaires-clients pour l’avenir. Pompier plus que constructeur, l’Etat gère un besoin social par la ruse destiné à fabriquer une factice paix sociale en s’appuyant sur ceux qui ont démontré les plus spectaculaires capacités de nuisance.
Et quand surgit un drame qu’on ne peut pas cacher, on fait l’effort de conjoncture dont on se croit dispensé le reste du temps. Il est quand même terrible que la Ligue algérienne des droits de l’Homme attende la mort d’un vieil homme à Constantine pour sa rappeler que le logement est un… droit.
Et elle ne le dit même pas en ces termes puisque sa déclaration, vaguement moralisante, convoque aussi la… providence, “seule responsable de la vie et de la mort.” L’Etat suivra sûrement par quelques attributions télévisées. Et demain ça recommencera.
S. L